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SES FEUIL

RELIGIEU- San-Vito. Durant le féjour qu'ils y firent, ils remarquerent LANTINES. que fept ou huit filles vêtues de blanc, & portant fur la tête un voile de même couleur, à la maniere des Religieu ses de Câteaux, venoient tous les jours prier dans l'Eglife de ce Monaftere. Cette nouveauté les furprit, & s'en étant informés, on leur dit que ces bonnes filles avoient la volonté d'être Religieufes; mais que faute d'argent pour entrer en Religion, elles vivoient ensemble fous la protection de faint Bernard.

Dom Jacques de la Rochemoufon,l'un de ces Religieux, voulut aider ces bonnes filles dans leurs faints defirs, & tout étranger qu'il étoit, fans biens, fans appui, & prefque fans aucune connoiffance à Rome, dans le tems même qu'il ne devoit fonger qu'à l'établiffement de fa Congregation, il entreprit de leur procurer une Maison. Il étoit d'une Famille noble d'Auvergne,& il avoit fait profeffion dans l'Abbaïe de la Chaize-Dieu. Sa naiffance, fon merite, & fa grande capacité, le firent connoître au Roi Charles IX. qui voulut qu'il exerçât la Charge de Vicaire Général au fpirituel & au temporel de Charles de Valois fon fils naturel Grand-Prieur de France,& Abbé de la Chaize-Dieu. Dom Jacques s'acquitta de cet Emploi avec honneur: mais enfin aïant eu occafion d'aller à l'Abbaïe de Feüillans, il fut fi touché de la vie auftere des faints Religieux qui y demeuroient fous la conduite de Dom Jean de la Barriere,qu'il le pria de le recevoir au nombre de fes Difciples. Le faint Abbé le reçut avec joïe, & après qu'il eut fait profeffion de cette Réforme, il alla prêcher quelquefois à Sauvens. Il eut lieu par ce moïen de connoître la ferveur de ces Dames, qui s'y difpofoient pour embraffer auffi la réforme des Feüillans. Aïant été enfuite envoïé à Rome, il entreprit de fecourir les faintes filles dont nous venons de parler, qui s'affembloient dans l'Eglife de San- Vito pour y faire leurs prieres, & il s'en préfenta peu de tems après une occafion favorable. Car le Cardinal Rufticio, Protecteur de l'Ordre de Câteaux, faifant rebâtir l'Eglife de fainte Sufanne,qui étoit fon titre, fans autre deffein que de fatisfaire à l'obligation que fa pieté lui avoit infpirée; Dom Jacques qui vifitoit fouvent ce Prélat, comme Protecteur de l'Ordre, lui perfuada de joindre à cette Eglise un Monaftere de faintes Vierges, & lui parla

LANTINES.

de ces filles qui vivoient en Communauté fous la protection RELIGIEUde faint Bernard, & qui faute d'argent ne pouvoient être SES FIUILReligieufes. Le Cardinal ravi de trouver une fi belle occafion de fignaler fa pieté envers Dieu, & fa charité envers le prochain, écouta avec plaifir la propofition que lui fit Dom Jacques, & fit bâtir un Monaftere, où il mit ces faintes filles, aufquelles il donna pour Superieure une Religieufe tirée du Monaftere de fainte Cecile, & les mit fous la direction des Feuillans, qui leur firent embraffer l'étroite Obfervance de Câteaux: ainfi on peut dire que les Religieufes de fainte Susanne de Rome, qui fubfiftent encore aujourd'hui, ont été les premieres Feüillantines, quoiqu'elles n'en aïent pas porté le nom : cet honneur étant refervé pour les autres qui étoient à Sauvens. Dom Jean de la Barriere les avoit toûjours entretenu dans leur deffein, jufqu'à ce qu'enfin aïant reçu l'an 1586. la premiere Bulle du Pape Sixte V. qui érigeoit la nouvelle Congregation des Feuillans, & leur permettoit de bâtir des Monasteres de l'un & de l'autre sexe, il travailla pour établir celui des Feuillantines,& après avoir obtenu les permiffions neceffaires, & reglé toutes chofes pour les mettre à Montefquiou de Volveftre, Diocéfe de Rieux, il en laiffa l'execution à un de fes Religieux, aïant été obligé par ordre du Roi Henri III. d'aller à Paris.

