MOINES ABISSINS. Lettres édia notre Pere Eustafe & de tous ses enfans. Sa Feste se celebrele 21. Juiller. Il a eu beaucoup de Disciples à qui il a ausli prelcrit des loix; mais il ne leur a pas donné de Superieur General dont ils dependent, & ils ne se mettent pas beaucoup en peine d'en avoir un ; sous pretexte, à ce qu'ils disent, qu'Eustase eftant allé en Armenie sans avoir nommé un Successeur , il ne leur est pas perinis d'en establir un : c'est pourquoi l'Abbé de chaque Monastere de cet institut, est le Maistre absolu chez lại , & peat corriger ses inferieurs, sans qu'ils puissent en appeller ; & lorsqu'il meurt, les Religieux du mesme Monastere en elisent un autre. Le Gobien, L'on trouve parmi les Lettres édifiantes & curieuses escrites des Missions étrangers par les Missionnaires de la Compagnie fiantes y Recueilpi251. de Jesus, la relation d'un voïage fait en Ethiopie en 1698. . 1699. & 1700. par M. Poncet Medecin François , qui paroist ayoir esté mal informé de ce qui concerne le Clergé Seculier & Regulier de cet Empire; car il dit qu'il n'y a point de Prestre en Ethiopie qui ne soit Religieux: que l'Empereur Ati-Bafili, ayeul du Prince qui regnoit pour lors, en fic precipiter sept inille du haut de la montagne de Balbay,pour s'estre revoltés contre lui ; & quel'on peut juger de la multitude qu'il y en a, par ce que lui dit le Patriarche predecesseur de celui qui gouverne presentement l'Eglise d'Ethiopie , qu'en une seule Ordination il avoit fait dix mille Prestres & fix mille Dia:cres. François Alvarez Aufmonier de Dom Emmanuel Roi de Portugal, qui accompagna l'Ambassadeur que ce Prince enyoïa l'an 1520. à l'Empereur des Abyslıns, & qui a donné la relation de cette Ambassade, nous assure neanmoins qu'il y a des Prestres seculiers en Ethiopie : que depuis qu'ils ont esté ordonnés Diacres jusqu'à ce qu'ils soient Prestres, ils peuvent le marier une fois leulement: qu'ils ne peuvent pas entrer dans la Clericature s'ils ont esté mariés; & que si estant Prestres ils se remarient , ils font degradés & reduits à l'estat laïcal, ne pouvant plus entrer dans l'Eglise, ce qui n'est permis qu'aux Prestres & aux Clercs. Sous la qualité de Clerc, est renfermé aufli l'ordre de Soudiacre aussi-bien que celui de Diacre , que ceux que l'on fait Clercs reçoivent en mesme tems & sans allçun examen; car il y a un grand nombre de ces Ordinans qui ne pourroient respondre aux demandes qu'on leur feroit ; puisque ABYSSINS puisque la pluspart sont encore à la mamelle. L'on peut ajouter Moines foi à cet Auteur , qui s'estoit trouvé à plusieurs de ces Ordina- Aarssins, tions. Dans la premiere qu'il vit , le Patriarche ordonna deux mille trois cens cinquante fix Prestres , parmi lesquels il y avoit des Religieux aveugles, d'autres qui n'avoient qu'un bras, & d'autres qui n'avoient qu'une jambe ; & le Patriarche lui dit qu'il y avoit eu peu de Prestres dans cette Ordination, parce Y que tous ces Prestres n'estoient que des environs du lieu où il estoit pour lors , qu’ordinairement il n'en ordonnoit pas moins de cinq à six mille à la fois, & que l'on ne faisoit pas l'Ordination des Clercs dans le mesme tems. En effet le lendemain celle des Clercs se fit & dura depuis le matin jusqu'au soir ; non pas à cause de la longueur des ceremonies qui se pratiquent à l'égard de chaque Ordinant, mais à cause du grand nombre des personnes qui reçurent la Clericature. Comme il n'y a point d'autres Evesques en Ethiopie que le Patriarche , il fait souvent de ces sortes d'Ordinations ; & jamais abus n’a esté porté plus loin que celui-là , recevant indiferemment toutes sortes de personnes , sans aucune attention aux qualices requises. Ainsi M. Poncet n'a peut-estre point trop avancé, en disant qu'il avoit appris du Patriarche, que son Predecesseur avoit fait dans une seule Ordination dix mille Prestres, & six mille Diacres ; ce qui a pû se faire en deux differents jours ; car toute la ceremonie que l'on observe dans l’Ordination des Prestres, consiste en ce que le Patriarche met la main sur la teste de chaque