MAISONS grand monde & conçut de l'inclination pour une jeune DePERETRAL- moiselle d'une rare beauté, mais fans biens, & l'engagement alla si loin qu'il lui promit de l'épouser. Son pere & la mere n'omirent rien pour l'en détourner, & lui défendirent enfin de la voir. Cette défense, qui lui causa un chagrin mortel,lui fit prendre la résolution de faire un voïage à Paris: ce que ses parens lui permirent aisément dans l'esperance que l'éloignement amortiroit sa passion. Pendant son séjour dans cette ville, la Demoiselle moins constante que lui en épousa un autre : ce qui fit un sensible plaisir à ses parens, qui lui en donnerent avis avec ordre de revenir au plûtôt pour l'établir selon leurs desseins; mais Dieu, qui avoit les fiens bien differens des leurs, se servant de ce contre-tems fatal à ses amours, lui inspira un grand mépris pour le monde & pour ses vanités. Cachant néanmoins sa pensée à ses parens, il les pria de lui permettre de rester encore à Paris dans le dessein de faire une retraite chez les Carmes des Billetes, où il passa six semaines en solitude sous la conduite du Pere Donatien de saint Nicolas, homme fort éclairé dans la conduite des ames, qui l'assurant que Dieu l'appelloit à l'Etat Ecclesiastique & non pas à la Religion, il ne fongea plus qu'à suivre la voix du Seigneur, qu'il crutlui être manifestée par la bouche de ce faint homme. Aïant donc pris la résolution de se donner à Jesus-Christ dans l'état du Sacerdoce, il alla se présenter au Seminaire des bons Enfans à Paris, où il fut reçu par M. Vincent de Paul Instituteur des Prêtres de la Congregation de la Mifsion. Après y avoir passé quelques jours dans la retraite, il fit sçavoir à son pere & à sa mere sa résolution, les priant de lui donner leur agrément & leur benediction. Cette nouvelle à laquelle ils ne s'attendoient pas, leur causa beaucoup de chagrin. Ils refuserent sa demande & n'omirent rien pour le détourner de fon dessein. Mais la grace l'aïant rendu insensible aux attraits de la chair & du sang, il prit les Ordres sacrés dans la vingt-quatrième année de son âge, & demeura ensuite quatre ans dans le même Seminaire pour étudier en Theologie dans la celebre Université de cette ville. Sa mere étant morte pendant le cours de ses études, fon pere le rappella en Bretagne où étant arrivé il s'occupa à des exercices continuels de pieté. Son pere qui n'avoit pas d'a- MAISONS bord approuvé sa conduite, en fut tellement touchée qu'il DERETRALse rendit imitateur de ses vertus & le prit pour son Confeffeur & Directeur. Après sa mort, Loüis Eudo se voïant maitre de tout son bien emploïa presque tout son revenu en bonnes œuvres, commençant par l'Hôpital d'Hennebont qu'il acheva de bâtir & meubler, & où il fonda encore deux Sœurs de la charité outre les deux que son pere y avoit fondées pour avoir soin des malades. Non content de cela il donna une maison pour recevoir les pauvres Orphelins, avec une somme d'argent pour leur faire apprendre des mê tiers, & faifoit subsister plusieurs familles honnêtes, que la honte empêchoit de déclarer leurs necessités. Il se retira ensuite dans l'Hôpital d'Hennebont, où il avoit fait faire un appartement pour lui, dans la veuë d'y emploïer le reste de ses jours à servir les pauvres en qualité de Chapelain & de Confefseur, s'acquittant parfaitement deces devoirs de charité, fur tout à l'égard des malades qu'il visitoit plusieurs fois le jour, les confolant & les assistant dans leurs besoins. Le Pere Rigoleu & le Pere Huby de la Compagnie de Jesus, étant venus faire une Mission à Hennebont, y eurent plusieurs conversations avec M. de Kerlivio, & ils contracterent une fi grande amitié avec lui & une union si parfaite que rien ne fut jamais capable de l'alterer, & dès lors M. de Kerlivio prit le P. Huby pour son Directeur. Le P. Rigoleu lui aïant communiqué ses vûës touchant l'établissement d'un Seminaire, où les