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CHAPITRE X X X V.

De l'origine des Religieufes de Cîteaux, appellées en France

L

BERNARDINE S.

Es Hiftoriens de l'Ordre de Cîteaux ne s'accordent point touchant l'origine des Religieufes de cet Ordre. Les uns, comme Britte, Barnabé de Montalvo, Chrifoftome Henriques & quelques autres,attribuent à fainteHumbeline foeur de faint Bernard, la gloire d'avoir été leur Inftitutrice. Ange Manrique au contraire voulant faire remonter leur origine à quelques années avant la retraite de cette Sainte, prétend qu'elles ont été fondées par faint Bernard,& qu'elles ont plus de fondement que les Religieux mêmes d'appeller ce Saint Docteur leur Pere & de porter fon nom. Dom le Nain Religieux de la Trape dans fon Hiftoire de l'Ordre de Câteaux eft de ce fentiment, auffi bien que M. Baillet & le Pere Philippe Bonanni de la Compagnie de Jefus dans fon Catalogue des Ordres Religieux. Et ce dernier pour appuïer fon fentiment renvoïe le Lecteur à ce qu'en dit Manrique dans fon Menologe de l'Ordre de Câteaux au 21. Août: ce qui eft une erreur vifible,puifqueManrique n'eft pas l'Auteur de ce Menologe,mais Henriqués qui y dit pofitivement que fainte Humbeline a été l'Inftitutrice des Religieufes de l'Ordre de Câteaux: in Gallia depofitio Beatiffima matris noftra Humbelina, B. Bernardi fororis, que ab ipfo mirabiliter converfa, faculi deliciis contemptis, rigidiffimam vitam inftituit & Reformationem Ciftertientium fanctimonialium divino afflante Spiritu inchoavit. Et dans l'Hiftoire qu'il a donnée en particulier de l'origine de ces Religieufes fous le titre de Lilia Ciftertii &c. il dit, parlant de faint Humbeline, qu'après qu'elle eut réfolu de fe confacrer à Dieu, & de renoncer au monde, elle fe retira dans le Monaftere de Juilly qui étoit pour lors de l'Ordre de faint Benoît: ad Juleium fe fe Canobium S. Benedicti Ordini ea tempeftate confecratum contulit: mais que dans la fuite elle perfuada aux Religieufes de ce Monaftere d'embraffer la Réforme de Cîteaux, qu'elle en donna avis à l'Abbé de Cîteaux par le moïen duNonce qui étoit en France;que cet Abbé y confenAaa iij

RELIGIER

SES BER-
NARDINES.

RELIGIEU. tit, & qu'ainfi le Monaftere de Juilli devint de l'Ordre de SSBER- Cîteaux.

NARDINES.

Manrique qui, comme nous l'avons dit, n'eft pas de ce fentiment, tâche de le détruire, & pour cela il fe fert de l'autorité de Guillaume Abbé de faint Thierri de Reims, ami intime de faint Bernard, dont il écrivit la vie du vivant même de ce Saint à fon infçu, laquelle il ne put achever étant mort avant ce faint Docteur. Mais ce premier Ecrivain de la vie de fainc Bernard ne leve point la difficulté qu'il y a entre ces Auteurs, &ne prouve point le fentiment deManrique:car il dit feulement que l'an 1113. qui étoit le quinziéme de la fondation de l'Abbaïe de Citeaux, faint Bernard avec trente Compagnons, y entra pour s'affujettir au doux joug de Jefus Chrift, fous la conduite de faint Etienne, & que comme plufieurs des Compagnons de ce Saint étoient mariés, & que leurs femmes avoient auffi refolu de quitter le monde pour fe confacrer à Dieu, l'on fonda à la priere de faint Bernard un Monaftere de femmes à Juilli dans le Diocéfe de Langres. Voilà tout ce qu'en dit cet Ecrivain: ainsi Manrique ne peut point en tirer aucune conféquence qui puiffe fervir de preuve à ce qu'il avance. Tout ce qu'il ya de feur, felon cet Ecrivain, c'est que ce premier Monaftere a été fondé à Juilli & qu'il en a porté le nom, quoique de fçavans Auteurs, entre lefquels font M. le Maître, le P. le Nain & M. Baillet, dans la vie de faint Benoît qu'ils ont écrite, difent que ce Monaftere s'appelloit Billette, fondés für certains Manufcrits où on lit Villetum. Mais outre qu'on trouve dans d'autres anciens Manufcrits,Julleium, & outre F'autorité de Guillaume Abbé de faint Thierri, dont nous avons déja parlé, le P. Mabillon qui a fait de fi fçavantes recherches fur l'état Monaftique, & en particulier fur celui de faint Benoît, dit pofitivement que ce Monaftere s'appelloit fuilly: ainfi nous devons nous arrêter au témoignage de l'Abbé Guillaume qui, comme nous l'avons dit, étoit contemporain & ami de faint Bernard, & au fentiment du P. Mabillon préferablement à celui des autres. Mais la plus. grande difficulté eft de fçavoir fi ces Religieufes étoient foûmifes aux Loix de Cîteaux : c'est ce que ce même Auteur nous éclaircit, en nous faisant voir l'origine & la fondation de ce Monaftere : ce qui doit être la folution de toutes les

