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he s'accorde pas encore avec ce que dit M. Ludolf, que tous MOINES les Religieux d'Ethiopie font habillés comme les feculiers, ABYSSINS & ne font diftingués que par une croix qu'ils portent toû jours à la main. A la verité M. Poncet,qui demeure auffi d'ac cord avec Alvarez que les Religieux des Monafteres de la Vifion & d'Heleni font habillés de peaux jaunes, parlant auffi de quelques autres Religieux qui font en grand nombre dans la ville de Gondar (fejour ordinaire des Empereurs) puisqu'outre quatre Chapelles Imperiales qui font dans l'enceinte du Palais de l'Empereur,& qui font deffervies par cent Religieux qui ont auffi foin du College, où l'on enfeigne à lire l'Ecriture Sainte aux Officiers de ce Prince, il y a environ cent Eglifes dans cette ville; il dit que ces Religieux font habillés de mesme les feculiers, & n'en font diftingués que par une que calotte jaune ou violette, & que ces diverfes couleurs diftinguent leur Ordre. Mais il y a bien de l'apparence que ceux qui ont une calotte jaune,& qui pour habillement portent comme les feculiers une vefte ou foutane noire, font de l'inftitut de l'Abbé Euftase, & les autres qui ont une calotte violette pourroient bien eftre ceux qu'Alvarez, Marmol, M. Ludolf & quelqu'autres appellent des Chanoines. Ceux-ci peuvent eftre mariés; leurs enfans leur fuccedent dans leurs Prebendes ; & quoique la plupart vivent en leur particlier, Alvarez dit neanmoins qu'il a veu quelques Communautés de ces fortes de Chanoines. Ces Moines,qui,felon M. Ludolf, font difperfés çà & là dans de pauvres cabanes, & dont il dit que la demeure ne peut pas eftre appellée Monaftere, font fans doute ceux que les Convents où ils ont pris l'habit, envoïent pour gagner leur vie : & ainfi M. Ludolf ne s'eft peut-eftre: pas trompé, lorfqu'il a dit: que chacun de ces Moines cultive fon heritage, qu'il vit de ce qu'il produit en pouvant difpofer à fa volonté, aïant pouvoir d'aller où bon lui femble & de revenir quand il le juge à propos. Il pouvoit mefme ajoûter que ces Moines trafiquoient,& que les marchés en eftoient remplis, comme nous avons dit. Cependant quand ils font retournés dans leurs Convents, ils y vivent en commun & très aufterement, fous la conduite d'un Superieur dont ils dependent entie

rement.

Il y a de l'apparence que ce Monaftere de la Vifion, & les autres qui y font unis, font de l'Inftitut de Tecla-Haïmanot ;

MOINES puifque l'Abbé de ce Monaftere en eft non feulement le SuABYSSINS. perieur, mais qu'il a aufli une jurifdiction fur les autres qui en dependent, dans lefquels il n'y a point d'Abbés, mais feulement des Superieurs qu'il nomme ; & cet Abbé de la Vision pourroit bien eftre le mefme qui a eu autrefois fa refidence au Monaftere de Debra-Libanos, & enfuite à Bagendra, qu'il auroit encore transferée au Monaftere de la Vifion. A l'efgard des Monafteres de l'Ifle de faint Claude, de fainte Anne, de Tzemba,& des autres dont parle M. Poncet, qui ont chacun un Abbé, ils font fans doute de l'Inftitut de l'Abbé Euftafe, pour les raifons que nous avons dites ci-deffus, en parlant de ces deux Reftaurateurs de la vie Monaftique en Ethiopie.

Tous ces Moines, felon M. Ludolf,peuvent exercer des Offices civils, & mefme avoir des Gouvernements de Province, mais il n'eft permis à qui que ce foit dentr'eux, de renoncer à la vie Monaftique; & s'ils fe marient, ils font regardés comme des infames,& leurs enfans ne peuvent jamais parvenir à la clericature, n'y aïant rien tant que les Ethiopiens fouhaitent avec plus de paffion que d'eftre Preftres, afin d'avoir la vie affurée, ce qui fait qu'il y en a un fi grand nombre; en effet, Alvarez s'eftonnant de l'abus que le Patriarche d'Ethiopie commettoit, en ordonnant un fi grand nombre de Preftres; quoique parmi ces Preftres il s'en trouvaft plufieurs qui ettoient aveugles, d'autres qui n'avoient qu'un bras, & d'autres qui n'avoient qu'une jambe; ce grand nombre de Preftres paroiffant d'ailleurs inutile, puifque l'on ne dit qu'une Meffe par jour dans chaque Eglife; il en témoigna fa furprise à celui qui faisoit la fonction de Grand Vicaire du Patriarche: cet homme lui refpondit que l'on ne les ordonnoit Preftres, qu'afin qu'ils puffent vivre des aumofnes de l'Eglife,fans quoi ils ne pourroient fubfifter.

