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PAUL

PREMIER. ERMITE.

VIE DE S. qui l'ont precedé, comme nous l'avons fait voir dans la Difsertation Preliminaire, où nous avons montré que le nom de premier Ermite ne lui avoit esté donné que par excellence, pour avoir efté le plus celebre dans cette profession. Nous donnons seulement un abregé de sa vie, comme aïant efté le premier qui ait habité le grand Defert, où il a vescu pendant un fi long-tems inconnu aux hommes, menant plustost une vie angelique qu'humaine: ceux qui ont embraffé la folitude avant lui, ne s'eftant pas beaucoup efloignés des villes & du commerce du monde.

Il nâquit dans la Thebaïde. Son pere & fa mere l'aïant l'aisse à l'âge de quinze ans heritier d'un grand patrimoine, l'avarice porta son beau-frere, qui vouloit profiter de ses grands biens, à se rendre lui-mesme son denonciateur pendant la cruelle perfecution de Dece & de Valerien. Pour la fuir, il s'estoit caché dans une maison de campagne; mais aïant appris la mauvaise volonté de fon beau-frere, il se retira dans le Defert pour laisser paffer l'orage ;, & peu à peu il s'affectionna à la Solitude, ой il's'estoit engagé par neceflité. S'estant avancé plus avant dans le Defert, il trouva une montagne de roche au pied de laquelle estoit une caverne fermée de pierre. Il l'ouvrit par curiofité, & trouva dedans comme un grand falon ouvert par dessus, & ombragé d'un vieux palmier qui y eftendoit ses branches. Une fontaine très-claire en fortoit & faifoit un petit ruiffeau, qui après avoir coulé dehors, rentroit aussi-tost dans la terre. Saint Paul jugea que ce lieu estoit la demeure que Dieu lui destinoit. Il y demeura avec une perfeverance admirable pendant quatre - vingts dix ans ; car il en avoit pour lors vingt-trois, & il vescut jusques à cent

treize ans..

C'est tout ce que l'on scait de la vie de ce celebre Solitaire, qui nous feroit encore inconnu, fi Dieu, qui prend soin de ceux qui le fervent fidellement, n'eût fait connoistre à faint Antoine, environ l'an 341. celui qu'il avoit tenu caché jusques-là fur la terre. Il le lui découvrit, afin d'abatre quelques pensées d'orguëil qui commençoient à se former dans son cœur; & lui revela la nuit qu'il y avoit plus avant dans le Defert une personne qui y vivoit plus saintement que lui, lui commandant de l'aller voir.

Ce Saint vieillard fut fort surpris de ce que Dieu venoir de

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PREMIER

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lui faire connoistre; & brûlant d'ardeur d'aller voir ce faint VIE DESI homme, il marcha appuïé sur son baston, fans sçavoir où il P alloit; mais se confiant fur ce que Dieu lui feroit voir fon fer- ERMITE viteur, il endura avec joïe une fatigue extrême pendant trois jours, au bout desquels il découvrit enfin la caverne où faint Paul s'estoit retiré il y avoit quatre-vingts dix ans. Saint Antoine ne vit rien d'abord, à cause que l'entrée estoit obfcure. Il avançoit doucement, s'arrestoit de tems en tems pour écouter, marchoit legerement; & aïant apperçu de loin quelque lumiere, il se hata, & choqua des pieds contre une pierre. S. Paul entendant du bruit, ferma la porte qui eftoit ouverte. S. Antoine se prosternant devant, y demeura affés long-tems, le priant d'ouvrir en lui disant: vous scavez qui je fuis, d'où je viens, le sujet qui m'amene; je scai que je ne merite pas de vous voir; toutes-fois je ne m'en irai point sans vous avoir veu, je moturrai plustost à vostre porte, & vous enterrerez. mon corps. Ce n'est point en menaçant que l'on demande, refpondit Paul; vous eftonnez-vous que je ne vous reçoive pas, puisque vous n'estes venu que pour mourir ?

Alors il lui ouvrit la porte en fouriant, & en s'embraffant ils fe saluerent par leurs noms, sans jamais avoir oui parler l'un de l'autre. Après avoir rendu ensemble graces à Dieu, & s'eftre donné le baifer depaix, Paul demanda des nouvelles du genre humain: fi l'on bastissoit encore des maisons dans les villes: quel Prince commandoit pour lors dans le monde: en quel estat estoient les affaires de l'Eglife: & fi les Tirans la laissoient en paix. Ce fut pendant cet entretien qu'un corbeau, qui depuis plus de foixante ans apportoit tous les jours à faint Paul la moitié d'un pain, en apporta un entier ce jour-là, pour le dîner de ces saints Solitaires. Il y cut une difpute entr'eux qui pensa durer jusques au foir, pour sçavoir qui romproit ee pain. Paul alleguoit l'hofpitalité, Antoine l'age. Enfin ils convinrent que chacun le tireroit de fon costé; & après avoir bû un peu d'eau de la fontaine, ils pafferent la nuit en prieres.