jeunes gens qui aspirent à l'état Ecclesiastique fussent élevés dans la pieté en même tems qu'ils étudieroient au College, ce faint homme offrit d'emploïer ses biens & fa personne même, s'il étoit necessaire, pour executer ce dessein. Etant venu à Vannes pour en traiter avec le Recteur des Jefuites, il acheta au nom de ces Peres un jardin joignant le College, & pour commencer à y bâtir, il donna une grosse somme au Pere Rigoleu; mais ils avoient leurs vûës, & Dieu avoit les siennes. Leur intention étoit de bâtir un Seminaire, & celle de Dieu étoit de bâtir une maison de retraite. Cependant la Providence qui vouloit que M. de Kerlivio servità l'execution de l'un & de l'autre de ces desseins lui en procura les moïens, en inspirant à M. de Rosmadec Evêque TES. MAISONS de Vannes, de le faire son Grand- Vicaire. La nouvelle lui DERETRAI en fut portée par le Pere Huby fon Directeur qui après bien de la peine le tira enfin de fon Hôpital & lui perfuada d'accepter cet emploi, dont il s'acquita avec une fidelité & une vigilance qui égaloient la grandeur de fon zele & de fa pieté : ce qui n'empêchoit pas qu'il n'eût toute l'attention possible pour la continuation de fon Seminaire, dont l'autorité qu'il avoit dans le Diocêse lui faisoit efperer un succès avantageux. Mais lorsqu'il fut achevé, il eut le déplaifir de voir que fon Evêque, après l'avoir agréé, avoit changé de sentiment, & que la chose aïant été proposée dans le Synode qui se tint en ce tems-là, tous les Curés s'y opposerent en invectivant contrelui & contre les Jesuites : ce qu'il fouffrit avec toute la moderation possible. Voïant que tout le Clergé s'étoit déclaré contre lui, il lui vint en pensée de quitter la Charge de Grand- Vicaire & de se borner au foin de la Paroisse de Plumergat que fon Evêque l'avoit obligé d'accepter en qualité de Curé. Cependant ne voulant rien faire fans confulter le Saint-Esprit, il se mit en retraite avec son Directeur, afin que par leurs continuelles & ferventes prieres il pussent obtenir les graces & les lumieres nécessaires pour la resolution qu'il devoit prendre. Leurs Vœux joints ensemble furent exaucez. Car M.. de Kerlivio qui demeuroit déja dans un petit appartement de cette maison qu'il avoit destiné pour un Seminaire, entendit par trois fois en divers tems une voix qui lui disoit distinctement, faites une maison de Retraite. Il communiqua cette inspiration au Pere Huby qui avoit eu aussi la même pensée, & ils conclurent d'emploïer le nouveau bâtiment à faire des retraites de huit jours. M. de Kerlivio en fit la proposition à l'Evêque de Vannes qui la reçut avec joïe, & voulut que ses Officiers fussent les premiers à y faire une retraite, emploïant toute fon autorité à les foûtenir dans ce pieux dessein & à y attirer tout le monde par le mandement qu'il envoïa pour cet effet le 11. Janvier 1664. dans toutes les Paroisses de fon Diocêse. Nonobstant le Mandement de ce Prélat, beaucoup de Curez & de personnes diftinguées, se déclarerent contre ces Retraites & contre les Auteurs d'un si saint établissement.. Ilseurent besoin d'un courage invincible, pour soûtenir toutes در TES, les perfecutions que l'enfer leur suscita dans le commence- MAISONS ment; mais avec le secours du ciel & la protection que leur DIRETRALdonna l'Evêque de Vannes, la tempête le diffipa peu à peu & Dieu benit visiblement leur entreprise. M. de Kerlivio & le Pere Huby dresserent ensemble tous les Reglemens qui regardent la conduite des retraites, & le premier ne cessa de faire jusqu'à sa mort de nouvelles dépenses pour agrandir & embellir la maison. Il y fonda l'entretien de quatre Peres pour en être les Directeurs, & pendant vingt- fix ans, il emploïa fon pouvoir & fon zele pour donner vogue à ces retraites, ausquelles il invitoit tout le monde par des billets qu'il envoïoit & faifoit publier & afficher dans les Eglifes, engageant les Curés, les