مهم DISSERTATION PRELIMINAIRE SUR L'ORIGINE ET SUR L'ANTIQUITÉ DE LA VIE MONASTIQUE. PARAGRAPHE I. Que les Therapeutes ont esté les Instituteurs de la vie A Monastique. YANT à traiter de tous les Ordres Religieux en particulier, nous ne pouvons pas nous empefcher de parler de l'origine & de l'antiquité de l'estat Monastique. Il est inutile de la faire remonter jusques au tems d'Elie & d'Elisée, comme il y en a qui le pretendent; puifque tout ce que nous lisons de ces Prophetes, de leurs difciples, des Nazaréens, des Rechabites, & de saint JeanBaptifte, que faint Jerôme nomme le Prince des Anachoretes, & que faint Jean Chrisostôme appelle le Prince des Moines; n'estoit que l'ombre & la figure de la vie Monaf zique. BIBLIOTECA Bellarm Le Cardinal Bellarmin dit que dans la loi de nature avant dle deluge, il y en avoit quelque ébauche: que dans la loy de chis cap. s. Moïse, il y en avoit eu une plus grande expression; mais qu'elle a receu sa perfection au tems des Apoftres. En effet il semble qu'on devroit rapporter fon origine à ce tems-là, après que quelques Peres, plusieurs fouverains Pontifes, les Conciles de Meaux & de Thionville & un grand nombre d'Efcrivains, ont reconnu les Apostres pour les Fondateurs de ce faint Institut, & leur exemple aïant esté suivi par les Chreftiens de l'Eglise de Jerufalem, qui n'aïant qu'un cœur & qu'une ame, vendoient tous leurs biens, & en apportoient le prix à leurs pieds, pour n'avoir rien qui les attachaft en cette vie. Neanmoins les Therapeutes dont parle Philon, emPhil. de brasserent une profession encore plus haute que celle des previt. contem. miers Chreftiens de Jerufalem; & Eufebe, Caffien, Sozomene & quelques autres, les regardent comme ceux qui ont tracé le plan des premiers Monafteres. Ce fut après que faint Marc cut fondé l'Eglise d'Alexandrie, où ses predications aïant attiré à la foi de Jesus-Christ un tres grand nombre de per-sonnes, il y en eut beaucoup qui embrafferent les regles les plus élevées & les plus estroites de la perfection Chreftienne; en quittant leurs parens & leurs amis, & se retirant dans la folitude pour s'y donner entierement à la vie contemplative; ce qui leur fit donner le nom de Therapeutes, c'est-à-dire medecins ou ferviteurs, parce qu'ils avoient foin de leurs ames & qu'ils fervoient Dieu. Ils establirent d'abord leurs demeures auprès du Lac Meris. Ils abandonnoient volontairement leurs biens, & ils quittoient fans aucun retour, pere, mere, femme & enfans, freres & fœurs, parens & amis. Ils avoient chacun leur cellule separée, qu'ils appelloient Semnée ou Monaftere. Ils y vaquoient feuls aux exercices de la priere & de la contemplation. Ils y eftoient continuellement en la prefence de Dieu. Ils faifoient la priere deux fois le jour, le matin & le foir. Le matin ils demandoient à Dieu de leur donner une journée heureuse, & de remplir leur esprit d'une lumiere celefte; & le foir, ils le fupplioient de les delivrer de l'affection des choses terrestres & fenfibles. Ils emploïoient le refte du jour à la lecture de l'Escriture fainte & à la meditation. Le plus souvent ils chantoient des Cantiques & des Hymnes. Leurs jeusnes estoient severes. Ils ne mangeoient & ne beuvoient qu'après le soleil couché. Quelques-uns demeuroient jusqu'à trois jours fans manger; il s'en trouvoit mefme qui passoient jusques à fix jours fans prendre aucune nourriture. Contens d'un peu de pain qu'ils afsaisonnoient de sel, ils croïoient que le comble de la delicatesse estoit d'y ajouster de l'hysope, & le septiefme jour ils s'assembloient dans une grande Semnée pour y affifter aux conferences & participer aux faints mysteres. Ces observances, ces austerites, & le reste de la vie des Therapeutes, conformes à ce que les Moines ont ensuite pratiqué, ont fait que non seulement Eufebe, Sozomene & Caffien, comme nous avons dit; mais auili un tres-grand nombre de celebres historiens, ont rapporté l'institution de la vie Monaftique à ces Therapeutes. 