PRETRES DE LA MIS SION. CHAPITRE X I. De la Congregation des Prêtres de la Miffion, avec la Vie de M. Vincent de Paul leur Instituteur. L Es defordres caufés par l'Héréfie, & la licence des armes durant les guerres civiles dont la France fut affligée sur la fin du feizième fiécle & au commencement du dixleptiéme, étoient trop grands pour que les Prêtres de l'Oratoire puffent feuls y remedier ; foit en faisant refleurir dans l'état Ecclefiaftique les vertus Clericales & Sacerdotales, soit en aidant les Pasteurs à ramener au bercail les brebis que l'Héréfie ou le libertinage en avoit fait fortir. C'eft pourquoi Dieu qui connoiffant les befoins de fon Eglife, ne manque jamais de lui donner les fecours qui lui font neceffaires fufcita encore dans ce Roïaume d'autres faints Perfonnages, qui animés de fon efprit & fortifiés par fa grace,fonderent à l'exemple du Cardinal de Berulle, des Congregations, dont le principal but eft de travailler aux Miffions, & d'infpirer aux jeunes Clercs l'efprit de pieté & de devotion qui leur est neceffaire pour s'acquitter dignement des fonctions de leur Miniftere. Telles font les Congregations des Prêtres de la Miffion, des Eudiftes du faint Sacrement,des Miffionnaires de Lion, & quelques autres dont nous parlerons dans la fuite. La Congregation des Prêtres de la Miffion a eu pour Fondateur Monfieur Vincent de Paul. Il nâquit au village de Pouï près d'Acqs, petite ville Epifcopale fituée aux confins des Landes de Bourdeaux, vers les monts Pyrenées. Ses parens vivoient de leur travail. Son pere se nommoit Jean de Paul, & fa mere Bertrande de Moras. Ils avoient une maifon, & quelques petits heritages, qu'ils faifoient valoir par leurs mains, étant aidés par leurs enfans, qui furent fix;fçavoir quatre garçons & deux filles. Vincent,qui étoit le troifiéme, fut dès fon enfance emploïé comme les autres à travailler,& particulierement à mener paître & garder les troupeaux de fon pere, qui jugeant par la vivacité d'efprit que Vincent faifoit paroître dans toutes les paroles & fes actions, qu'il pourroit faire quelque chofe de meilleur que de mener paître paître des beftiaux, prit la refolution de le faire étudier, dans l'efperance d'en tirer un jour quelque avantage pour fa famille. Pour cet effet il le mit en penfion vers l'an 1588. chez les Peres Cordeliers d'Acqs, moïennant foixante livres par an. Il y fit un tel progrès dans la Langue Latine, que quatre ans après le Sieur Commet, Avocat d'Acqs, & Juge de Pouï, l'aïant retiré du Couvent des Cordeliers, le reçut en fa maison pour être Précepteur de fes enfans, afin que prenant foin de leur inftruction & de leur conduite, il pût continuer fes études, fans être à charge à fon pere: ce qui lui donna le moïen de fe perfectionner dans la connoiffance des belles Lettres aufquelles il emploïa neuf ans, au bout defquels le Sieur Commet, qui étoit une perfonne de pieté, fatisfait du fervice qu'il lui avoit rendu en la perfonne de fes enfans, & jugeant qu'il feroit un jour utile à l'Eglife, lui fit prendrela tonlu re, & les quatre Mineurs le 19. Septembre 1596. étant alors âgé de vingt ans. pour Se voïant ainfi engagé au miniftere de l'Eglife, & aïant pris Dieu pour fon partage, il quitta fon païs du confentement de fon pere qui lui donna quelque petit fecours aller étudier en Theologie à Touloufe, où il prit les Ordres de Diacre & de Soufdiacre en 1598. & la Prêtrife en 1600. Peu de tems après on lui donna la Cure de Tilh au Diocese d'Acqs; mais lui aïant été contestée par un competiteur, il ne voulut point avoir de procès & lui en laiffa la poffeffion; Dieu le permettant ainfi, afin qu'il ne fût point obligé d'abandonner fes études. Il emploïa fept ans à celle de la Theologie, après lefquels aïant été reçu Bachelier dans l'Univerfité de Touloufe, il lui fut permis d'enfeigner publiquement dans la même