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CLUSE.

n'eft pas vrai-femblable qu'il eût attendu fi long-tems aprés CONGREla fondation de ce Monaftere, pour demander au Pape la CATION DE permiffion de faire cet établiffement, d'autant plus que Willaume en parlant de la conftruction des Offices & autres lieux reguliers de ce même Monaftere, (qui felon lui fut terminé en 966.) nous donne à entendre qu'il avoit déja obtenu les Lettres patentes & autres privileges, tant du Pape que du Souverain. Voilà ce qu'il en dit : Anno igitur DCCC. LXVI. incarnationis Dominica, conftructis, ut fertur, in eodem loco felicicer officinis cœnobialibus prout erat poffibile, cum ille vir illuftris Hugo, in armis ftrenuus, fed in Dei rebus circa finem, magis devotus, locum, quem fibi ut proprium vindicaverat & Apoftolica authoritate feu praceptis regalibus munierat, Abbati dumtaxat ac Monachis habendum tradidiffet. Ainfi il eft fort douteux que le Pape de qui il obtint ces Privileges, portât le nom de Silvestre, puifque, comme je l'ai déja dit, Silvestre II. ne monta fur le Trône Apoftolique que l'an 999. trente trois ans aprés cette fondation.

Le Pere Mabillon taxe çet Auteur d'obfcurité, & avec justice, puifque dans la fuite de fon discours, il fait naître encore une autre difficulté au fujet de l'établiffement de ce Monaftere de Clufe: car immediatement aprés avoir dit que Hugues le donna à un Abbé & à des Moines,il ajoûte ces paroles: Poftquam etiam fanctus Foannes eremita, nec non & bona memoria Advertus Abbas migraffent ad Dominum, fucceffit ei in regimine fratrum confenfu & electione, vir fimplicitatis ac prudentia merito Benedictus & nomine : ce qui donne lieu de douter, fi c'eft la fondation du Monaftere ou l'élection de Benoît qu'il met en 966. Mais comme le remarque fort bien ce fçavant Benedictin, il eft plus probable qu'il veut parler de la fondation du Monaftere, & non pas de l'élection de cette Abbé, qui n'aïant gouverné ce Monaftere que pendant quarante-quatre ans, n'auroit pu affifter en cette qualité au Concile de Limoge, qui se tint en 1031, où il eft certain qu'il affifta la quarante & uniéme année aprés fon élection qui fut en 990.

Hugues aïant donc mis la derniere main à fon Ouvrage, fit venir dans ce nouveau Monaftere de faints Religieux, qui y vêcurent dans l'observance de la Regle de faint Be

SATION DE

CLUSE.

CONTRI- noît, fous la conduite d'Advert qui en fut le premier Abbé, auquel fucceda Benoît,dont la vie étoit fi innocente& fi fainte,que fes actions fembloient plus angeliques qu'humaines. Sa charité étoit fi grande qu'il recevoit fans diftinction tous ceux qui lui venoient demander l'hofpitalité. Auffi Dieu qui dit dans fon Evangile, que ceux qui donneront un verre d'eau froide en fon nom en recevront la recompenfe, donna la confolation à ce faint Abbé, non feulement de recevoir un grand nombre d'Ultramontains, qui attirés par fa fainteté, venoient embraffer le chemin de la penitence fous fa conduite; mais encore de voir augmenter fon Monaftere en biens & en honneurs pendant les vingt-quatre ans qu'il le gouverna avec tant de fageffe & de prudence que ce même Monaftere étoit l'admiration de tout le monde, par la regularité & la fainteté de fes prati

ques.

Mais quelle que foit la ferveur d'un Monaftere dans son établissemeut, elle diminuë toûjours à mesure qu'il s'éloigne de fon origine, fi les Superieurs aufquels Dicu en a confié la conduite, n'ont foin de s'oppofer aux moindres abus,& d'en éloigner les ufages & les pratiques étrangeres, qui quand elles y font une fois introduites, ne peuvent plus en être déracinées, fans en venir à des remèdes extraordinaires, tels furent ceux que l'Abbé Benoît, ( furnommé le Jeune, pour le diftinguer de celui dont nous venons de parler,) fut obligé d'apporter dans celui de Clufe, qui avoit déja eu le malheur de fe relâcher de fes Obfervances, dans l'intervalle du tems qui s'étoit écoulé entre la mort du premier Benoît fucceffeur d'Advert, & l'élection de Benoît le Jeune, qui fe fit en 1066. par tous les fuffrages des vocaux, qui partagés en deux ( les uns voulant un nommé Bertrand, eftimé pour fes bonnes mœurs & fa grande fcience, les autres fouhaitant Aic, Prieur du Monaftere qui fe diftinguoit par sa severité pour l'Obfervance, ) fe réunirent enfin en fa faveur.

Ce faint Abbé étoit de la ville de Touloufe,noble d'extraction, & neveu du dernier Abbé de Clufe, dont on ne dit pas le nom. Il avoit été élevé dès fa plus tendre jeuneffe, dans le Monaftere de faint Hilaire de Carcaffonne, auquel il avoit été donné par fon pere, nommé Bernard, d'où il

étoit paffé à l'Abbaïe de Clufe pour y vivre dans une plus CovaREgrande Obfervance, ne pouvant fouffrir les relâchemens du GATION DE Monaftere où il avoit été élevé.

