PREMER il VIE DE S. qui l'ont precedé, comme nous l'avons fait voir dans la Dil- sertation Preliminaire , où nous avons montré que le nom de ERMATI. premier Ermite ne lui avoit esté donné que par excellence, pour avoir esté le plus celebre dans cette profession. Nous don- Il nâquit dans la Thebaïde. Son pere & sa mere l’aïant C'est tout ce que l'on scait de la vie de ce celebre Solitaire,qui nous seroit encore inconnu, si Dieu , qui prend soin de ceux qui le servent fidellement, n'eût fait connoistre à saint Antoine, environ l'an 341. celui qu'il avoit tenu caché jusques-là Cur la terre. Il le lui découvrit, afin d'abatre quelques pensées d'orguëil qui commençoient à se former dans son cæur; & lui revela la nuit qu'il y avoit plus avant dans le Desert une personne qui y vivoit plus saintement que lui, lui commandant de l'aller voir: Ce Saint vieillard fut fort surpris de ce que Dieu venoir de: PREMIER lui faire connoistre; & brulant d'ardeur d'aller voir ce faint 1'!! VES: PAUL homme, il marcha appuïé sur son baston, sans sçavoir où il alloit ; mais se confiant sur ce que Dieu lui feroit voir fon ser- ERMITI. viteur , il endura avec joïe une fatigue extrême pendant trois jours ,au bout desquels il découvrit enfin la caverne où saint Paul s'estoit retiré il y avoit quatre-vingts dix ans. Saint Antoine ne vit rien d'abord, à cause que l'entrée estoit obfcure. Il avançoit doucement, s'arrestoit de tems en tems pour écouter, marchoit legerement; & aïant apperçu de loin quelque lumiere , il se hậta , &: choqua des pieds contre une pierre. S. Paul entendant du bruit , ferma la porte qui eftoit ouverte. S. Antoine se prosternant devant , y demeura åflés long-tems , le priant d'ouvrir en lui disant: vous scavez qui je suis, d'où je viens, le sujet qui m'amene ; je scai que je ne mcrite pas de vous voir ; toutes-fois je ne m'en irai point sans vous avoir veu, je mourrai plustoít à vostre porte, & vous enterrerez. mon corps. Ce n'elt point en menaçant quel'on demande , relpondit Paul ; vous eltonnez-vous que je ne vous reçoive pas, puisque vous n'estes venu que pour mourir ? Alors il lui ouvrit la porte en souriant, & ens'embrasant ils se saluerent par leurs noms , fans jamais avoir oui parler l'un de l'autre. Après avoir rendu ensemble graces à Dieu, & s'estre dinné le baiser depaix, Paul demanda des nouvelles du genre humain: fi l'on bastissoit encore des maisons dans les villes : quel Prince commandoit pour lors dans le monde : en quel eltat estoient les affaires de l'Eglise: & si les Tirans la laissoient en paix. Ce fut pendant cet entretien qu’un corbeau, qui depuis plus de soixante ans apportoit tous les jours à faint Paulla moitié d'un pain., en apporta un entier ce jour-là, pour le diner de ces saints Solitaires. Il y cut une dispute entr'eux qui pensa durer jusques au soir, pour sçavoir qui romproit ee pain. Paul alleguoit l'hospitalité, Antoine l'âge. Enfin ils conyinrent que chacun le tireroit de son coffe ; & après avoir bû un peu d'eau de la fontaine, ils passerent la nuit en prieres. Le jour estant venu, comme saint Paul n'ignoroit pas que l'heure de la mort estoit proche , il dit à faint Antoine, qu'il y avoit long-tems qu'il scavoir qu'il demeuroit en ce pais', que Dieu lui avoit promis qu'il le verroit ; mais parce que l'heure de la mort estoit arrivée , il l'avoit envoïé pour enterrer son ز VIE DE S. corps. Saint Antoine fut frappé d'une douleur profonde voïane PREMIER qu'il estoit sur le point de perdre un li grand tresor au moERMITE. ment qu'il le découvroit. Ille prioit de ne te point abandonner & de l'emmener avec lui; & comme il paroissoit qu'il