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ANTOINE.

venez & me fuivez, il les prit pour lui-même,& voulant obeir VII DI S, à la voix de Dieu, il ne fut pas plûtôt forti de l'Eglife qu'il distribua à ses voifins tous les heritages qu'il avoit eus de la fucceffion de ses pere & mere, qui confiftoient en trois cens arrures de terre,qui faifoient près de cent cinquante arpens, pour payer les impôts publics, à condition que lui & fa fœur feroient libres & déchargés de tout, & ayant fait une fomme confiderable des meubles qu'il vendit, il en distribua la meilleure partie aux pauvres, refervant l'autre pour fa fœur. Mais comme une autre fois, étant entré dans l'Eglife, entendit auffi lire dans l'Evangile, qu'il ne fe falloit pas mettre en peine du lendemain; il diftribua aux pauvres ce qu'il avoit refervé,& mit fa feur entre les mains de quelques filles Chrétiennes pour l'élever avec elles. Il quitta enfuite fa maifon, pour mener la vie Afcetique, hors du lieu de sa naissance,veillant sur lui-même,gardant une très-grande temperance,& imitant un faint vieillard qui vivoit de cette forte auprès d'un village voifin. Il s'occupoit dans la folitude au travail, à la priere, & à la lecture ; & alloit de tems en tems voir d'autres Solitaires, pour en recevoir des inftructions, & remarquer en quelle vertu chacun d'eux excelloit, pour pouvoir les imiter, aussi-bien que leurs aufterités & leurs mortifications.

Le demon ne put pas fouffrir un fi grand zele dans un homme de cet âge. Îl lui fufcita plufieurs combats. Il lui mit d'abord devant les yeux les biens qu'il avoit quittés, fa fœur dont il devoit prendre foin, la gloire qu'il pouvoit acquerir dans le monde,les plaifirs qu'il y pouvoit goûter, & plufieurs autres penfées qu'il reprefentoit en foule à fon imagination.

Mais la foi & fes prieres continuelles ayant diffipé ces tentations, les pensées d'impureté prirent leurs places pour le tourmenter plus violemment jour & nuit. Il les furmonta encore par l'affiftance de J. C. de forte que le demon lui étant apparu fous la figure d'un enfant noir, fe confeffa vaincu, & avoua qu'il étoit l'efprit de fornication. Cette premiere vi&toire fervit à augmenter les aufterités, car il veilloit tellement qu'il paffoit des nuits entieres fans dormir. Il ne mangeoit qu'une fois le jour après le foleil couché, quelquefois de deux jours en deux jours, & fouvent de quatre en quatre. Sa nourriture étoit du pain & du fel. Il ne buvoir que de l'eau.

VIE DE S. Son lit n'étoit qu'une natte, quelquefois la terre nue, & ne ANTOINE. fe frottoit jamais d'huile, qui étoit en ce pays-là une grande,

aufterité.

Antoine, qui ne cherchoit qu'à s'avancer de plus en plus dans la perfection, crut que le voisinage du bourg de fa naiffance, qui étoit proche de fa retraite, étoit un empêchement pour y parvenir: c'eft pourquoi ayant communiqué le deffein qu'il avoit pris à un de les amis, qu'il pria de lui apporter du pain de tems en tems; il alla s'enfermer dans un fepulchre très-éloigné, dont l'Egypte étoit pleine, & qui étoient tous des bâtimens confiderables. Mais le demon, qui jufques alors n'avoit fait que des efforts fur fon cœur, l'attaqua vifiblement, l'ayant fi cruellement tourmenté fur fon corps, qu'il le laiffa étendu par terre, fans pouvoir parler, & fouffrant des douleurs exceffives. Son ami étant venu le lendemain pour lui apporter du pain à son ordinaire,fut contraint de le porter fur fon dos dans le bourg pour le faire guérir de fes playes; mais le Saint étant revenu à lui, le pria de le reporter dans ce fepulchre, & ne pouvant fe tenir sur ses jambes, à caufe des coups qu'il avoit reçûs: couché par terre, il défioit les demons, & les attaquoit lui-même.

Pour lors il entendit un grand bruit, tout le bâtiment en Fut ébranlé, les murailles de la chambre s'étant ouvertes,les demons y entrerent en foule fous des formes monftrueufes de toutes fortes d'animaux; & continuant à les mépriser,un raïon de lumiere qui venoit à lui, diffipa tous ces efprits de tenebres; fes douleurs cefferent, le bâtiment se trouva rétabli, & il entendit une voix du Ciel, qui lui promit de l'affifter toûjours, & de le rendre celebre par toute la terre. Après cela il demeura encore un très long tems en ce lieu.

Ainfi fe pafferent les quinze premieres années de fa retraite, ou felon quelques-uns les vingt premieres années. Mais fuivant le mouvement qu'il fentit de fe retirer dans un defert plus écarté,pour le cacher davantage aux hommes, il fortit de ce fepulchre pour aller fur la montagne. Le demon lui tendit plufieurs pieges fur le chemin, le tentant d'avarice en lui faifant paroître un plat d'argent qui s'évanouit comme de la fumée, lorfqu'il fe fut aperçu de l'artifice de ce malin efprit qui s'étoit fervi de cette rufe croïant qu'il le ramafferoit das le deffein d'en faire l'aumône. Un peu plus loin,il vit une grande quantité d'or

mais il passa pardeffus avec le même mépris, & redoublant la VIR DI S. marche il arriva enfin à la montagne, où il trouva un vieux ANTOINE, château abandonné des hommes, dans lequel plufieurs animaux faifoient leur demeure, qui s'enfuirent auffi tôt que le Saint y fut entré, dans la refolution d'y demeurer. Il en ferma la porte, ayant fait fa provision de pain pour fix mois.Ses amis qui le venoient vifiter,& qui étoient contraints de paffer fouvent les jours & les nuits au dehors à cause qu'il ne se laiffoit voir à perfonne, lui en jettoient pardeffus le toit deux fois l'année, & il demeura ainsi vingt ans dans cette retraite.

