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CHAPITRE VIII. ་

Des Chanoines vivant en commun, establis par S.Chrodegand
Evesque de Metz, avec la vie de ce faint Fondateur.

Q

UOIQUE E le Diacre Amalarius dise, que faint Chrodegand est le premier qui a donné commencement à la vie commune des Clercs, & qui ait dressfé pour eux une Regle, on ne peut pas néanmoins ofter à saint Augustin la gloire de l'avoir devancé; mais il y a bien de l'apparence que le Clergé de France avoit abandonné ces saintes pratiques, & estoit tombé dans un grand relâchement, lorsque saint Chrodegand monta fur le Siege Epifcopal de Metz l'an 742.& la vie commune qu'il fit observer au Clergé de fon Diocese, pour lequel il dressa une Regle particuliere, lui a fait donner le titre de Fondateur & de Restaurateur de la vie commune parmi les Clercs; puisque cette Regle ne fut pas seulement observée par les Clercs de sa Cathedrale, & les autres de fon Diocese; mais qu'elle fervit de modelle à la reforme de plufieurs Eglifes de France, d'Allemagne & d'Italie, & qu'elle eft à peu près la mesme qui fut dressée par le Diacre Amalarius par les ordres de l'Empereur Loüis le Debonnaire, lorsqu'il voulut reformer tout le Clergé dans le Concile d'Aix la Cha-pelle l'an 816.

Ce Saint fortoit d'une des premieres Noblesses d'Austrafie.. Il nâquit dans le païs d'Hasbaing ou Haspengaw fur la Meuse,. d'un pere nommé Sigram & d'une mere nommée Landrade, que plusieurs croïent avoir efté fille de Charles Martel, & fœur du Roi Pepin. On l'envoïa d'abord au Monastere de faint Tron, pour y estre élevé dans la pieté & y apprendre les fciences humaines. Lorsqu'il fut en âge d'estre produit à la Cour, on le fit connoistre à Charles Martel Maire du Palais de nos Rois, qui le retint près de lui, & conçut pour sa vertu & sa science une fi grande estime & une fi grande affection qu'il le fit son Referendaire & fon Chancelier, & se servit de lui comme d'un excellent Ministre d'Etat. Il fit paroistre dans ce poste tant de sageffe & d'équité, que le Siege Epifco-pal de Metz estant venu à vaquer vers l'an 742. par la more de Sigebald, peu de jours après la mort de Charles Martel,,

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CHANOINES DE S.CHRODEGAND.

A

CHANOINE, il fut demandé par le Clergé & le peuple de la ville pour estre
DES CHRO leur Evefque.

DEGAND.

Pepin qui ne le cherissoit pas moins que son pere avoit fait, eut de la peine à accorder leur demande, ne voulant pas se priver d'un Ministre si éclairé; mais à la fin il y confentit, à condition que Chrodegand seroit toujours Ministre d'Etat. Cette double élection n'apporta aucun changement dans le cœur de nostre Saint. Il ne perdit rien de son humilité, & loin de moderer ses mortifications & ses austerités, il les augmenta, & fa charité fut fans bornes.

Pepin aïant esté sacré Roi de France à Soiffons par faint Boniface de Mayence, il deputa auffi-toft Chrodegand vers le Pape Estienne III. pour le prier de venir en France, & se dé livrer ainsi de la vexation des Lombards. Nostre Saint exe cuta sa commission, & conduifit lui-mesme le Pape, le garentissant des dangers dont il estoit menacé. Il obtint de ce Pontife les corps des trois Martyrs saint Gorgon, faint Nabor & saint Nazaire, qu'il mit en trois Monafteres ; saint Nabor à saint Hilaire aujourd'hui saint Avol, au Diocese de Metz; saint Nazaire à Loresheim fondé près de Vormes, dont le premier Abbé fut Gondelan frere de saint Chrodegand, & il imit les Reliques de saint Gorgon dans le Monastere de

Gorze.

Il fut encore envoïé en Ambassade près d'Astuphe Roi des Lombards pour le porter à reftituer les villes & le païs qu'il avoit pris au faint Siege. Ce fut au retour de ces negociations qu'il s'appliqua avec beaucoup de soin à rétablir la difcipline de fon Eglise dans sa pureté. Il rassembla tout le Clergé de fon Eglise en un Corps, & le fit vivre en commun dans un Cloistre semblable à ceux des Monafteres, & afin que fes Prestres estant debarassés des affaires seculieres & des chofes de la terre, s'appliquassent uniquement au service de Dieu, il pourvut à tout ce qui estost necessaire pour leur fubsistance. Cependant il eut besoin du credit qu'il avoit à la Cour, pour vaincre la contradiction qu'il eut à souffrir de la part des Chanoines, qui s'opposerent long-tems à cette re forme.

La Regle qu'il composa pour eux, contenoit trente chapitres, & estoit tirée des saints Canons, des ouvrages des Peres, & principalement de la Regle de S. Benoist. Il ne les engagea

pas

NES DE

pas à une pauvreté absoluë; mais il voulut que celui qui en- CHANDI treroit dans la Communauté fist une donation folemnelle de SAINT tous ses biens à l'Eglise de saint Paul de Mets, permettant de CHRODI s'en reserver l'ufufruit; & de disposer de ses meubles pendant GAND. sa vie; queles Prestres auroient aussi la disposition des aumônes qui leur feroient données pour leurs Messes, pour la confeffion ou pour l'assistance des malades.