Le jour estant venu, comme faint Paul n'ignoroit pas que P'heure de fa mort eftoit proche, il dit à faint Antoine, qu'il y avoit long-tems qu'il scavoit qu'il demeuroit en ce païs, que Dieu lui avoit promis qu'il le verroit; mais parce que l'heure de sa mort estoit arrivée, il l'avoit envoïé pour enterrer fon

PAUL

PREMIER

VIE DE S. corps. Saint Antoine fut frappé d'une douleur profonde voïant qu'il estoit sur le point de perdre un si grand tresor au moERMITE. ment qu'il le découvroit. Ille prioit de ne le point abandonner & de l'emmener avec lui; & comme il paroissoit qu'il estoit resolu de ne le point quitter, au moins jufques à sa mort, faint Paul pour lui espargner la douleur qu'il en ressentoit, le pria de lui aller querir le manteau que lui avoit donné saint Athanase, afin d'envelopper son corps, & qu'il ne fust pas enterré

nud.

Saint Antoine eftonné de ce qu'il lui avoit dit de ce manteau, crut voir Jefus-Chrift present en lui, & n'osa rien repliquer; & n'écoutant point ses sentiments de tendresse qui lui faifoient fouffrir avec peine la separation qu'il lui ordonnoit, il courut à fon Monastere avec tant de promptitude, que ce fut un autre miracle qu'il pût faire tant de diligence à cause de sa vieilleffe, & de fon corps épuisé de jeûnes. Deux de ses Disciples qui le fervoient, allerent avec joïe au devant de lui pour le recevoir, & lui demanderent où il avoit demeuré si long-tems. Mais ce Saint tout occupé de ce qu'il avoit veu, & ne fongeant qu'à retourner promptement, dit seulement ces paroles: Ah malheureux pecheur que je suis, je porte bien à faux le nom de Moine ! J'ai veu Elie, j'ai veu Jean dans le Defert, j'ai veu Paul dans le Paradis. Il ne s'expliqua pas davantage, & frappant plusieurs fois sa poitrine, il prit le manteau & s'en alla. Ses Disciples le prierent de leur dire plus clairement ce qu'il avoit veu; mais il leur dit, il y a tems de parler, & tems de se taire.

Il fortit fans prendre aucune nourriture; & comme il estoit en chemin pour retourner vers Paul, il vit son ame toute éclatante de lumiere, monter dans le Ciel au milieu des Anges, des Prophetes, & des Apoftres. Il se prosterna par terre, jetta du sable sur sa teste, & dit en pleurant: Paul, pourquoi me quittez-vous? je ne vous ai pas dit adieu; failloit-il vous connoistre si tard, pour vous perdre fi-tost? Il sembla voler pendant le reste du chemin; & quand il fut arrivé à la caverne, il vit le corps du Saint à genoux, la teste eslevée, & les mains estenduës vers le Ciel. Il crut d'abord qu'il estoit vivant, & qu'il prioit, il se mit auffi à prier; mais ne l'entendant point foupirer à fon ordinaire, il ne douta plus qu'il ne fust mort. Il l'embrassa en pleurant, il enveloppa le corps, & l'ensevelit

enfuite en chantant des Pseaumes suivant la Tradition de VIE DE S PAULI l'Eglife; & n'aïant point d'instrument pour creuser la terre, PREMIER la Providence divine lui envoïa deux lions qui acoururent du ERMUTE. fond du Desert, & vinrent droit au corps de faint Paul, le flatant de leurs queuës. Ils se coucherent à ses pieds, rugissant comme pour témoigner leur douleur ; & aïant enfuite graté la terre avec leurs ongles, jettant le sable dehors, ils firent une fosse où saint Antoine enterra le corps, & il esleva de la terre dessus, suivant la coûtume. Il emporta la tunique que faint Paul s'estoit faite lui-mesme de fuëilles de palmier, entrelacées comme dans les corbeilles. Il retourna en fon Monastere avec cette riche succession, & raconta à ses Disciples tout ce qu'il avoit découvert. Il se revestit toûjours depuis de la tunique de faint Paul aux jours solemnels de Pâques & de la Pentecofte. La vie de ce faint Solitaire a esté escrite par saint Jerôme. Son corps fut premierement porté dans la suite à Venise & de là à Bude en Hongrie dans l'Eglise des Religieux de l'Ordre qui porte fon nom, & dont nous rapporterons l'origine, en parlant de ceux qui suivent la Regle de saint Augustin.

