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RELIGIEUI les entretenir, ) mais encore pour éviter l'oisiveté qui est FEUILLANS la mere de tous les vices & la ruine des ames religieuses, Les uns cardoient de la laine, les autres la filoient, & d'autres étoient occupés à faire du drap.

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Telle étoit la vie de Dom Jean de la Barriere & de ses Disciples dans les commencemens de cette Réforme: ce qui leur attira beaucoup de traverses, principalement de la part * des Religieux de Cîteaux; qui chercherent tous les moïens qu'ils purent pour empêcher son progrès, la regardant comme une fingularité incommode, & qui condamnoit le relâchement dans lequel presque tous les Monasteres de l'Ordre étoient tombés. C'est pourquoi Dom Jean de la Barriere voulant prévenir les empêchemens que l'on pouvoit apporter à la continuation de sa Réforme, eut recours au Pape Sixte V. qui approuva leur maniere de vie l'an 1586. défendant aux Religieux de Cîteaux de les troubler dans leur Obfervance, ordonnant néanmoins que les Feüillans soroient foûmis à leur visite & correction dans les choses seulement qui ne seroient pas contraires à l'étroite Observance qu'ils avoient embrassée, & que s'il arrivoit de la difficulté au sujet de ces mêmes Obfervances, pour sçavoir si elles étoient contraires à la Reglede faint Benoît, la connoissance en appartiendroit aux souverains. Pontifes. L'année suivante 1587. le même Pape approuva de nouveau cette Réforme qui n'étoit pas encore fortie de l'Abbaïe de Feüillans, dans laquelle il y avoit pour lors (selon le témoignage de ce Pontife) cent quarante Religieux Profés, & plusieurs Novices, comme il le déclare dans sa Bulle: il leur donna aussi permission de bâtir des Monafteres de cette Réforme, tant pour des Religieux que pour des Religieuses. Il fit même rester à Rome deux Religieux qui y avoient été envoïés par Dom Jean de la Barriere pour obtenir ces Bulles, & il ordonna à ce Réformateur d'y en envoïer un plus grand nombre, parce qu'il vouloit leur donner un établissement: il accepta cet ordre de sa Sainteté avec beaucoup de joïe, & il y en envoïa un nombre fuffisant pour faire Communauté. On les logea d'abord dans une petite maison de l'Ordre appollée San-Vito, & le Pape leur donna quelque tems après celle de sainte Pudentienne à laquelle ils ont joint depuis un beau Monaftere...

Le Roi Henri III. en voulut aussi avoir à Paris. Il pria

FEUILLANS

le saint Abbé de lui en envoïer soixante, ausquels il fit bâtir RELIG
un magnifiqueCouvent dans la ruë S.Honoré. Dom Jean de
la Barriere les accompagna lui-même. Ils entreprirent ce
long voïage nuds pieds sans sandales, nonobstant la foi-
blesle, où les jeûnes & les veilles les avoient reduits. Ils fai-
foient tous leurs exercices par le chemin, comme s'ils eussent
été dans leurs Monasteres, sans que cinquante cuirassiers
qui les accompagnoient de la part du Roi les détournassent
de leur attention & de leur dévotion. Ce Monarque qui
étoit au Couvent des Bons-Hommes dans le bois de Vin-
cennes, les envoïa recevoir à Charenton, où ils arriverent le
11. Juillet 1588. Il alla lui-même à leur rencontre pour leur
témoigner sa bienveillance : ils se prosternerent tous en terre,
& le Roi leur aïant fait donner la benediction par le Car-
dinal de Bourbon qui l'accompagnoit, il les releva & les
conduifit en ce Couvent, où il les logea & les entretint jus-
qu'à ce que leur Couvent de la ruë S. Honoré étant achevé,
ils en prirent possession le 8. Septembre de la même année.