Tout étant difpofé & en état de recevoir cette nouvelle Colonie,elles fe rendirent à Feüillans au nombre de quinze, d'où elles partirent le 23. Mai 1588. fous la conduite de Dom François Rabaudi leur Superieur, pour aller premierement à Rieux, afin d'y recevoir la benediction de l'Evêque Jean du Bourg, & enfuite à Montefquiou, où ce Prélat fe tranfporta pour leur donner le voile de Religion, dont la cérémonie fe fit le 19. Juin de la même année, & l'année suivante elles firent leurs vœux folemnels. Dom Jean de la Barriere aïant destiné pour leur Superieure Marguerite de Polastron de la Hilliere, âgée de 58. ans, veuve d'Anne d'Y zalquier de Clermont de Dieupantale, Seigneur de Margeftand, cette Dame ne voulut pas recevoir l'habit la premiere par humilité, voulant que ce fût fa fille Jacqueline de Dieupantale,à cause de sa virginité : elle accepta neanmoins la Superiorité.

La ferveur de ces faintes Religieufes devint l'admiration de tout le Roïaume. Comme il y avoit alors peu de Mona

LANTINES.

RELIGIEU fteres de filles où l'Obfervance Reguliere fût gardée exacte SES FEUIL- ment; on respectoit d'autant plus le Monastere de Montef quiou, qu'on y voïoit des pratiques de vertu & de mortifi cation qui paroiffoient prefque inimitables. En effet, ce genre de vie pratiqué par les Feüillans & les Feüillantines,fe trouva fi au deffus des forces humaines, que Clement VIII. aïant appris, comme nous l'avons dit dans le Chapitre précedent, que quatorze Religieux étoient morts dans une femaine, ordonna au Chapitre Général de l'an 1595.de moderer ces grandes aufterités : ce qui fut fait de la maniero que nous l'avons rapporté au même endroit.

Le nombre des Religieufes Feüillantines augmentant do jour en jour, leur Maison se trouva trop petite, & la ville de Montefquiou n'étant pas affez confiderable pour renfermer une fi nombreuse Communauté, on refolut de transferer ces Religieuses à Toulouse. Le Cardinal de Joyeuse, Archevêque de cette ville, aïant obtenu une Bulle du Pape pour la fuppreffion d'une Maifon Religieufe, où le dérégle ment s'étoit gliffé, voulut donner cette Maison aux Feuil lantines;mais ces faintes filles ne voulant nuire à perfonne,ni s'établir fur les ruines d'aucune autre Communauté,refuserent les offres de ce Prélat, & trouverent moïen de s'établir dans un autre lieu, dont elles prirent poffeffion le 12. Mai 1599. après avoir quitté avec beaucoup de peine Montefquiou, dont les habitans fâchés de perdre de fi faintes filles prirent les armes pour s'oppofer à leur fortie.

Etant arrivées à Toulouse, on commença les bâtimens d'un Monastere & d'une Eglife, par les liberalités de plufieurs Dames qui s'y retirerent, & principalement par celles d'Antoinette d'Orleans, fille de Marie de Bourbon, & d'Eleonore d'Orleans Duc de Longueville, qui fe trouvant veuve de Charles de Gondi, Marquis de Belle-Ifle, & n'aïant pû être admise au nombre des Religieufes de l'Ave Maria à Paris, qui ne recevoient point de veures, alla à Toulouse, où elle fut reçue par les Feuillantines, dont elle prit l'habit l'an 1599. n'étant âgée que de 26. ans. Quoiqu'elle fût obligée fept ans après de paffer dans l'Ordre de Fontevraud par ordre du Pape, pour y être Coadjutrice de l'Abbeffe Eleonore fa tante, elle ne quitta pas pour le fouvenir de fa premiere profession: car elle fonda un

cela

Monaftere

:

SES FEUIL

Monaftere à Poitiers l'an 1617. où avec quelques Religieu- RELIGIE fes de l'Ordre de Fontevraud qui la voulurent fuivre, elle LANTINES reprit l'habit des Feuillantines ; & étant morte quelque tems après, elle voulut que fon corps fût porté au Monaftere de Toulouse.

