Page images
PDF
EPUB

CARMES pouvoit entrer que par l'ouverture d'une tuile qui servoit de ET CAR-fenêtre. Tout ce bâtiment n'étoit accompagné que d'une MELITES $ petite cuisine, & l'enceinte étoit semblable à celle d'une DECHAUS

SE'S.

usmaison de paysan. Cependant la Sainte y trouva tout ce qu'elle souhaitoit, cette place lui sembla très-propre pour l'établissement d'un Monastere, & fans se former aucune difficulté elle y traça le dessein du couvent. Elle mit l'Eglife dans le portique, le dortoir dans le bas de la chambre, & le chœur dans le galletas; pour la cuisine elle se contenta d'une moitié de celle qui y étoit, laissant l'autre moitié pour le refectoire. Voilà comme la Sainte choisit ce lieu pour y jetter les fondemens de l'Ordre des Carmes Dechausses.

Pendant son sejour à Medina del Campo, elle avertit le pere Antoine d'Heredie, qu'elle avoit enfin trouvé un lieu pour fonder une maison de Carmes Dechausses. Elle lui demanda s'il auroit bien le courage de demeurer quelque teins dans ce pauvre lieu: elle fut ravie d'apprendre que la pauvreté du lieu ne le décourageoit point, & qu'il étoit toûjours dans les mêmes dispositions d'embrasser la reforme. Sa joie fut accomplie, lorsqu'elle trouva le Pere Jean de saint Mathias dans une semblable resolution. Elle espera qu'elle viendroit aisément à bout d'une autre difficulté, qui étoit d'obtenir la permission des deux provinciaux de l'Ordre, comme il étoit marqué par les patentes du general. Dans cette confiance elle laissa à Medina del Campo le pere Antoine d'Heredie, & mena avec elle à Valladolid le pere Jean de faint Mathias, pour l'informer plus à loisir de la façon de vie, des exercices & de l'observance qu'elle faisoit pratiquer à ses Religieuses. Etant arrivée à Valladolid, elle y travailla à l'établissement d'un Monastere de Filles: & y ayant reglé toutes choses & reçû les permissions du provincial de la province de Castille, & de celui qui étoit le dernier forti de cette charge; elle envoya le P. Jean de faint Mathias à Durvelle pour y jetter les fondemens de la reforme. Elle lui donna un habit de drap fort groffier, & un pauvre Missel pour dire la Messe. Un des ouvriers qui travailloit au Monastere de Valladolid Payant accompagnée, accommoda cette maison en forme de Monastere dans une simplicité & une pauvreté admirable, le Pere Jean de S. Mathias se revêtit de l'habit que fainte Therese lui avoit donné, & demeura seul dans cette folitude

DECHAUS

folitude depuis la fin du mois de Septembre 1564. jusqu'à la CARME fin du mois de Novembre de la même année, que le pere An-ET CARtoine d'Heredie le vint trouver avec un frere laic. Ils arrive. MELITES rent à Durvelle le 27. Novembre, & pafferent la nuit en prie-s. res pour se preparer à l'action folemnelle qu'ils devoient fairelelendemain. Le pere Antoine d'Heredie, & le pere Jean de saint Matthias ayant celebré la sainte Messe, ils renouvellerent, étant àgenoux devant le saint Sacrement, la profefsion qu'ils avoient déja faite auparavant, de la regle primiti.. ve; & après que le frere laic eût fait avec eux la même pro.. feffion, ils renoncerent tous trois à la regle mitigée. Ils changerent ensuite leurs noms, felon la coûtume que sainte Therese avoit introduite parmi ses filles. Le pere Antoine prit le furnom de Jesus, & le pere Jean celui de la Croix : le pere provincial les vint visiter quelque tems après, & nomma pour prieur le pere Antoine de Jesus, & pour sous-prieur le B. Jean de la Croix.