A peine fe vit-il paifible poffeffeur de fon Abbaïe, que l'Evêque de Suze lui avoit difputée, qu'il s'étudia à rétablir l'Obfervance reguliere,à laquelle il exhortoit fes Religieux, retranchant peu à peu les abus & les déreglemens qui s'étoient gliffés, tant dans leur habillement, que dans leur maniere de vivre, aïant quitté leurs premieres pratiques pour prendre celles des autres Monafteres qui s'accommodoient mieux à la chair & aux fens. Une morale fi opposée aux inclinations de ces Religieux, & le retranchement de ces pratiques aufquelles ils avoient pris goût, ne manqua pas de produire beaucoup de murmure & de défobéïffance, qui obligerent enfin ce faint Abbé à les envoïer dans d'autres Monasteres, & à fe faire de nouveaux difciples dont le plus grand nombre étant de jeunes Gentilshommes, leur bonne éducation lui faifoit efperer beaucoup de docilité à écouter fes inftructions & encore plus à les fuivre. L'effet seconda fi bien fes efperances, qu'ils reçurent toutes les pratiques de pieté qu'il leur prefcrivit & les obferverent d'autant plus volontiers, que non feulement il leur fervoit d'exemple & de modelle, mais même qu'il en obfervoit plus qu'il ne leur en prescrivoit, conservant toûjours, nonobftant fa grande regularité, beaucoup de douceur & de charité pour les freres & une grande dureté & rigueur pour foi-même, ne mangeant jamais ni viande, ni œufs, ni fromage, & fuïant le vin fort & agréable comme autant préjudiciable à l'ame qu'il étoit délicieux aux fens.

Il ne dormoit jamais fans fon habit qui confiftoit en une tunique, une coule & une ceinture: il évitoit le fommeil autant qu'il lui étoit poffible; & paffoit ordinairement le tems qui lui reftoit aprés Matines, dans l'Eglife aux pieds des Autels à prier la Majefté de Dieu qui étoit tout l'objet de fon amour. Son remede dans les maladies étoit le jeûne, il faifoit trois Carêmes pendant lefquels il ne quittoit point un cilice fort rude & fort long. Il difoit la Meffe avec tant de devotion qu'il paroiffoit hors de lui-même & tout abforbé en Dieu : & il ne fouffroit point qu'on dît d'autres Meffes pendant la conventuelle, afin que tout le monde pût affifter

CLUSE.

GATION DE

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CONGRE à un même facrifice. Il avoit tant de charité pour les hôtes CLUSE. & les pelerins, que non feulement il les gardoit les femaines, les mois & les années, mais encore à leur départ il avoit foin de leur fournir de l'argent & des commodités, pour ciliter leur voïage. Auffi merita-t'il d'en recevoir des lettres de congratulation de Gregoire VII. & de l'avoir pour défenfeur contre l'Evêque Cunipert, qui perfecutoit fon Monaftere, auquel ce fouverain Pontife écrivit une lettre très forte à ce fujet, dans laquelle il fe plaignoit de ce qu'il étoit » ennemi de la paix & de l'union qui étoient le propre des fer» viteurs de Dieu, lui difant de plus que l'on ne donnoit pas » la puiffance aux Evêques, pour opprimer à leur fantaisie les Monafteres qui fe trouvent dans leurs Diocêfes, & pour » ruiner le culte de Dieu & empêcher les obfervances regulieres par un abus de leur autorité : que ce n'étoit que pour » cette feule raison que l'on exemtoit les Religieux de la jurifdiction des Evêques qu'ainfi il prît garde que par fes vexations injuftes & malicieufes, il ne l'obligeât à foûmettre l'Abbaïe de Clufe au faint Siége: qu'il lui ordonnoit de fe préfenter au prochain. Sinode, pour y rendre compte de fa conduite fur ce fujet, & qu'en attendant il eût à rele"ver les Religieux de l'interdit qu'il avoit fulminé contre eux: finon,qu'il les déclaroit dès lors abfous.

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Mais nonobftant la vie fainte & innocente de ce ferviteur de Dieu, & malgré la Lettre du Pape, cet Evêque ne laiffa de le perfecuter, le fit chaffer de fon Abbaïe, & le fit. prendre prifonnier par les foldats du Roi d'Allemagne qui lui firent toutes les infultes imaginables, & qui lui en auroient fait encore bien d'autres, fi la Marquife Adelaïde Fille de Manginfroid Marquis de Suze, & époufe d'Odon, (qui avoient fondé un des Monafteres foûmis à l'Abbaïe de Clufe) ne l'eût fait délivrer de leurs mains, dont à peine fut-il forti& retourné à son Abbaïe,où il efperoit finir fesjours en paix, qu'il fut encore perfecuté par Willaume fucceffeur de Cunipert, & par Gregoire Evêque de Verceil, auquel il avoit refufé de dire la Meffe dans fon Eglife, parce qu'il étoit Schifmatique.

Le Monaftere de Clufe aïant repris malgré tous ees troubles fa premiere ferveur, redevint la bonne odeur de JesusChrift, enforte qu'il auroit été à fouhaiter pour fon bonheur

que

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