y

La retraite de cette Princeffe dans le Monaftere des Feüillantines de Toulouse,y attira un grand nombre de personnes de distinction: de forte que l'an 1602. quatorze ans après leur fondation, elles fe trouverent cinquante Profeffes, & il avoit eu plus de deux cens Novices qui en étoient forties, ne pouvant fupporter les grandes aufterités de cet Ordre. La réputation de ces Religieufes s'augmentant de jour en jour, plufieurs perfonnes voulurent fonder d'autres Monafteres du même Ordre pour communiquer aux autres Provinces les exemples d'une vertu fi fainte, & donner aux ames pieufes des Maifons de retraite, où elles puffent fe confacrer à Jefus-Chrift, & renoncer aux vanités du fiécle. Mais les Feuillans, qui étoient les Directeurs de ces Religieufes & leurs Superieurs, s'oppoferent à cette propagation, & dans le Chapitre Général de l'an 1592. il fut ordonné qu'on ne fe chargeroit plus de la direction d'aucunes Religieufes, à l'exception du feul Monaftere des Feuillantines de Toulouse: ainfi en vertu de ce Réglement, on quitta les Religieufes de fainte Susanne de Rome. Il y a de l'apparence que dans ce tems-là on préfenta plufieurs établiffemens pour des Feuillantines, puifque dans le Chapitre Général de l'an 1595. il fut de nouveau conclu qu'on s'en tiendroit au Réglement du Chapitre précedent, & qu'on n'accepteroit pas les nouveaux établiffemens que l'on offroit. On refufa encore en 1598. une fondation que M. Sublet des Noyers, Maître des Comptes à Paris, vouloit faire en faveur de deux de fes filles, qu'il conduifit lui-même depuis à Toulouse au Monaftere des Feüillantines: où elles prirent l'habit & firent profeffion.

L'an 1602. le Comte de faint Pol étant à Rome demanda aux Peres Feüillans affemblés en leur Chapitre Général, au nom de trois Princeffes fes fœurs, la permiffion de fonder à -Paris deux Maifons de Feuillantines: ce qu'elles vouloient faire en confideration de Madame Antoinette d'Orleans leur four, Religieufe à Toulouse; mais ils s'en excuferent fur Ggg

Tome V.

.LANTINES.

RELIGIO les Reglemens faits dans les Chapitres précedens, & n'acSES FEUIL- Corderent point cette permiflion. Le Cardinal de Sourdis Archevêque de Bourdeaux, reçut un femblable refus en 1604. mais enfin Dieu dont les deffeins font bien differens de ceux des hommes, voulant faire connoître la fainteté de fes nouvelles Epoufes, & multiplier ces Sanctuaires, où on chantoit jour & nuit des Cantiques de louanges à la gloire de fon nom, permit que la Reine Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII. voulut avoir des Feuillantines à Paris. Le refpect qu'on devoit à cette Princeffe fit ceffer toutes les oppolitions qui s'étoient trouvées jufqu'alors de la part des Superieurs, qui firent partir de Toulouse fix Religieufes le 30. Juillet 1622. pour aller à Paris prendre poffeffion d'une nouvelle demeure qu'on leur avoit préparée au fauxbourg faint Jacques: les deux filles de M. Defnoïers furent du nombre de ces fix Religieufes.

Elles eurent pour Superieure Donne Marguerite de fainte Marie. Elle s'appelloit dans le monde Marguerite de Clausse de Marchaumont, & étoit fille d'Henri de Clauffe de Marchaumont Seigneur de Fleuri, Confeiller d'Etat, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, Sur-Intendant & Grand-Maître des Eaux & Forêts de France, & de Denise de Neuville de Villeroi. Elle époufa en premieres nôces Henri Seigneur de Foui, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, Capitaine de cinquante Hommes d'Armes, & Gouverneur du Vexin: mais ce Seigneur étant mort fix mois après leur mariage, elle époufa en fecondes nôces Salomon de Bethune Seigneur de Rofni, auffi Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, & Gouverneur de Mantes & de Meulan, qui aprés deux ans & demi de mariage, la laiffa encore veuve pour la feconde fois à l'âge de vingt-deux

ans.

Une fi grande jeuneffe accompagnée d'une parfaite beauté, foutenue par fa nobleffe & par fes grandes richeffes, lui attira les cœurs de plufieurs Seigneurs de la Cour, qui se faifant gloire d'entrer dans fon alliance la rechercherent en mariage, mais ce fut inutilement ; car écoutant les inspirations du Ciel & défabusée des vanités du fiécle & des grandeurs de la terre,elle forma le deffein de fe faire Religieufe Feüillantine & de ne plus aimer que Jesus-Chrift, auquel

J

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