estoit resolu de ne le point quitter , au moins jusques à la mort, faint Paul pour lui espargner la douleur qu'il en ressentuit, le pria de lui aller querir le manteau que lui avoit donné saint Athanase , afin d'envelopper son corps, & qu'il ne fuft pas enterré nud. Saint Antoine estonné de ce qu'il lui avoit dit de ce manteau, crut voir Jefus-Christ present en lui , & n'osa rien repliquer ; & n'écoutant point les sentiments de tendresse qui lui faisoient souffrir avec peine la separation qu'il lui ordonnoit, il courut à son Monastere avec tant de promptitude,que ce fut un autre miracle qu'il pûr faire tant de diligence à cause de la vieillesse , & de fon corps épuisé de jeûnes. Deux de ses Disciples qui le fervoient , allerent avec joïe au devant de lui pour le recevoir , & lui demanderent où il avoit demeuré li long-tems. Mais ce Saint tout occupé de ce qu'il avoit veu, & ne longeant qu'à retourner promptement , dit seulement ces paroles : Ah malheureux pecheur que je suis, je bien à faux le nom de Moine ! J'ai veu Elie, j'ai veu Jean dans le Desert , j'ai veu Paul dans le Paradis. Il ne s'expliqua pas davantage, & frappant plusieurs fois la poitrine , il prit le manteau & s'en alla. Ses Disciples le prierent de leur dire plus clairement ce qu'il avoit veu ; mais il leur dit , il y a tems de parler, & tems de fe taire. Il sorrit sans prendre aucune nourriture ; & comme il estoit en chemin pour recourner vers Paul, il vit son ame toute éclatante de lumiere , monter dans le Ciel au milieu des Anges , des Prophetes, & des Apostres. Il se prosterna par terre, jetta du sable sur la teste , & dit en pleurant: Paul, pourquoi me quittez-vous ? je ne vous ai pas dit adieu ; failloit-il vous connoistre si tard, pour vous perdre fi-toft? Il sembla voler pendant le reste du chemin; & quand il fut arrivé à la caverne, il vit le corps du Saint à genoux, la teste eslevée , & les mains estenduës vers le Ciel. Il crut d'abord qu'il estoit vivant, & qu'il prioit , it se mit aussi à prier; mais ne l'entendant point foupirer à fon ordinaire , il ne douta plus qu'il ne fust mort. Il l'embrassa en pleurant, il enveloppa le corps , & l'ensevelit porte ز 1 VIE DE S. PAUL: ensuite en chantant des Pseaumes suivant la Tradition de l'Eglise ; & n'aïant point d'instrument pour creuser la terre, PREMIER la Providence divine lui envoïa deux lions qui acoururent du ER H'TE. fond du Desert, & vinrent droit au corps de faint Paul, le flatant de leurs queuës. Ils se coucherent à ses pieds, rugissant comme pour témoigner leur douleur ; & aïant ensuite graté la terre avec leurs ongles , jettant le sable dehors, ils firent une fosse où saint Antoine enterra le corps, & il esleva de la terre dessus, suivant la coûtume. Il emporta la tunique que saint Paul s'estoit faite lui-mesme de fuëilles de palmier, entrelacées comme dans les corbeilles. Il retourna en son Monastere avec cette riche succession, & raconta à ses Disciples tout ce qu'il avoit découvert. Il se revestit toûjours depuis de la cunique de saint Paul aux jours solemnels de Pâques & de la Pentecoste. La vie de ce faint Solitaire a esté escrite par saint Jerôme. Son corps fut premierement porté dans la suite à Venise & de là à Bude en Hongrie dans l'Eglise des Religieux de l'Ordre qui porte son nom, & dont nous rapporterons l'origine, en parlant de ceux qui suivent la Regle de saint Augustin. L'habit de laint Paul fait de feüilles de palmier , cftoit extraordinaire, & elles n'avoient gueres servi qu'à faire des paniers, des nates pour se coucher, des sandales, des cordes & des parasols; mais la necessité porta le Saint Ermite à se