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FOURIER.

Voïez Bedel, vie du R. P. Fourier, du Moulinet, figures des VIE DUR.P. differends habillemens des Chanoines Regul. Schoonebek, Hift. des Ord. Relig. Hermant, establissement des Ord. Relig. & Philipp. Bonanni, Catalóg. Ord. Relig. part.I.

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Vie du Reverend Pere Pierre Fourier, appellé vulgairement de Mataincourt, Reformateur des Chanoines Reguliers en Lorraine,& Instituteur des Religieuses de la Congregation de Notre-Dame.

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'Est avec justice que le Reverend Pere Pierre Fourier doit avoir rang parmi les Fondateurs d'Ordres, puisqu'il a donné naissance à deux illuftres Congregations, qui font celles des Chanoines Reguliers de Notre-Sauveur dont nous venons de parler, & celle des Religieuses de la Congregation de Notre-Dame, dont nous rapporterons l'origine & le progrès dans le Chapitre suivant.

Il nâquit à Mirecourt en Lorraine le trente Novembre 1565. de parens mediocrement pourveus des richesses de la terre; mais beaucoup avantagés de celles du Ciel. Dès ses plus tendres années, il fit paroître beaucoup d'inclination pour la pieté. Son plus grand plaisir estoit de dresser des Oratoires, de les embellir, de les parer, & il s'y retiroit tous les jours après le repas pour y faire ses prieres, & imiter toutes les Ceremonies qu'il voïoit pratiquer à l'Eglise, ce qui obligea fon pere de le pousser dans les estudes, l'aïant envoié pour cet effet à Pont-à-Mousson, où il acheva ses Humanités avec un tel progrès, qu'outre la langue Latine qu'il possedoit parfaitement, la Grecque lui estoit aussi familiere que la maternelle.

La vie qu'il mena estant écolier est tout-à-fait admirable & extraordinaire pour un jeune homme; car souvent il se deroboit du lit pour coucher sur des fagots, il portoit la haire ; & toutes les fois qu'il pouvoit se cacher de ses Compagnons, il prenoit la discipline jusqu'à l'effusion de sang. Ses Parens lui aïant envoié un Cheval, pour venir passer les vacances à

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VIE DUR P. Nanci, il le mena par la bride, & pour se mortifier fit le voïage à pied, par les bouës & les eaux dont le chemin estoit rempli. Il ne mangeoit qu'une fois le jour sur les huit ou neuf heures du foir, & des viandes si grossieres & en si petite quantité, qu'un morceau de falé de deux livres lui a duré cinq semaines entieres; de forte que son pere aïant scu cette maniere de vivre, & craignant que l'indifcretion sous pretexte de pieté ne lui ravist cet enfant, qu'il aimoit tendrement, il le vint trouver exprès pour lui en faire une forte reprimende, & lui commanda absolument de moderer ses austerités.

Il ne beuvoit point de vin, & il s'est repenti le reste de ses jours d'avoir fait, à ce qu'il disoit, une débauche & commis un grand crime le jour de saint Nicolas, que les Ecoliers ont coustume de se divertir entr'eux. Ils se mirent trois ou quatre ensemble, & contribuerent pour faire une somme de douze deniers, dont ils acheterent du vin, & le burent de compagnie: la quantité ne pouvoit pas estre bien grande vu la modicité dela somme, cependant c'estoit un excès pour lui, dont il se repentit toujours.

Il se confefsoit & communioit deux fois le mois , tous les jours il servoit une ou deux Messes avec tant de modestie & d'attention, que tous les assistans en estoient edifiez. Ilavoit ses heures reglées pour la priere, & quittoit pour cela toutes autres occupations. Estant entré en Philofophie à l'âge de dixsept ans, la capacité le fit rechercher par les premiers de la Province pour prendre le soin d'instruire, & d'élever leurs enfans. Il ne refusa pas cet offre; au contraire aïant fait attention que Dieu lui offroit par-là un moïen de le servir, il fit un voïage à Mirecourt, pour communiquer ce dessein à sa mere, & lui demander son confentement; car son pere estoit pour lors decedé. L'aïant obtenu il s'en retourna bien joieux, & reçut sous sa conduite la jeunesse qui lui estoit amenée de toutes parts. Illa gouverna avec tant de sagesse & par un ordre si judicieux, qu'il continua ce service à la Province l'espace de deux ou trois ans, pendant lesquels, aïant achevé sa Philosophie, il prit la resolution de se consacrer à Dieu en embrassant l'état Religieux.

Il choifit, au grand étonnement de tout le monde, l'Ordre des Chanoines Reguliers,à qui il ne restoit plus en Lorraine de sa premiere gloire que le seul habit qui le déguisoit en mille

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façons, paroissant Regulier au-dehors & ne l'estant nullement VIE DUR.P. au dedans. Les desordres qui éclatoient tous les jours dans cet Ordre auroient pû dégouter une ame qui n'eut eu d'autre conduite que celle des hommes; mais comme il estoit inspiré du saint Esprit, il n'y entra que pour détruire le vice & y planter

la vertu.