Prestre en disant quelques prieres, & ensuite, après avoir lù quelque tems dans un livre , il leur donne à tous plusieurs benedictions avec une croix de fer. Quoiqu'il ne soit pas vrai qu'il n'y ait point d'autres Preftres en Ethiopie que les Religieux ; cela n'empeche pas qu'il n'y ait un si grand nombre de ces derniers dans cet Empire , qu'Alvarez assure encore que tout en est rempli : qu'on ne voit que Moines dans les Monasteres, dans les Eglises, dans les ruës , dans les marchés : qu'il n'a veu aucune Eglise desservie par des Prestres seculiers où il n'y eust aussi des Religieux ; & qu'il n'a trouvé aucun Monastere où il y eust des Prestres у feculiers. M. Ludolf confirme certe multitude de Moines en Ethiopie; mais il ne sembe pas estre d'accord avec les Relations de quelTome I. S MOINES ques voïageurs touchant les Monasteres de ces Religieux : car il pretend qu'ils demeurent ordinairement auprès des Eglises. dans de pauvres cabanes dispersées ça & là dans un enclos : qu'ils ne portent point l’habit Manachal: qu'on ne les distingue des feculiers que par une croix qu'ils portent toûjours à la main : que leurs demeures ne peuvent pas estre appellées des Cloistres: qu'ils ne meritent pas le nom de Moines;& qu'on ne les doit regarder que comme des Colonies de gens qui ne font point mariés. Cependant Alvarez doit estre crü, puisqu'il a demeuré six ans en Ethiopie , qu'il alloit presque tous les jours au Monastere de la Vilion de Jesus, dont il ne demeuroit pas loin,& qu'il assiitoit avec les Moines à toutes leurs principales Festes & Ceremonies ausquelles il estoic fouvent invité. Cet Autcur faisant la description de ce Monastere fitué dans la Province de Tigré sur une haute montagne au milieu d'une foreft, & dans une affreuse solitude, dit: qu’ordinairement il y a cent Reli. gieux qui y demeurent,& qui mangent ensemble dans un mefme Refectoire , excepté les vieillards qui en sont dispensés, à qui l'on porte à manger en particulier : que les revenus de ce Monastere sont très considerables : que la montagne où il est ficué lui appartient entierement, & qu'elle a plus de dix lieuës d'estenduë:qu'au bas de cette montagne il y a plusieurs fermes qui dépendent du Monastere, outre plusieurs autres que l'on trouve jusqu'à trois journées au delà, qui s'appellent Gultus, c'est-à-dire les franchises de la Vision: qu'il y a encore plus de cent villages qui lui païent tous les trois ans chacun un cheval, mais que le Procureur du Monastere prend des vaches à raison de cinquante pour chaque cheval ; de sorte qu'il reçoit bien par an dix fept cens vaches, dont les Religieux tirent du beure pour regaler les Etrangers qui les viennent voir , & pour en mettre dans leurs lampes au lieu d'huile. Comine il y a des Auteurs qui ont escrit, que dans ce Monastere il y avoit ordinairement trois mille Religieux, & que l'on avoit dit la mesme chose à Alvarez, il y alla le jour de l’Affumption de la SteVierge, auquel jour les Religieux font une procession generale ; il n'y vit neanmoins que trois cens Religieux ou chviron; & en aiant demandé la raison,on lui dit que les autres cstoient dispersés dans d'autres Monasteres ou Eglises, particulieres, & aux foires. & marchés , pour gagner leur vie: ABYSSINS. pendant qu'ils estoient jeunes, à cause que le Monastere de la Moines Vision n'eltoit pas en estat d'en nourrir un si grand nombre, & que quand ils estoient hors d'estar de gagner leur vie, ils venoient passer le reste de leurs jours au Convent. En effet le mesme Auteur assure encore, que dans toutes les foires & dans tous les marchés, l'on ne voit que Religieux & Religieuses qui y trafiquent. M. Poncer confirme ce que dit Alvarez de l'austerité de ces Religieux & de la beauté de quelques Monasteres en ce païs , & dit aussi qu'il y a plusieurs autres Monasteres qui dependent de celui de la Vision, nommant entr'autres celui d'Heleni , qui est très beau, & où il y a une magnifique Eglise. Il ajoûte que les cellules de ces Religieux sunt li estroites , qu’un homme a de la peine à s'y étendre, qu'ils ne mangent