Religieuse de Cisteaux

habit de Choeur

en 66

SES BER

difficultés qu'il peut y avoir au fujet de fon inftitution: LG F voilà ce qu'il en dit ; Milon Comte de Bar accorda ce Mona- NARDINES. ftere, c'est-à-dire de Juilli, à l'Abbaie de Molefme,afin qu'il fervît de retraite à des Religieufes qui y vêcuffent fous l'obéiffance de l'Abbé de ce même Monaftere, lequel Abbé leur donneroit quatre de fes Religieux pour les conduire : d'où il eft facile de conclure que le Monaftere de Juilli n'étoit point de l'Ordre de Cîteaux, puifqu'il étoit foûmis à celui de Molefme qui a toûjours été de l'Ordre de faint Benoît, & qu'il auroit été plus naturel d'envoïer à Juilli des Religieux de Câteaux, fi ces Religieufes en avoient profeffé la Regle, que d'y envoïer des Religieux Benedictins fous la conduite defquels elles ont été, puisque selon le P. le Nain, le Venerable Pierre, qui étoit un des premiers qui fortirent de Molefme, étoit Prieur de ces mêmes Religieux, lorfque faint Humbeline mourut non pas au Monaftere de Billette, comme il le dit, mais à celui de Juilli. Enfin pour terminer cette difficulté, il fuffit de dire que le premier Monaftere de Filles de cet Ordre ne fut fondé à Tart, Diocéfe de Langres que l'an 1120. par faint Etienne, & non pas par faint Bernard, ce qui fe prouve par les Chapitres Generaux des Religieufes de cet Ordre en France qui fe tenoient autrefois à Tart, comme la plus ancienne Abbaïe de tout l'Ordre.

Le Cardinal Jacques de Vitri dans fon Hiftoire d'Occident, dit que l'aufterité que pratiquoient les Religieux de cet Ordre dans le commencement de fon établissement, ne permit pas aux femmes,plus délicates que les hommes, de fe foûmettre d'abord à un joug fi pefant; mais que dans la fuite il s'en trouva d'affez genereufes pour pratiquer cette vie fi auftere. Il eft vrai que dans les vingt-cinq premieres années de fon établissement, il n'y eut aucun Monastere de filles de cet Ordre ; mais aprés que celui de Tart eut été fondé par faint Etienne l'an 1120. comme nous avons dit, il y en eut en France plufieurs autres, comme ceux de Fervaques au Diocése de Noïon, fondé l'an 1140. de Blandech dans le Diocéfe de faint Omer l'an 1153. & Montreüil-lesDames proche Laon l'an 1164. M. M. de fainte Marthe difent que Marcilli au Diocéfe d'Autun, où l'Abbé de Cîteaux Gui IV. mit des Religieux l'an 1460. avoit été fon

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