Quoique le couvent de Durvelle ait été leur premier établissement, il n'a pas retenu long-tems son droit de primauté; car celui de Pastrane ayant été fondé le 13. Juillet 1561. s'est toûjours augmenté de plus en plus, & a été le premier de la reforme où la regularité a été parfaitement établie ; au lieu que l'an 1570. l'incommodité du lieu où le couvent de Dur velle étoit situé, obligea les Religieux de le transferer dans la ville de Manzere ; & le premier Monastere ayant été abandonné, rentra dans la possession de Dom Raphaël Megia Velasqués qui l'avoit donné à sainte Therefe. Ses heritiers en jouirent jusqu'en 1612. que les Carmes dechausses se repentant d'avoir quitté le lieu où la reforme avoit commencé, le racheterent, & y firent bâtir un beau couvent qui subsiste encore; mais celui de Pastrane a toûjours pretendu la primauté, & les chapitres generaux s'y font tenus. On pratiquoit d'abord dans ce couvent de Pastrane tant d'austerités & de mortifications, qu'il fallut y apporter de la moderation.Comme le B. Jean de la Croix avoir exercé la charge de maître des novices avec beaucoup de prudence & de sagesse à Durvelle & à Manzere, il fut envoyé à Pastrane pour y exercer le même emploi. Il partit pour ce sujet de Manzere le 15. Oct. 1570. & étant arrivé à Pastrane, il trouva le noviciat com. posé de quatorze Religieux, sçavoir dix novices & quatre pro

Tome I.

Yy

SE'S.

à Paf

CARMES fés, à qui il donna de fi bonnes instructions, qu'ils furent dans ET CAR- la suite d'excellens Religieux. Il ne fut pas neanmoins longMELITES -tems dans ce couvent, car il en sortit au commencement de DECHAUS- l'année 1571. pour être prieur du nouveau monaftere d'Alcala; mais on l'obligea de retourner quelque tems après tranne, pour y reprendre la direction du noviciat, à cause que celui qui lui avoit fuccedé dans la charge de maître des novices y avoit pensé ruiner la regularité par un zele indifcret. Le B. Jean de la Croix y fit des changemens plus conformes à l'esprit de la regle. Il ne resta pas encore long-tems dans ce couvent; car fainte Therese qui avoit été élûe prieure du monastere de l'incarnation d'Avila fon ancien couvent de profession, l'y fit venir pour être confefleur des Religieuses, afin qu'elles pussent par ses bons avis se soumettre à la reforme qu'elles n'avoient pas voulu embrasser; ce qui lui réussit parfaitement; la sainte ayant vû les esprits les plus rebelles de ces Religieuses se rendre dociles & se soumettre.

Mais lorsque le B. Jean de la Croix travailloit fi efficacement pour le bien de la reforme, il eut une grande persecution à souffrir de la part des Carmes mitigés, qui regardant cette reforme comme une rebellion contre les superieurs de l'Ordre, voulurent le traiter comme un fugitif & un apof. tat. Ils envoyerent une troupe d'archers & de foldats qui enfoncerent la porte de l'hospice où il demeuroit, le saisirent, & l'emmenerent en tumulte dans les prisons de leur couvent, L'estime & la veneration publique où étoit ce saint homme dans Avila, leur fit apprehender qu'on ne le leur enlevât; c'est pourquoi ils le transfererent à Tolede, & le renferme. rent dans un cachot, où le jour n'entroit que par une ouver ture de trois doigts. Il y demeura neuf mois traité au pain & à l'eau, quoiqu'il y fût toûjours malade, & ce fut par une efpece de miracle qu'il ne mourut point; mais Dieu se servit du credit & de l'industrie de sainte Therese pour le delivrer & lui donner la liberté.

Il n'y avoit pas à s'étonner que des personnes qui étoient fi fort opposées à la reforme, fissent ce qu'ils pussent pour perdre ceux qui en étoient les auteurs. Sainte Therese avoit experimenté elle-même, jusqu'où pouvoit aller leur pafsion; puisque leurs calomnies & leurs medisances ayant été écoutées trop facilement par le general Rubeo qui lui avoit

MELITES

été auparavant si favorable pour l'avancement de la refor. CARMES me, il lui fit défense de faire de nouvelles fondations, & lui ET CARmarqua comme pour prison un couvent où elle devoit se ren- DECHAUSfermer. Mais de quelle douleur cette fainte n'auroit-elle se's. point été penetrée, si elle avoit vû la persecution que les Reformés, les propres enfans, susciterent au bienheureux Jean dela Croix, qu'ils devoient regarder & respecter comme leur pere? Avant que ces desordres arrivassent, cette sainte étoit morte à Albe l'an 1582. en revenant de Burgos, où elle avoit encore fondé un Monastere de filles. Elle étoit âgée de foixante-sept ans fix mois & quelques jours, & avoit passé quarante-sept ans en religion, sçavoir vingt- sept parmi les Carmelites anciennes ou mitigées, & vingt parmi les dechauffées de son institution.