Prédicateurs, les Missionnaires & les Prêtres à ces retraites, afin d'y attirer le peuple par leur exemple:ce qui lui réüfit si bien qu'il eut la confolation de les voir fréquenter par les Ecclesiastiques, la Noblesse, & par toutes fortes de personnes de différentes conditions. Les grands fruits que cette Maison produisoit, donnerent lieu à un pareil établissement pour les femmes. Mad. de Francheville qui en fut la Fondatrice, nâquit le 21. Septembre 1620. au château de Truscat dans la presque Isle de Ruys en Bretagne. Elle eut pour Pere Daniel de Francheville, & pour Mere Julienne de Cillart, l'une & l'autre riches & de familles diftinguées dans la Province. Elle reçut du Ciel un naturel heureux & facile qui commença de briller dès les premieres années de fon enfance. A mesure que son esprit s'ouvroit aux lumieres de la raison & dela grace, so cœur se rendoit sensible aux miseres du prochain, & l'on remarquoit qu'ellen'avoit point de plus grand plaisir que de donner l'aumône aux pauvres quand elle en trouvoit l'occafion. Après que Dieu l'eut privée de ceux qui lui avoient donné la vie, elle vint à Vannes chez son frere où elle demeura quatre ans; pendant lesquels on lui proposa beaucoup de partis confiderables pour le mariage; mais Dieu qui la deftinoit à un autre état, lui faisoit toûjours trouver quelque chose de défagreable dans la personne ou dans la fortune de ceux qui se présentoient, excepté une fois qu'elle s'étoit déterminée à épouser le Doïen des Conseillers du Parlement de Bretagne, qui charmé de ses belles qualités, lui avoit fait TIS. MAISONS faire des propositions de mariage qu'elle avoit enfin accep DE RETRAI-tées. Mais la Providence divine en disposa autrement; car en entrant dans le Fauxbourg de Rennes, où elle étoit allée pour conclure cette affaire, le premier objet qui se présenta devant ses yeux, fut le convoi funebre de celui qu'elle esperoit avoir pour époux, donton portoit le corps à l'Eglise de Notre-Dame de bonne nouvelle. Un spectacle si triste & fi imprevû ne lui permettant pas de douter que Dieu ne la voulût détacher du monde, elle ne pensa plus qu'à s'en retirer. Dès qu'elle fut de retour à Vannes, elle renonça à ses plaisirs & à ses vanitez, & feconsacra aux exercices de pieté, quoiqu'elle n'eût alors que trente un an. Les premieres marques qu'elle donna de sa sincere & veritable devotion, furent de distribuer aux Eglises ses bijoux & ses pierreries, & de faire fervir à l'ornement des Autels les habits mondains qu'elle avoit portez jusqu'alors, ne voulant plus se servir que de vêtemens simples, modestes & d'une étoffe commune. Non contente d'orner les temples des dépoüilles du monde, elle commença d'emploïer au foulagement des pauvres ses revenus qui étoient confiderables. Elle contribua beaucoup au bâtiment de l'Eglise des Jefuites, ausquels elle donna d'abord trois cens Louis d'or, & durant le cours de treize années seize cens livres par an. Outre cela elle entretenoit des Missions à ses dépens, en fondoit de nouvelles en beaucoup d'endroits, & païoit souvent la pension de plusieurs personnes, que leur indigence auroit empêché d'entrer dans la Maison de retraite qu'on avoit déja établie pour les hommes, comme nous l'avons dit cidessus. Lorsqu'elle eut conçu le dessein de fonder auffi une maison de retraite pour des femmes, elle le communiqua au P. Daran son Confesseur, qui benissant celui qui le lui avoit infpiré, ne songea plus qu'à chercher les moïens de l'executer. Elle avoit dans sa maison deux étages partagez en plusieurs chambres & propres à loger des personnes séparément. Ils convinrent de les faire fervir à ces usages, & ce zelé Directeur y envoïoit de tems en tems en retraite quelques unes de ses Penitentes pour y faire pendant huit jours les exercices qu'il leur prescrivoit. Elles n'en fortoient que pour aller à l'Eglife & pour prendre chaque jour ses Instructions.Plu |