Univerfité. Jufque là tout avoit réüffi felon les fouhaits de Monfieur Vincent; mais une perfonne l'aïant inftitué fon heritier l'an 1605. & aïant été obligé d'aller à Marseille pour se faire païer d'une dette de cinq cens écus qui étoit de la fucceffion, il tomba dans une difgrace, dans laquelle il ne put pas douter de la protection de Dieu fur lui par la maniere dont il s'en retira. Car comme après avoir terminé fon affaire à Marseille, il fe difpofoit à retourner par terre à Toulouse, un Gentilhomme du Languedoc l'aïant engagé de s'embarquer avec lui jusqu'à Narbonne, ils rencontrerent trois Brigantins Turcs qui les Tome VIII. I PRETRES DE LA MIS SION, SION. PRETRES prirent & les menerent en Barbarie, où Vincent de Paul DE LA MIS- fut vendu à un Pêcheur, qui n'aïant pû se servir de lui à caufe qu'il ne pouvoit fouffrir la mer, le revendit à un Medecin, & celui ci étant mort,il devint Efclave d'un Renegat de Nice en Savoïe, qui, bien loin d'imiter fes femblables, qui ordinairement perfecutent le plus Jefus Chrift dans fes membres, qui ont le malheur de tomber dans l'efclavage, fut au contraire l'inftrument dont Dieu fe fervit pour rendre la liberté à fon ferviteur en lui rendant à lui-même celle de l'ame; car fe repentant de fon apoftafie, il fe fauva avec lui, d'une maniere d'autant plus admirable & miraculeuse, qu'ils pafferent toute la mer Mediterranée dans un efquif que la moindre vague étoit capable d'abîmer; mais Dieu qui les conduifoit leur aïant fait éviter les dangers aufquels les plus gros vaiffeaux font exposés, ils ariverent à Aiguesmortes le 28. Juin 1607. d'où ils furent à Avignon, où le Vice Legat reçut l'abjuration du Renegat. Monfieur de Paul étant allé à Paris l'année fuivante, y lia amitié avec Monfieur de Berulle, qui fongeant pour lors à établir sa Congrégation, le follicita de fe charger de la Cure de Clichi dont Monfieur Bourgoin vouloit fe défaire pour entrer dans la Congrégation des Prêtres de l'Oratoire ; & de pren-. dre le foin des enfans du Comte de Joigny, Emmanuel de Gondy, General des Galeres de France, & cela en qualité de Précepteur, dont il s'acquita fi bien, que Françoise de Silly époufe de ce Comte & mere de ces enfans, Dame d'une pieté finguliere, édifiée de sa modeftie, de fa discretion, & de fa charité, jugea à propos de lui confier la conduite de fon ame. Le féjour qu'il fit dans la maifon du Comte de Joigny, fut caufe de l'établiffement de la Congrégation de la Miffion. Car environ l'an 1616. étant allé avec la Comtesse dans une de fes terres qu'on nomme Folleville au Diocese d'Amiens, où il s'occupoit pendant fon féjour à des œuvres de miféricorde, on le vint un jour prier d'aller au village de Gannes, éloigné de Folleville de deux lieuës, pour confef fer un Païfan, qui étoit dangereufement malade. Cet hom me avoit toûjours vécu en réputation d'un homme de bien; néanmoins Monfieur de Paul l'étant allé voir, & lui aïant fait faire une confeffion générale, trouva fa confcience char par gée de plufieurs péchez mortels qu'il avoit toûjours retenus honte, & dont il ne s'étoit jamais accufé en Confeffion, comme il le déclara lui même en préfence de plufieurs perfonnes, & même de la Comteffe de Joigny, qui épouvantée de tant de Confeffions facriléges, & des péchés énormes de fa vie paffée, & appréhendant qu'il n'en fût de même de la plupart de fes Vaffaux, exhoria Monfieur de Paulà prêcher dans l'Eglife de Folleville le jour de la Conversion de faint Paul de l'an 1617. pour exhorter fes Habitans à faire une Confeffion générale. Il le fit, & leur en représenta l'importance & l'utilité avec des paroles fi efficaces, que cès bonnes gens vinrent tous à lui pour leur Confeffion générale ; & la preffe fut fi grande qu'il fut obligé d'appeller à fon fecours les Jefuites d'Amiens, qui conjointement avec lui firent un fi grand profit dans