L'Abbaïe de Chaumonsey entre Epinal & Dompaire, fut le lieu où il fut reçu ; & quoi que dans ce tems-là on n'entroit que par argent dans cet Ordre, & par la faveur; néanmoins Dieu permit qu'encore qu'il n'eust dans cette Abbaïe, ni parens, ni emis, il fut reçu au nombre des Novices, où il n'eut pas peu à souffrir; puisque selon l'Auteur de sa vie, assister à l'Office teste nuë, fervir de mesme au Refectoire, ne ronger que des os comme des chiens, coucher au coin d'une cuisine, sonner les cloches, & laver les écuelles, c'estoit l'occupation des Novices de cette Maison, & de toutes les autres des Chanoines Reguliers de Lorraine.

Le tems qu'il emploia à l'estude de la Theologie en l'Université de Pont-à-Mousson après avoir prononcé ses Vœux, donna quelque relâche à ses maux ; mais à peine fut-il retourné en fon Abbaïe, que le demon fâché de voir la vie exemplaire qu'il menoit dans cette Maison, suscita contre lui trois ou quatre débauchés, qui ne pouvant souffrir la censure de leurs vices dans l'éclat de ses vertus, lui firent tous les affronts possibles. Ils vinrent souvent aux injures, le frappoient rudement, & attenterent mesme à sa vie en mettant du poison dans le pot où il avoit accoustumé de faire cuire des legumes, dont il ne mangeoit qu'une fois le jour. Mais il fut preservé de ce peril par la providence de Dieu, qui lui donna une si grande horreur de quelques saletés qu'il apperçut dans son manger, qu'il ne lui fut pas possible d'en goûter. Depuis ce tems-là une bonne femme d'un Village voisin lui apportoit tous les jours autant qu'il en falloit pour ne pas mourir de faim.

Il demeura jusqu'à l'âge de trente-ans parmi ces persecutions domestiques sans jamais se plaindre. Mais ses parens emploierent leurs amis pour le tirer de cette misere & travaillerent si efficacement, qu'en mesme tems ils lui firent prefenter trois Benefices, celui de Nomeny, la Cure de saint Martin de Pont-à-Mousson, & celle de Mataincourt, avec fon an

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VIE DUR.P.
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nexe de Hymont. Il ne voulut rien accepter sans avoir confulté fon Directeur le Reverend Pere Jean Fourier de la Compagnie de Jesus, son parent, fur le choix qu'il devoit faire de ces trois Benefices. Il lui repondit que s'il defiroit des richeffes & des honneurs, il falloit prendre l'un des deux premiers; mais que s'il vouloit beaucoup de peine & peu de recompenfe, il le trouveroit à Mataincourt. Il n'en falut pas davantage pour determiner ce faint homme, il accepta la Cure de Mataincourt, & en obtint la permission de fon Abbé le vingt-sept May 1597.

Il trouva dans cette Paroisse tant de defordres, qu'on appelloit ordinairement ce lieu-là la petite Geneve. Le Christianisme y estoit presque en oubli, la Messe Paroiffiale ne s'y celebroit que les bonnes Festes. Les Sacremens de Penitence & d'Euchariftie ne s'y administroient à peine que dans le tems de Pâques. L'Eglise estoit deferte, les Autels tous nuds & dépoüillés, tandis que les Cabarets regorgeoient tous les jours de debauchés & de buveurs. Il y entra le jour que l'on celebroit la Feste du saint Sacrement, qu'il porta publiquement en Procession avec une gravité & une modeftie si ravissante, que ce Peuple qui n'avoit aucun goût des choses de Dieu & qui estoit tout enseveli dans le tombeau de la diffolution, ne put s'empêcher d'en estre touché. Ce Saint homme faisoit des Cathechismes deux fois la semaine, & outre ces Inftructions publiques, il en faisoit encore de particulieres dans les MaiTons, allant de famille en famille pour leur apprendre & leur inculquer plus profondement les chofes du falut, parcourant de la sorte toute sa Paroisse avec un courage infatigable, & un profit au-delà de tout ce qu'on peut dire & concevoir. L'on vit tout d'un coup un tel changement dans cette Paroisse, que c'estoit une infamie d'entrer dans les Cabarets. Plusieurs personnes jeûnoient tous les Vendredis & Samedis ; d'autres se deroboient de leur famille pour prendre la discipline, & s'en alloient à leur travail & à la charuë la haire sur le dos. Ce n'estoit qu' Hospitalité pour les Etrangers, que charité pour les pauvres, qu'amour pour les voisins, & qu'une fainte émulation à qui meneroit une, vie plus exemplaire, & plus Chré

tienne.

Ils estoient animés par l'exemple de leur saint Pasteur, qui travailloit à leur falut avec un zele qui ne se peut exprimer.

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