faire une tunique de feuilles de cet arbre, ne pouvant pas trouver d'autre étoffe pour se couvrir ; & il s'est trouvé fort peu de Solitaires qui Païent imité dans cette façon de se vêtir. Aymar Faucon, dans son histoire de l'Ordre de saint An Hift. Antiga toine de Viennois,dit : qu'entre les Reliques que l'on conserve cap: 7. do dans l’Abbaïe chef de cet Ordre, il y a un habillement que Bolland 17. fanu fagio quelques-uns pretendent avoir esté celui de faint Paul; & d'autres celui de saint Antoine : qu'on ne peut pas connoistre de quelle matiere il est, mais qu'il paroift avoir efté tissu: que le dessus est raze , le dedans comme velu , qu'il est fermé de tous costés,n'y aiant qu'une ouverture pour passer la teste: & que les extremités sont redoublées,de peur que se frottant contre terre elles ne s'efilassent. Il ajoûte que le Roi François premier l'aïant veu, crut qu'il estoit de feüilles de palmier , & que plusieurs personnes furent de ce sentiment. Mais je n'ai pas de peine à croire, qu'estant de feüilles de palmier, ce ne foit l'habillement dont se seryoit saint Paul , & qu'il s'estoit PAUL PREMER Time 2. age 313 ز VIE DE S: fait lui-mesme.C'est ainsi qu'estoient faites les anciennes cha subles qui dès les premiers siécles estoient un habillement qui ERMITE. couvroit tout le corps, & estoit commun aux Clercs , aux Moi nes, & aux gens du monde. On l'appelloit aussi manteau, & la chasuble que porte le Diacre en caresme, est encore nommée manteau dans l'Ordinaire de Besançon,& dans le Ceremonial de l'Eglise de Reims de l'an 1637. La coule des Moines est aussi appellée chasuble en plusieurs endroits , comme dans la Regle de saint Macaire, dans la vie de faint Gregoire, & dans celle de saint Fulgence; ainsi que le remarque Dom Clau de de Vert , dans son explication des ceremonies de l'Eglise. me 2. Comme les Solitaires estoient presque toûjours occupés au tra vail , hors le tems de la priere ; & que cette sorte de chafuble qu'il falloit retrousser sur les bras, les auroit incommodés ; ils ne s'en seryoient pas ordinairement. Mais il y a tour lieu de croire que saint Paul dans la retraite , qui n'estoit occupé qu'à la priere & à la meditation , & qui n'avoit pas besoin de travailler pour sa subsistance , puisque Dieu y pourvožoit miraculeusement ; s'estoit fait un habillement pareil à ces fortes de chasubles , & qui estoic mesme plus aisé à faire avec des feuilles de palmier qu'il entrelassoit les unes avec les autres , que de faire une tunique à laquelle il y auroit eu des manches ; d'ailleurs ces chasubles pouvoient bien passer pour tuniques , puisqu'elles couvroient tout le corps ; c'est pourquoi nous avons fait representer faint Paul avec un pareil habillement. La pluspart des Anachoretes d'Orient estoient vestus de cilices , ou de cuniques faites de poil de chevre. Plusieurs estoient couverts de peaux de brebis , ou de chevres , ou de quelques autres animaux , quelquefois avec la laine ou le poil , d'autres fois sans laine & lans puil ; ainfi le Solitaire faint Jacques de Nisibe ; selon Theodoret , estoit couvert d'une tunique, & Tkzodoret d'un petit manteau de gros poil de cheyre; & il dit que des Juifs 1. *qui alloient pour quelques affaires dans une ville de Syrie,qu'il ne nomme point , furent surpris par une pluïe si épaisse , & un vent si furieux,qu'ils s'égarerent de leur chemin ; & marchant dans la solitude sans trouver aucun lieu pour se mettre à l'abry, ils se virent comme exposés sur mer à perir par la tempeste; mais qu'ils arriverent enfin comme dans un port à la caverne de Simeon l'ancien qui faisoic horreur à voir , tantilestoit craf feux ز 6. |