Plufieurs perfonnes qui vouloient fuivre fes exemples & fe joindre à lui,& fes ainis même,ayant voulu rompre la porte,il en fortit pour devenir le pere d'une infinité de Solitaires qui peuplerent l'Egypte. Les uns demeurerent auprès de lui à l'orient du Nil en un lieu nommé Pifper; les autres à l'occident vers la ville d'Arfinoé ; & ce fut pour lors, c'est-à-dire, vers l'an 305. que plufieurs embraffant la vie Monaftique par les frequentes exhortations de notre Saint, il fe fit plufieurs Monafteres, qu'il gouvernoit tous comme leur pere. Čes faints Solitaires s'occupoient continuellement au chant, à l'étude, au jeûne, à la priere & au travail, pour pouvoir donner l'au mone; confervant entr'eux une grande charité & une grande union. Saint Antoine leur faifoit des difcours de tems en tems, pour les exciter à vivre dans leur profeffion avec toute la ferveur qu'ils devoient; & ces difciples inftruits par un fi fçavant maître, devinrent comme des Anges fur la terre.

Environ l'an 311. la perfecution étant allumée contre les Chrétiens par la fureur du tyran Maximin; Antoine qui brûloit du defir du martyre, quitta fon defert, où les autres fe retiroient pour l'éviter, & vint à Alexandrie. Il ne voulut pas néanmoins fe livrer lui-même ; mais il fervoit les confefleurs dans les mines & dans les prifons, il encourageoit devant les Tribunaux ceux qu'on y faifoit venir; & les accompagnoit jufques au fupplice. Le Juge voyant fa fermeté & celle de fes compagnons, défendit à aucun Moine de paroître dans les jugemens,& de fejourner dans la ville. Antoine méprifant cette ordonnance, fe mit le lendemain dans un lieu élevé, & avoit exprès lavé fon manteau qui étoit blanc, afin qu'on le vît plûtôt: mais Dieu qui le refervoit pour l'inftruction des Solitaires ne permit pas qu'il fouffrît le martyre.

VIE DE S.

La perfecution étant ceffée, il retourna à fon Monaftere, ANTOINE. où il demeura quelque tems enfermé, fans vouloir ouvrir à ceux qui le venoient importuner pour être guéris de leurs maux; mais ils ne laiffoient pas d'être délivrés,en fe tenant affis hors du Monaftere, & priant avec foi. Enfin voulant fuir la vanité & conferver la retraite,il refolut d'aller dans la haute Thebaïde où il étoit inconnu. Comme il ne fçavoit pas le chemin,il fe joignit à des Sarafins qui alloient de ce côté-là ; & ayant marché avec eux trois jours & trois nuits, il arriva à une montagne très-haute, où il y avoit une fontaine & quelques palmiers. Ce lieu lui plut, & il y refta,ayant pris du pain de ces Sarafins qui l'avoient conduit, & qui y repaffoient exprès pour lui en donner. Cette montagne eft à une journée de la Mer-rouge, & on la nomme prefentement Colzim, ou Mont-faint-Antoine. Il fut neanmoins encore obligé de quitter cette folitude pour retourner une feconde fois à Alexandrie, afin d'assister l'Eglife dans la guerre que lui avoient declarée les Ariens; & dans le tems que ces Heretiques déchiroient la reputation de faint Athanafe, il demeura toûjours ami & attaché à ce faint Prelat.

Nous avons fuffifamment parlé dans le Chapitre précedent de la vifite qu'il rendit à S. Paul Ermite; & pour ne nous pas éloigner du deffein que nous avons de faire feulement un abregé de fa vie, auffi-bien que de celles des autres fondateurs d'Ordres, nous paffons fous filence les guérifons miraculeufes qu'il a faites, fes difputes avec plufieurs Philofophes qu'il confondit, la lettre que l'Empereur Conftantin lui écrivit,& la réponse qu'il y fit en faveur de faint Athanafe.

Il rendit vifite aux Moines qui étoient dans la montagne exterieure, felon fa coûtume;& dit à deux de fes difciples qui étoient auprès de lui, fçavoir Macaire & Amatas, qui le fèrvoient depuis 15. ans à caufe de fa vieilleffe, qu'il alloit mourir; mais qu'il leur recommandoit de ne pas permettre que fon corps fût porté en Egypte, de peur qu'on ne le gardât dans les maifons, comme c'étoit la coûtume des Egyptiens, qui croyoient ainfi honorer leurs morts. Partagez, leur dit-il, mes habits. Donnez à l'évêque Athanafe, une de mes peaux de brebis, avec le manteau fur lequel je couche, qu'il m'a donné tout neuf, & que j'ai ufé. Donnez à l'évêque Serapion l'autre peau de brebis; & gardez pour vous mon cilice. Le

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