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Pendant les troubles dont le Roïaume fut agité dans ce tems-là, Dom Jean de la Barriere demeura toûjours fidele au Roi malgré les complots de la Ligues & s'étant trouvé à Bourdeaux dans le tems de la mort funeste de ce Prince, il lui fit de magnifiques funerailles, dans lesquelles il prononça fon Oraison Funebre. Ses Religieux ne l'imiterent pas dans sa fidelité envers leur Souverain, plusieurs se laifferent entrainer par la fureur de la Ligue où ils entrerent. Un des plus féditieux fut Dom Bernard de Montgaillard, appellé le petit Feüillant, qui aprés l'entrée triomphante d'Henri IV. dans la ville de Paris qui s'étoit volontairement soumise à son obeïssance, ne croïant pas que les excès dans lesquels il étoit tombé pussent lui être pardonnés, fortit de cette ville avec la garnison Espagnole & se retira en Flandres auprés de l'Archiduc Albert, qui lui donna l'Abbaïe d'Orval dans la Province de Luxembourg, où pour reparer ses fautes il établit la réforme qui subsiste encore & qui approche de celle de la Trape & de Sept fonds, dont nous parlerons dans leur lieu.

Pendant que les Religieux Feüillans étoient ainsi malheureusement engagés dans cette Ligue, ils dévinrent les perfecuteurs de leur saint Instituteur qui condamnoit leurs

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PELIGIEUX fausses démarches par sa fidelité & son attachement, à som
FEUILLANS Prince, ils ne le regarderent plus que comme un homme qui

avoit des sentimens contraires aux interêts de la Religion,
& ils obtinrent du Pape Sixte V. la convocation d'une Con
gregation Générale en Italie. Dom Jean de la Barriere in-
formé des intentions de sa Sainteté, se rendità pied à Turin,
& aprés y avoir tenu une Affemblée, composée seulement
des Superieurs des Maisons d'Italie, il alla à Rome, tandis
qu'on tenoit en France contre lui un Chapitre Général à.
Cîteaux. Le Pere Alexandre de Francis Dominicain & de-
puis Evêque de Forli, Présidant à ce premier Chapitre
Général des Feüillans en Italie, qui ne se tint que l'an 1592.
fous le Pontificat de Clement VIII. interrogea l'Abbé de.
Feüillans sur les crimes dont il étoit accusé: auquel quoi-
qu'innocent il ne répondit qu'en disant qu'il étoit un grand
pecheur: ce qui étant regardé comme un aveu deces mêmes
crimes, il fut fufpendu de l'administration de fon Abbaïe
avec défense de dire la Messe, & ordre de se presenter une
fois le mois au Tribunal de l'Inquifition.

Ce fut dans ce Chapitre que Dom Jean Gualteron François, né à Châlons en Champagne, fut élu pour premier Vicaire Général de la Congregation, les Religieux y quitterent leurs noms de Famille pour prendre ceux de quelques Saints. Ainsi Dom Jean Gualteron ajoûta à son nom de Batême celui de saint Jerôme, & Dom Jean de la Barriere, celui de faint Benoît. Un des premiers soins du Vicaire Général, fut de faire exempter sa Congrégation de la jurifdiction des Superieurs de Citeaux. C'est ce qu'il obtint la même année du Pape Clement VIII. qui la soûmit immediatement au faint Siege, & qui accorda à ces Religieux la permiffion de dresser des Constitutions particulieres. Six Religieux furent nommés pour y travailler, qui furent Dom Jean de faint Jerôme, Dom Pierrede faint Bernard, Dom Philbert de fainte Pudentienne, Dom Pantaleon de saint. PlaGide, Dom Jean de faint Maur & Dom Alexandre de saint Michel; le Pape de fon côté nomma aussi le Pere Alexandre de Francis, dont nous avons parlé, qui fut dans la suite Evêque de Forli, & Côme d'Offone Religieux Barnabite, qui fitauffi Evêque de Tortonne..