Les Chanoines avoient la liberté de sortir le jour ; mais à l'entrée de la nuit ils devoient se rendre à saint Etienne, qui est la Cathedrale de Mets, pour chanter Complies, après lefquelles il n'estoit plus permis de boire, ni manger, ni parler; mais on devoit garder le filence jusqu'après Prime. Ils logeoient tous dans un Cloître exactement fermé & couchoient dans des Dortoirs communs où chacun avoit son lit. L'entrée du Cloître étoit interdite aux femmes, & aucun laïc n'y pouvoit entrer sans permission.

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Ilsestoient obligez de se lever la nuit à deux heures pour les Nocturnes comme les Moines, suivant la Regle de faint Benoift, & mettoient entre les Nocturnes & les Matines ou Laudes, un intervalle, pendant lequel il estoit défendu de dormir; mais on devoit apprendre les Pseaumes par cœur, lire, ou chanter. Après Prime ils se rendoient tous au Chapitre, on y lisoit un article de la Regle, des Homelies, ou quelqu'autre Livre edifiant. L'Evêque y donnoit ses ordres, & y faifoit les corrections, & au fortir du Chapitre, chacun alloit au travail manuel qui lui estoit prescrit.

Quant à la nourriture: depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte, on faifoit deux repas, & on pouvoit manger de la viande excepté le Vendredi seulement. De la Pentecôte à la saint Jean on faifoit encore deux repas; mais fans manger de viande. De la faint Jean à la saint Martin deux repas & abstinence de viande le Mercredi & le Vendredi. Dela saint Martin à Noël abstinence de viande, & jeûne jusqu'à None. De Noël au Carême, jeûne jusqu'à None le Lundi, le Mercredi & le Vendredi avec abstinence de viande ces deux derniers jours, les autres jours deux repas. S'il arrivoit une Feste en ces Feries, le Superieur pouvoit permettre la viande. En. Carême on jeûnoit jusqu'à Vespres, avec défense de manger. hors du Cloître. Il y avoit sept tables au Refectoire, la pre-, miere pour l'Evêque avec les hôtes & les Etrangers, l'Ar

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Tome II.

I

NES DE

CHANOI- chidiacre & ceux quel'Evêque y appelloit; la feconde pour les SAINT Prestres; la troifiéme pour les Diacres; la quatriéme pour les CHRODE- Soudiacres;la cinquiéme pour les autres Clercsila fixiéme pour GAND. les Abbés & ceux que le Superieur vouloit; & la septiéme pour

Cap. Aquifgran. ann. 789. can.

72.6 73.

con. 9.

les Clercs de la Ville les jours de Festes. La quantité du pain n'estoit point bornée; mais la boiffon estoit reglée à trois coups pour le dîner, deux pour le fouper, & trois quand il n'y avoit qu'un repas. L'on donnoit un potage & deux portions de viande à deux le matin, & le foir une feule ; & les Chanoines faifoient la cuisine tour à tour, excepté l'Archidiacre & quelqu'autres Officiers occupés plus utilement.

A l'égard des vêtemens, l'on donnoit aux Anciens tous les ans une chappe neuve, & aux jeunes les vieilles; les Prestres & les Diacres qui servoient continuellement, avoient deux Tuniques par an ou de la laine pour en faire, avec deux chemises. Pour la chaussure, tous les ans un cuir de Vache & quatre paires de pantoufles. On leur donnoit de l'argent pour acherer le bois; & toute cette dépense du veftiaire & du chauffage fe prenoit sur les rentes que l'Eglise de Mets levoit dans la Ville & à la campagne; mais les Clercs qui avoient des Benefices devoient s'habiller, & on appelloit encore alors des Benefices, la joüissance de certains fonds accordés par l'Evêque.

Cette Regle fut reçuë dans plusieurs Eglises ; & lorsque l'Empereur Charlemagne eut commencé de contraindre tous

les Chanoines à vivre en commun, il leur proposa de vivre ann. 813. felon la Regle de faint Chrodegand. Le Concile de Maïence Thomaff. leur ordonna la même chose; car lorsque ce Concile & Chardifc. Ecclef. lemagne leur prescrivent l'observance de la Regle des Clercs, Parhli le Pere Thomassin eft de fentiment que c'est de la Regle de faint Chrodegand dont ils veulent parler; puisqu'un des Canons du Concile de Maïence renferme un chapitre entier de cette Regle..

chap.29.

Le relâchement des tems pofterieurs a encore aboli la pratique de cette vie commune parmi les Chanoines, presque dans toutes les Cathedrales & Collegiales; & le Chapitre même de Mets pour lequel saint Chrodegand avoit dreffé principalement sa Regle, l'a quittée pour se fecularifer. La difference qu'il y avoit entre les Disciples de saint Augustin & ceux de saint Chrodegand, c'est que les premiers avoient re

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