On peut juger par la multitude des Moines de ce païs, qu'il doit y avoir auffi beaucoup de Monafteres, n'y aïant gueres de villes où il n'y en ait plufieurs, outre ceux qui font à la campagne & dans les bois. Les plus fameux font premierement celui de la Vifion de Jefus, celui de fainte Anne, fitué sur une montagne entre Gondar & Emfras,qui eft un lieu de devotion où il vient de bien loin un grand nombre de perfonnes en pelerinage; celui de Tzemba fur la riviere de Reb à une demie lieuë de Gondar,qui eft très beau & très grand, auffi-bien que

PREMIERE PARTIE, CHAP. XI.

ABYSSINS

143 MOINES celui d'Heleni, & celui d' Alleluia. Ce dernier fut ainfi nommé, à ce que difent ces Moines, par celui qui en fut le premier Abbé, fur le rapport d'un Ermite qui eftant en oraison vit en extafe & entendit des Anges qui chantoient Alleluia dans ce lieu.

y en a

Il y a auffi un grand nombre de Religieufes en Ethiopie, qui font pareillement habillées de toile de coton ou de peaux jaunes, & ne portent ni manteau ni capuce. Elles ont la tefte rafée, autour de laquelle elles ont un bandeau de cuir large de deux doigts, qui paffant pardeffous le menton, fe lie fur le front, & dont les deux bouts pendent fur les épaules. Il y en a qui croient que ce n'eft que l'habillement des Novices, & que les Profeffes peuvent mettre un voile & un manteau. D'autres difent que cela n'eft permis qu'aux vieilles: elles ne font point renfermées dans des Monasteres; mais elles demeurent dans les fermes & les villages qui dependent & obeïffent au Monastere cù elles ont pris l'habit. Alvarez dit avoir veu quelques Communautés de Religieufes,qui ont neanmoins la liberté de fortir de leurs maifons pour aller où bon leur femble. Il y a de ces Religieufes qui menent une vie affez reglée; mais il beaucoup qui ne croient pas que ce foit un deshonneur pour elles d'avoir des enfans. Schoonebek met leur inftitution vers F'an 1325. par la venerable Mere Imata; mais c'eft apparemment fur la relation du P. Louis d'Ureta de l'Ordre de faint Dominique, qui dans l'Hiftoire qu'il a donnée d'une Province fuppofée de fon Ordre en Ethiopie, a pretendu que prefque tous les Religieux de ce païs citoient de l'Ordre de faint Dominique,& que la Mere Imata fonda un Monaftere du mef me Ordre pour des Religieufes à Bedenagli,où il n'y en eut d'abord que cinquante; mais dont le nombre augmenta jufqu'à cinq mille après la mort de cette pretenduë Fondatrice: ce qui n'eft pas moins fabuleux que ce qu'il rapporte qu'il rapporte des Convents de Plurimanos & de l'Alleluia, où il met neuf mille Religieux de fon Ordre dans le premier, & fept mille dans l'autre, fans compter les domeftiques qui font au nombre de plus de trois mille dans celui de Flurimanos,comme nous dirons plus au long, en parlant de l'Ordre de faint Dominique dans la troifiéme partie de cette Hiftoire.

Voiez Job Ludolf, Hift. Ethiop. & fon Commentaire fur la efme Hiftoire. Franc. Alvarez,fon voiage en Ethiopie. Mar

ABYSSINS. mol, Defcription de l'Afrique. Louis d'Ureta, Hift. de la fa grada orden. de Predic. en Ethiopia. & le P. le Gobien., 4. Recueil des Lettres édifiantes des Miffions Etrangeres.