L'habit de faint Paul fait de feüilles de palmier, estoit extraordinaire, & elles n'avoient gueres servi qu'à faire des paniers, des nates pour se coucher, des sandales, des cordes & des parasols; mais la necessité porta le Saint Ermite à se faire une tunique de feüilles de cet arbre, ne pouvant pas trouver d'autre étoffe pour se couvrir; & il s'est trouvé fort peu de Solitaires qui l'aïent imité dans cette façon de se vêtir.

150.

Aymar Faucon, dans son histoire de l'Ordre de saint An- Hift. Anton toine de Viennois, dit: qu'entre les Reliques que l'on conserve cap. 7. dans l'Abbaïe chef de cet Ordre, il y a un habillement que Bolland 17. quelques-uns pretendent avoir esté celui de faint Paul; & d'au-Fan page tres celui de faint Antoine: qu'on ne peut pas connoistre de quelle matiere il est, mais qu'il paroist avoir efté tissu : que le dessus est raze, le dedans comme velu, qu'il est fermé de tous costés, n'y aïant qu'une ouverture pour paffer la teste : & que les extremités font redoublées, de peur que se frottant contre terre elles ne s'efilassent. Il ajoûte que le Roi François premier l'aïant veu, crut qu'il estoit de feüilles de palmier, & que plusieurs personnes furent de ce sentiment. Mais je n'ai pas de peine à croire, qu'estant de feüilles de palmier, ce ne Toit l'habillement dont se servoit faint Paul, & qu'il s'estoit

PAUL

PREM ER

Tome 2. age 313.

VIE DE S. fait lui-mesme.C'est ainsi qu'estoient faites les anciennes chasubles qui dès les premiers siécles estoient un habillement qui ERMITE. couvroit tout le corps, & estoit commun aux Clercs, aux Moines, & aux gens du monde. On l'appelloit aussi manteau, & la chasuble que porte le Diacre en caresme, est encore nommée manteau dans l'Ordinaire de Besançon, & dans le Ceremonial de l'Eglife de Reims de l'an 1637. La coule des Moines eft auffi appellée chasuble en plusieurs endroits, comme dans la Regle de faint Macaire, dans la vie de saint Gregoire, & dans celle de faint Fulgence; ainsi que le remarque Dom Claude de Vert, dans son explication des ceremonies de l'Eglife. Comme les Solitaires estoient presque toûjours occupés au travail, hors le tems de la priere ; & que cette forte de chafuble qu'il falloit retrousser sur les bras, les auroit incommodés; ils ne s'en servoient pas ordinairement. Mais il y a tout lieu de croire que faint Paul dans la retraite, qui n'estoit occupé qu'à la priere & à la meditation, & qui n'avoit pas besoin de travailler pour sa subsistance, puisque Dieu y pourvoïoit miraculeusement; s'estoit fait un habillement pareil à ces fortes de chasubles, & qui estoit mesme plus aisé à faire avec des feüilles de palmier qu'il entrelassfoit les unes avec les autres, que de faire une tunique à laquelle il y auroit eu des manches; d'ailleurs ces chasubles pouvoient bien paffer pour tuniques, puisqu'elles couvroient tout le corps; c'est pourquoi nous avons fait representer saint Paul avec un pareil habillement.

La plufpart des Anachoretes d'Orient estoient vestus de cilices, ou de tuniques faites de poil de chevre. Plusieurs estoient couverts de peaux de brebis, ou de chevres, ou de quelques autres animaux, quelquefois avec la laine ou le poil, d'autres fois fans laine & fans poil; ainsi le Solitaire faint Jacques de

Nifibe, selon Theodoret, estoit couvert d'une tunique, & Theodoret d'un petit manteau de gros poil de chevre; & il dit que des Juifs Hitres qui alloient pour quelques affaires dans une ville de Syrie, qu'il ne nomme point, furent surpris par une pluïe si épaisse, & un vent fi furieux, qu'ils s'égarerent de leur chemin; & marchant dans la folitude sans trouver aucun lieu pour se mettre à l'abry, ils se virent comme exposés fur mer à perir par la tempefte; mais qu'ils arriverent enfin comme dans un port à la caverne de Simeon l'ancien qui faisoit horreur à voir, tantil estoit craf

1. 6.

feux

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