64. Comme saint Epiphane a donné à ces Therapeutes le nom d'Efféens ou Jefféens, prenant cette signification du nom de Jesus, qui veut dire Sauveur, & qui en langue Hebraïque Epiphan est la mesme chose que Therapeutes; il a este suivi par quel haref. 29. ques Escrivains modernes, entr'autres par le Cardinal Baronius, & par M. Godeau Evefque de Vence, qui parlent Baron: anauffi des Therapeutes sous le nom d'Efféens ou Jefféens : mais na ad ann. ils font voir en mesme tems la difference qu'il y avoit entre Godeau eux, & les veritables Efféens qui avoient des maximes & des hist. Ecclef. manieres de vivre tout à fait opposées à celles des Therapeutes; 64. & ne se sont point écartés du sentiment de la plus grande partie des Escrivains, tant anciens que modernes, qui ont reconnu avec Eufebe & faint Jerôme que les Therapeutes ou Jesséens eftoient Chreftiens, Les Proteftans ont esté les premiers à combattre ce sentiment, & ont esté suivis par un petit nombre de Catholiques. Mais cette question, s'il est vrai que ces Therapeutes aïent efté Chreftiens, & aïent fait profession de la vie Monastique, dont ils aïent donné les premiers l'exemple, n'a jamais esté traitée d'une maniere ni plus methodique,ni plus recherchée, qu'elle l'a esté depuis quatre ans par deux illuftres Sçavans, qui ne se sont pas neanmoins accordés, ni fur le Chriftianisme, ni sur le Monachisme des Therapeutes, & qui ont esté au contraire de sentimens opposés. Le premier est le P. Dom Bernard de Montfaucon, qui donna l'an 1709. une traduction françoise du Livre de Philon, de la vie contemplative, à laquelle il joignit des observations pleines d'erudi- liv. 1. ann. tion, où il fit voir que les Therapeutes dont parle cet historien Juif, estoient Chrestiens. Maisen mesme tems, il donne à connoistre qu'il n'estoit pas du sentiment de ceux qui croïent que les Therapeutes fuflent des Moines, n'y aïant point, dit-il, d'apparence qu'on en connust alors le nom, ni la profeflion. Une des raisons qui l'obligent à croire qu'ils n'estoient point Pag. 111. Moines ; c'est qu'il se trouvoit dans leurs assemblées des femmes, avec lesquelles ils mangeoient en mesme table; au lieur qu'on a toûjours regardé comme un devoir essentiel aux Moines, de ne point vivre avec des femmes, & d'eviter sur toutes choses leur conversation. Il ne laisse pas neanmoins de dire dans la fuite que les Moines d'Egypte, dont parle Caffien, eftoient les successeurs de ces anciens folitaires Therapeutes, Pag. 81. & Pag. 114. qu'ils avoient habité dans les mefmes lieux, & qu'ils avoient mesme gardé plusieurs de leurs maximes. Il estoit déja convenu que dans l'antiquité l'on appelloit indifferemment les folitaires Chreftiens, Afcetes, ou Therapeutes ; & il avoit avoüé que, comme Philon donne également les noms de Monaftere & de Semnée à la demeure des Therapeutes, cette conformité de noms est une preuve bien forte, que les Monasteres des solitaires Therapeutes estoient les mesmes que ceux des Chreftiens, qui selon faint Athanase se trouvoient en Egypte l'an 271. 102. Un Magistrat également connu par sa probité & par sa profonde erudition, & qui occupe une des premieres places dans un celebre Parlement de France, peu fatisfait des raisons que le P.de Montfaucon avoit alleguéespour prouver le Chriftianisme des Therapeutes & pour nier leur Monachisme ; lui efcrivit au mois de Fevrier 1710. & lui marqua qu'il voioit bien qu'il avoit un grand penchant à croire que les Therapeutes estoient des Moines; & qu'en effet du moment qu'on les croit Chreftiens, il nevoit pas qu'on puiffe s'empescher de soustenir qu'ils estoient Moines. Car soit, dit-il, que l'on donne ce nom aux Anachoretes, Monazontes, foit qu'on le referve pour ceux qui, ne pouvant s'accommoder d'une entiere folitude, s'afsembloient de tems en tems pour vaquer en commun à de pieux exercices ; il convient également aux Therapeutes. Il ajouste qu'ils ne suivoient ni la Regle de faint Antoine, ri les autres que nous connoiffons, & qui font toutes venuës depuis ; mais que rien n'empesche qu'ils ne pussent estre Moi |