CHAPITRE V. Des Moines Armeniens. eft de Chrétiens, dont les uns, qu'on nomme francs-Armeniens, font Catholiques, & les autres Schifmatiques. Les premiers font ceux que le P. Barthelemi de Boulogne, Religieux de l'Ordre de saint Dominique, envoyé par le Pape Jean XXII. convertit l'an 1330. étant toujours demeurés fermes dans la croyance de l'église Romaine depuis ce tems-là, qu'ils firent un archevêque & unclergé particulier, qui portel'habit de S. Dominique, observant la regle & les constitutions de fon Ordre, comme nous dirons plus amplement, en parlant des Freres Unis de S. Gregoire l'Illuminateur, dans le chapitre-30. Les Francs-Armeniens habitent auprès de Naxyvan ville d'Armenie, sous la domination du roi de Perse, dans un canton appellé Abrener, qui contient presentement douze vil. lages Catholiques. Il y en avoit un plus grand nombre, qui a été diminué par les perfecutions des Schifmatiques, qui leur ont suscité de grosses avanies par le moyen des gouverneurs. Ils en porterent leurs plaintes au pape Alexandre VII. qui l'an 1664. écrivit en leur faveur au fophi de Perse, pour les faire taxer d'office: ce qu'il leur accorda; mais cela ne fervit qu'à augmenter leurs peines, & en même tems la rage des miniftres Persans, qui ne manquent aucune occafion de leur faire tous les jours de nouvelles perfecutions. Il ya encore des Francs-Armeniensen Pologne, qui ont un archevêque particulier qui se soumit à l'église Romaine en l'année 1666.ayant fait abjuration de l'heresie & profeffion de la foi Catholique, entre les mains du P.Clement Galano Theatin', que le même pape Alexandre VII. envoya exprès de Rome à Leopol, avecle R. P. Pidou, François, auffi Theatin, & à present évêque de Babilone. Ils établirent un college de philofophie & de theologie à Leopol, qui subsiste toujours & dont il est forti de fort habiles gens. Tous ces Francs-Ar meniens suivent entierement le rit Romain, & le calendrier pour toutes les ceremonies & les Fêtes. 重 ARME- 4 MOINES ARME NIENS. Les Armeniens Schifmatiques, qui ont autant d'erreurs eux seuls que toutes les autres Sectes ensemble, ont deux Patriarches. Autrefois leur Eglise n'avoit qu'un Chef qu'elle nommoit Seigneur spirituel, qui étoit aussi très-puissant pour le temporel, & faifoit sa residence au Monastere d'Ekmiazin; mais depuis queles guerres ont obligé ce Patriarche de transferer son siege à Cis, dans l'Armenie Mineure, ou Caramanie, l'Archevêque de cette ville a usurpé aussi la qualité patriarchale, qu'il a peu à peu établie & affermie : desorte que l'on compte presentement dans cette Eglise Schifmatique, deux Patriarches universels; l'un au Monastere d'Ekmiazin proche la ville d'Erivan, & l'autre à Cis en Caramanie; neanmoins celui qui refide àEkmiazin a retenu la superiorité & l'autorité fur tout le peuple Armenien, avec le titre de Superieur spirituel. En effet c'est un des plus grands Prelats du monde & le plus pauvre, car il a deux cens Archevêques & Evêques de sa dependance, & à sa nomination; la plupart desquels n'ont que le titre sans Eglife, & celui de Cis n'en a pas plus de cinquante ou environ, entre lesquels font ceux de Jerufalem & d'Alep. L'Archevêque de Constantinople s'est servi de l'autorité des Empereurs Ottomans, pour se faire auffinommer Patriarche, & fon élevation depend de la Porte, qui n'a pas pour cela augmenté son autorité, puisqu'elle ne s'étend que dans fon Archevêché, & qu'il n'est reconnu d'aucuns Prelats. Le plus souvent il n'est point facre, & est obligé de se servir du ministere de quelques Prelats passagers ausquels il donne de l'argent pour faire les fonctions de l'Huile sacrée, & pourdonner les Ordres. Il faut être Religieux, pour arriver à ces dignités, aussi-bien qu'à celle de Vartabied; nom que prennent leurs Docteurs, dont la marque est un bâton pastoral & un livre qu'ils portent toujours, qui les rend plus respectables que les Prelats mêmes, & leur donne une autorité présque égale à la Patriarchale, de decider fur toutes choses en matiere de Religion, & de Loix Ecclesiastiques, & de prêcher assis. Il ya parmi les Armeniens Schifmatiques un très-grand nombrede Moines. Les uns font de l'Ordre de saint Antoine & les autres de celui de saint Bafile. Ceux de saint Antoine demeurent dans des Solitudes & dans des Deserts, où les austerités qu'ils qu'ils pratiquent, surpassent celles des Religieux les plus re- MOINES formés de l'Europe, & ces Moines feroient heureux, s'ils joi- ARMEgnoient à une vie fsi auftere, une soumission au Chef de l'E-NIENS. glise Romaine, & s'ils quittoient leurs erreurs pour embraffer les verités que cette Eglise enseigne. Leurs monasteres font très-confiderables, & il s'en trouve de soixante, de quatrevingts, & même de cent Religieux. Ils ne mangent jamais de viande, & ne boivent jamais de vin, fi ce n'est le seul jour de Pâques. Ils jeunent toute l'année, même les Dimanches, & ne mangent qu'une fois le jour. Ils ne vivent que de racines & de legumes, s'abstenant de poisson, de laitage, & même d'huile, quoiqu'il leur foit perinis de manger des olives. Ils ne fortent jamais du Monastere & ne parlent à personne; & si quelqu'étranger a quelque chose à dire à quelqu'un de ces Solitaires, il le dit au portier qui va trouver le Solitaire, lequel fait réponse à la personne par le moyen de ce portier. Ils demeurent dans des chambres separées les unes des autres s'employant au travail, hors les heures de l'office & des autres exercices. Ils font tous laïques, à l'exception de cinq ou fix prêtres, & quelquefois de huit, qui demeurent dans chaque Monaftere. Leur office est fort long. Ils recitent toutes les nuits au chœur les cent cinquante pleaumes, étant pendant ce reins-là debout appuyés fur des especes de bequilles. Proche la ville de Van, qui est la derniere ville de l'Armenie qui confine avec la Perse, il y a deux couvens de ces folitaires, dont l'un est dansuneifle qui s'appelle Limanne, ou Limadafi, & l'autre dans une folitude. C'est ce que j'ai appris des sieurs Serge & Jofeph, prêtres Armeniens catholiques d'Andrinople, qui étoient à Paris en 1705. Tavern. Tavernier dit: que dans le lac de Van, il y a deux ifles principales dont l'une s'appelle Adaketous & l'autre Lima- Voyage de dafi: que dans la premiere il y a deux couvents d'Arme-Perfe, liv. 3. chap.. niens, dont l'un se nomine Sourphague, & l'autre Sourpkara: que dans la seconde il y a aussi un couvent de ces mêmes Armeniens, appellé Limquiafi, & que ces Moines vivent très austerement, ce qui se rapporte affez à ce que m'ont dit ces prêtres d'Andrinople; & il se pourroit bien faire que ces trois couvents font de ces Moines Armeniens de l'Ordre de faint Antoine. Je n'ai pû sçavoir par qui l'Ordre de saint Antoine avoit été Tome I. N |