Ces Conftitutions aïant été dressées, elles furent présen

tées au Chapitre Général qui se tint l'an 1995. où aïant été RELIGIEUX reçuës, le Pape les approuva, & elles furent imprimées à FEUILLANS Rome la même année. Ces Constitutions modérerent leur grande rigueur : le souverain Pontife l'aïant ainsi ordonné à cause que quatorze Religieux étoient morts dans l'Abbaïe de Feüillans en une semaine. Il leur fut permis de se couvrir la tête, de porter des sandales de bois, de manger des œufs, du poisson, de l'huile, du beure & du fel, & de boire du vin: il y a seulement certains jours marqués ausquels il ne leur est pas permis de manger des œufs & du poisson : car ils doivent s'en abstenir les Mercredis & les Vendredis, à moins que dans ces jours-là il n'arrive une Fête de premiere Classe, & pour lors l'abstinence des œufs & du poiffon est remise à un autre jour. Les jours de jeûne d'Eglise & pendant l'Avent & le Carême ils ne doivent manger ni œufs, ni beure ni laitage. Le beure est seulement permis où l'huile n'est pas commune, mais ils ne le doivent manger quedans les sausses. Outre les jeûnes prescrits par l'Eglise ils jeûnent encore tous les Mercredis & les Vendredis, & tous les jours depuis la Fête de l'Exaltation de la sainte Croix jufqu'à Paques. Ils se levent à deux heures aprés minuit pour dire Matines, suivant l'usage prescrit dans les Congregations réformées qui suivent la Regle de saint Benoît. Ils dorment fur des paillaffes, & il est permis à ceux qui le veulent, de prendre leur repos fur des planches. Ceux qui pareillement veulent s'abstenir de vin le peuvent, à moins que le Superieur ne le défende expressément. Les Prêtres & les Clercs doivent tour à tour servir à la cuisine, & ils ne se servent que de vaisselle de terre: ces observances font encore en pratique dans cet Ordre, excepté qu'ils se sont chaufsés depuis peu,en vertu d'un Bref qu'ils ont obtenu du Pape Clement XI.

Quelque tems aprés la tenuë de ce Chapitre General, ils obtinrent un autre établissement dans Rome aux Thermes de Diocletien, où la Comtesse de Santafiore, Catherine Sforce leur fit bâtir un beau Monastere & une Eglise, sous letitre de saint Bernard, qui fut finie l'an 1598. la même année ils tinrent un autre Chapitre, où le Pere Dom Guillaume de saint Claude étant élu Général, on demanda le rétablissement de Dom Jean de la Barriere: ce que l'Evêque de Forli aïant

RELIGIEUX empêché par ses intrigues, le Cardinal de Joïeuse eut envie FEUILLANS d'enlever ce faint Abbé & de l'emmener à Paris; mais il s'y

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opposa & n'y voulut jamais consentir. Catherine de Nobilis Duchesse de Sforce s'adressa au Cardinal Bellarmin, qui parla au Pape en faveur de l'innocence opprimée par la calomnie. Clement VIII. chargea ce Cardinal de revoir le procès. Ille revit, interrogea les Religieux séparément, s'entretint plusieurs fois avec Jean de la Barriere, sans lui parler du procès, fit rapport de tout au Pape, & l'assura que cet Abbé étoit un Saint qu'on tenoit dans l'oppression. Le Pape détrompé reprocha à l'Evêque deForli l'injustice desa sentence, & lui défendit de paroître jamais devant lui. L'Evêque frappé de cette disgrace, alla faire fatisfaction à l'Abbé, & mourut trois jours aprés accablé de honte & de douleur. Le Pape,aprés que le procès eut été reveu en sa prefence & en celle de plusieurs Cardinaux, ordonna au Cardinal Bellarmin d'aller prononcer la sentence d'absolution, avec ordre de retenir Dom Jean de la Barriere à Rome : mais aïant reçû fon absolution, il mourut dans son Monastere de faint Bernard à Rome le 25. Avril 1600. entre les bras du Cardinal d'Offat, étant dans la cinquante sixiéme année de fon âge. La Comtesse de Santa-Fiore, Fondatrice de ce Monastere, voulut que ses obseques fussent des plus magnifiques que l'on eût vûes depuis long-tems à Rome. Son cœur aïant été enfermé dans une boëte d'argent fut envoïé à l'Abbaïe de Feüillans, & l'an 1626. comme on tranfportoit fes offemens dans un sépulcrede marbre au milieu dela même Eglise de faint Bernard, on en donna la tête & les pieds à M. Sponde Evêque de Pamiers pour les porter auffi à Feüillans où la tête est seulement restée, les pieds aïant été portés à Paris dans le premier des deux Monafteres de son Ordre qui font en cette Ville.

Aprés la mort de Dom Jean de la Barriere le Pape Clement VIII. qui étoit en droit, par cette vacance en Cour de Rome, de donner l'Abbaïe de Feüillans, la confera à Jean Ballade, qui deux ans aprés l'an 1602. la remit à cette Congregation dans un Chapitre Général. LeRoi Henri IV. céda pour toûjours fon droit de nomination à cette Abbaïe, & confentit qu'un Abbé triennal fût élu par les Chapitres Gé

néraux : ce qui fut confirmé par le Pape: & depuis ce tems

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