point de viande non plus que les autres Religieux d'Ethiopie, qu'ils font toûjours appliqués à Dieu & à la meditation des choses Saintes , & que c'est là toute leur occupation. L'Abbé du Monastere de la Vision le reçut avec beaucoup de charité, aussi bien que ceux de sa suite. Il leur lava les pieds & les baisa pendant que les Religieux recitoient des prieres. Après cette ceremonie , ils furent conduits processionnellement à l'Eglise , les Religieux chantant toûjours. Ils allerent ensuite dans une chambre où on leur apporta à manger. Tout le regal consista en du pain trempé dans du beure ; & pour leur boisson on leur donna de la biere, car l'on ne boit ni vin ni -hydromel dans ce Monastere ; & l'Abbé leur tint toûjours compagnie , mais il ne mangea point avec eux. Le mesme voïageur a cru apparemment embellir la Relation de son voïage par le recit d'un prodige qu'il a veu, à ce qu'il dit,dans l'Eglise de ce Monastere de la Vision. On l'avoit afturé que dans l'Eglise du costé de l’Epiítre, on voïoit en l'air sans aucun appui ni soutien, une baguette d'or , ronde, longue de quatre pieds, & ausi grosse qu'un bafton : croiant qu'il y avoit quelqu'artifice , il pria l'Abbé de vouloir bien lui permettre d'examiner s'il n'y avoit point quelqu'appui qu'on ne Vît point. Pour s'en assurer d'une maniere à n'en pouvoir pas douter, il passa un baston par dessius, par dessous & de tous les costez ; & 'il trouva que la baguette estoit veritablement sufpenduë en l'air. Les Religieux lui dirent qu'il y avoit environ 336. ans, qu’un Solitaire nommé Abba Philippos , se retira dans ز MOINES ز ce Desert,où il ne se nourrissoit que d'herbes & ne buvoit que ABYSSINS. de l'eau ; & qu'un jour Jesus-Christ le fit voir à lui , & lui ordonna de bastir' un Monastere dans l'endroit du bois où il trouveroit unejbaguette d'or suspenduë en l'air ; & que l'aïant trouvée & veu ce prodige , il obeït , & bastir ce Monastere qui se nomme Bihem fefus, Vision de Jesus. Cependant Alvarez, qui a demeuré fix ans en Éthiopie & qui alloit presque tous les jours à ce Monastere, comme il le dit lui-mesme, ne parle point de ce pretendu prodige, quoiqu'il ait eu soin de marquer tout ce qu'il y avoit de plus particulier dans ce Monaftere. Il n'ignoroit pas que cet Abbé Philippes estoit non seulement reveré comme Saint par les Religieux de ce Monastere ; : mais encore par les habitans des environs qui celebrent tous les ans une feste en fon honneur ; & il son honneur ; & il rapporte mesme le sue jet pour lequel ils l'ont toujours regardé comme Saint. Ce fut , dit cet Auteur , à l'occasion de ce qu'un Roi d'Ethiopie aïant deffendu qu'on observastle jour du Sabbat dans tous les lieux de soni obeillance, l'Abbé Philippes & ses Religieux viltrent trouver ce Prince , & lui firent voir que Dieu avoit ordonné que l'on garderoit le jour du Sabbat, & que ceux qui ne le garderoient pas seroient lapidés . Il ajoûte que les Religieux de ce Monastere & les peuples des environs sont les plus atta. chés à cette superstition Judaïque ; que lui-mesme a veu plusieurs fois que les Religieux cuisoient le pain & preparoient leur manger le Vendredi pour le Samedi ; qu'ils n'allumoient pas mesme du feu le Samedi ; & qu'ils n'estoient pas fi sçrupuleux le Dimanche, puisqu'ils preparoient à manger ce jour-là. Surquoi il y a lieu de s'estonner de ce que quelques personnes, principalement M. Ludolf , aïent regardé comme une chose innocente l'observation du Sabbat parmi les Ethiopiens, après que le Concile de Laodicée a prononcé anathéme contre ceux qui s'abstiennent par superstition des viandes que Dieu a creées ,-& contre ceux qui observent le Sabbat à la maniere des Juifs Ce que disent plusieurs Escrivains que les Religieux d'Ethio. pie font habillés de peaux jaunes, se confirme par la relation d'Alvarez qui dit la mesme chose : il ajoûte qu'il y a quelques Monastercs où ils sont aussi habillés de toile de coton jaune, & que ces Religieux habillés de jaune,ont tous des chapes de la melme couleur, faites comme celles des Dominicains.Ainfi cela |