Ce ne fut donc qu'après sa mort que les reformés qui avoient traité le bienheureux Jean de la Croix avec beaucoup d'indignité, le priverent de tout emploi dansun chapitre general, & le chasserent honteusement de l'assemblée comme une peste publique : ils le releguerent dans le plus miferable couvent qu'ils eussent à la campagne, avec ordre d'empêcher qu'il ne fut visité de personne ; & voulant se defaire de lui, ils refolurent de l'envoyer aux Indes, sous pretexte de quelque mission, mais Dieu l'arrêta par une violente maladie, & les fuperieurs l'envoyerent dans le couvent d'Ubeda ville de l'Andaloufie. Il y fut porté tout couvert d'ulceres par tout le corps, & y trouva le prieur, homme vindicatif, qui ne put dissimuler la satisfaction qu'il avoit d'avoir en sa puissance celui qu'il regardoit comme son ennemi, parce qu'il l'avoit repris de quelques defauts lorsqu'il étoit son superieur. Il lui refusa tous les foulagemens necessaires, & défendit même aux Religieux de l'aller consoler. Ce fut au milieu de ces maux & de ces perfecutions, que ce faint homme, après les avoir foufferts avec beaucoup de parience, de douceur, & d'humilité, rendit tranquillement son esprit à fon Createur le 14.Decembre de l'an 1591. Dieu fit connoître après sa mort la fainteté & la gloire de son serviteur par plusieurs miracles, qui ont enfin obligé le pape Clement X. à le beatifier l'an 1675.

Sainte Therese avoit eu la consolation en mourant de voir plus de dix-sept couvens de filles, & quinze d'hommes de

MELITES

SE'S.

CARMES sa reforme. Soninstitut fut porté de son vivant aux Indes, & BT CAR- après sa mort il s'étendit en Italie, en France, dans les PaysDECHAUS- Bas, & dans toutes les provinces de la Chrétienté. Ces maifons de reforme demeurerent d'abord sous l'obéïssance des anciens provinciaux mitigés, ayant seulement des prieurs particuliers pour maintenirla nouvelle discipline. Cette union subsista jusqu'en l'an 1580. que Gregoire XIII. à la prière de Philippe II. roi d'Espagne, separa entierement les reformés d'avec les mitigés, sous l'obéïssance d'un provincial particulier, foûmis neanmoins au general de tout l'Ordre. Sixte V. en 1587. voyant que les couvens se multiplioient, ordonna qu'ils seroient divisés par provinces, & leur permit d'avoir un vicaire general, ce qui subsista jusqu'en l'an 1593, que le pape Clement VIII. separa entierement les reformés d'avec les mitigés, & permit aux reformés d'élire un general: le même pape en 1600. separa encore les reformés en deux congregations differentes, sous deux differens ge,

neraux.

Dès l'an 1586. ils avoient obtenu un couvent à Gennes, le papeClement VIII. leur offrit un autre établissement à Rome l'an 1597. qui est celui qu'ils possedent presentement sous le nom de Notre-Dame della Scala. Mais les Espagnols s'y opposerent, pretendant que la reforme de sainte Therese ne devoit pas fortir hors du royaume d'Espagne, & le roi Philippe II. ordonna même à son Ambassadeur à Rome d'empêcher que ces Religieux ne s'y établissent. Nonobstant ces oppositions, le pape voulut qu'ils prissent possession de cette Eglise de Notre-Dame della Scala le 2. Fevrier 1596. c'est ce qui a donné lieu à la division des Carmes dechaussés en deux congregations differentes. Car ce pontife par un bref du deuxième Mars 1597. ordonna que les couvens de Gennes, de Rome, & un autre de Religieuses qui étoit aussi à Gennes, ne dependroient plus du general ni des Religieux Espagnols, & seroient soumis à la jurisdiction du Cardinal Pinelli, pour lors protecteur de l'Ordre ; & l'an 1600. il érigea ces trois couvens en congregation, leur donnant un commissaire general. Ils ont eu dans la suite un general, & cette congre, gation qui se nomme de saint Elie s'est si sort multipliée qu'elle a presentement dix-sept provinces en France, en Ita, Lie, en Allemagne, en Pologne, en Flandre & en Perse,

« PreviousContinue »