cette premiere Miffion, que ce zélé Fondateur l'a toûjours regardée comme la femence de toutes les autres qu'il a faites depuis ; & par confequent comme l'origine de fa Congrégation ; & tous les ans le même jour 25. Janvier, il en rendoit graces à Dieu, & recommandoit à fes Difciples de faire la même chofe ; c'eft pourquoi les Prêtres de cet Inftitut célébrent avec une devotion particuliere la fête de la Converfion de faint Paul, en mémoire de ce que leur Fondateur commença heureufement en ce jour fa premiere Miffion qui a été fuivie de tant d'autres, qui ont caufé la converfion d'un très-grand nombre de perfonnes. Madame la Comteffe de Joigny aïant reconnu par ce premier effai qui réüffit avec tant de fuccès, la neceffité des Miffions, particulierement pour le peuple de la campagne, conçut dès lors le deffein de donner un fonds de feize mille livres à quelque Communauté qui voudroit se charger d'en faire de cinq ans en cinq ans dans toutes les terres. Elle en fit parler aux Jesuites & aux Prêtres de l'Oratoire, qui ne voulant pas s'en charger lui firent prendre la refolution d'inferer dans fon Testament un article, par lequel après la mort elle donnoit ces feize mille livres pour fonder cette Mission, au lieu & en la maniere que Monfieur de Paul le jugeroit à propos. Quoique ce Serviteur de Dieu fût dans la maison de Monfieur de Gondy comme dans un Seminaire, tant par PRETRES DE LAMIS SION. SION. PRETRES rapport à la liberté qu'il y avoit de pratiquer les exercices de DF LAMIS- la plus grande pieté, que par rapport à la regularité avec laquelle on y vivoit, par les foins & l'exactitude de Madame de Gondy; néanmoins le grand defir qu'il avoit de fe donner plus parfaitement au fervice de Dieu & à l'inftruction du prochain, lui aïant fait prendre la refolution d'en fortir, il prit le prétexte d'un petit voïage qu'il avoit à faire,& fortit de Paris au mois de Juillet 1617. fans avoir déterminé aucun lieu où il dût s'arrêter. Mais Monfieur de Berulle qui le voïoit refolu de fortir, lui aïant propofé d'aller travailler en quelque lieu de la Breffe, où il y avoit difette d'Ouvriers Evangeliques, & particulierement dans la Paroiffe de Châtillon-les- Dombes. Il fuivit cet avis, & alla en ce lieu, où étant arrivé, une des premieres chofes qu'il fit, fut de porter cinq ou fix Ecclefiaftiques qu'il y trouva,à fe mettre enfemble, & former une espèce de Communauté, pour se donner plus parfaitement à Dieu & au service de fon Eglife: ce qu'ils firent à fa perfuafion,s'eftimant trop heureux d'être affociés à un fi faint Prêtre, pour un fujet auffi louable & auffi utile ; mais la joïe qu'ils avoient de le poffeder ne dura que fort peu de tems: car Madame de Gondy, qui, comme nous l'avons déja dit, avoit mis la conduite de fa conscience entre les mains de M. de Paul, fouffrant avec peine fon éloignement, fit tout ce qu'elle pût pour le faire revenir, emploïant l'autorité du Cardinal de Retz, pour lors Evêque de Paris, qui étant fon beau frere, voulut bien écrire pour ce fujet. Monfieur de Berulle s'interreffa auffi pour cela; on lui envoïa même exprès un de fes plus intimes amis, qui appuïant les Lettres, par lesquelles on le prioit de donner cette confolation à Madame de Gondy, le détermina à revenir à Paris, où il arriva au mois de Decembre de la même année 1617. & la veille de Noël il rentra dans la maifon de Gondy. Il y fut reçu comme un ange venu du Ciel, particulierement de Madame de Gondy, qui dans la crainte qu'il ne la quitât une feconde fois, lui fit promeure qu'il l'affifteroit jufqu'à la mort, comme il le fit; Dieu l'aïant voulu ainfi,pour donner commencement à la Congregation de la Miffion, par le moïen de cette fainte Dame, qui perfiftant toûjours dans la refolution qu'elle avoit prife de faire une fondation pour l'entretien & la fubfiftance de quelques bons Prêtres ou |