CHAPITRE XII,

Des Jeunes & abftinences des Moines des Religieufes

C

E

en Ethiopie,

que nous avons rapporté dans les Chapitres prece dens des jeûnes & abitinences des Moines Maronites Armeniens, Jacobites, & Coptes, eft peu de chofe en comparaifon des jeûnes & mortifications des Moines Ethiopiens, qui commencent avec les Seculiers le Carefme de l'Eglife univerfelle à la Sexagefime, & qu'ils obfervent très rigoureufement, ne mangeant, pendant tout le tems qu'il dure, que du pain & ne buvant que de l'eau. Il est vrai qu'ils trempent leur pain dans une espece de fauce qu'ils font avec de la graine de cauffa qui eft fort cuifante à la bouche. Ils fe fervent encore d'une autre graine qu'ils nomment Tebba qu'ils accommodent en maniere de moutarde. Il fe trouve beaucoup de ces Religieux qui par devotion ne mangent point de pain pendant tout le Carefme,quelques-uns mefme s'abftiennent d'en manger toute leur vie, & mangent feulement de l'agrinos, qui eft une herbe qu'ils font cuire dans de l'eau, fans fel ni beure, & fans autre affaifonnement. Quand ils n'en peuvent pas trouver, ils ufent de quelques legumes, comme feves, lentilles, & autres femblables, qu'ils font feulement amollir dans de l'eau. Quelques-uns portent un habit de cuir fans manches, aïant les bras tout nuds: plufieurs ont fur leur chair une ceinture de fer large de quatre doigts,avec des pointes qui entrent bien avant dans la chair. d'autres ne s'affeoient point pendant tout le tems du Caresme, mais demeurent toûjours debout. Il y en a auth qui pendant ce tems-là fe vont renfermer dans des cavernes, où ils vivent d'herbes & de lentilles feulement. Il y a encore beaucoup de Religieux & de Religieufes,qui tous les Mercre dis & Vendredis du Carefme passent la nuit dans l'eau. François Alvarez dit qu'il avoit de la peine à le croire; mais qu'aïant efté avec plufieurs perfonnes fur le bord d'un lac, ils virent qu'il y en avoit une infinité dans ce lac, & que quelques

uns

uns eftoient dans de petites loges de pierres basties exprès. Il y a de l'apparence que les nuits font bien froides en ce païs-là; a utrement ce ne feroit pas une mortification de refter dans l'eau pendant la nuit dans le tems du Carefme, dans un païs où lefoleil est très ardent en ce tems-là, & ou mefme les fruits d'Automne de nos quartiers font en maturité. Enfin il y en a qui fe retirent dans des folitudes les plus affreufes, & des forefts les plus épaifes où ils ne voïent aucun homme, faifant penitence dans ces lieux écartés.

Quoiqu'il y ait près de deux cens ans qu'Alvarez ait efcrit fa Relation, où il fait un détail de ces penitences & de ces mortifications des Religieux d'Ethiopie ; il femble neanmoins qu'ils n'en aïent rien diminué jufqu'à prefent ; car M. Poncet qui y estoit en 1700. dit avoir veu dans le Monaftere de la Vision de Jefus, un vieillard âgé d'environ foixante-fix ans, frere du Gouverneur de Tigré, qui n'avoit vêcu pendant fept ans que de feuilles d'olivier fauvage, & que cette mortification lui avoit caufé un crachement de fang qui l'incommodoit beaucoup;c'eft pourquoi il lui ordonna quelques remedes & lui prefcrivit un regime de vie.

La maniere la plus ordinaire de jeûner parmi ces Religieux eft de ne manger feulement que de deux jours en deux jours, & toûjours le foir quand le foleil eft couché; mais le Samedi nile Dimanche ils ne jeûnent point; & comme dans chaque Eglife il ne s'y dit qu'une Meffe par jour, ils ne la celebrent que le foir les jours qu'ils jeûnent, & tous y communient, après quoi ils vont manger: la raifon qu'ils en donnent, c'est qu'ils difent que Notre-Seigneur Jesus-Christ fit la Cene le foir un jour de jeûne: aux autres jours qu'on ne jeûne point, ils la difent le matin.

. Ces Religieux fe levent deux heures avant le jour pour dire leurs Matines & ne mangent jamais de viande dans le Convent. Mais Alvarez remarque que l'orfqu'ils fe trouvoient avec les Portugais, ils ne laiffoient pas d'en manger & de boire du vin, pourveu qu'ils n'euffent point de Compagnon, de peur qu'il n'en avertît le Superieur qui les auroit châtiez feverement pour cette transgreffion. M. Poncet dit qu'il en a vû qui fe levoient deux fois la nuit pour chanter des Pfeaumes; peut-eftre que c'eft felon les differents Inftituts qu'il y a en ce païs, foit de l'Abbé Tecla-Haïmanot, foit de l'Abbé Euftafe.

MOINES ABISSINS.

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