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leurs grandes aufterités, & leur donna les conftitutions CARMES qu'elle avoit dreffées pour fon premier Monaftere de faint ET CARJofeph d'Avila, mais elle ne put pas obtenir d'elles de fe fou. MELITES mettre à l'obéiffance de l'Ordre. Il y a eu depuis dans la même DECHAUS ville un couvent de fa reforme, qu'on appelle les Carmelites du faint Sacrement ou de Corpus Chrifti, pour les diftinguer des autres Carmelites de la Mere Marie de Jefus qu'on appelle de l'Image. Après avoir fatisfait aux defirs de la fondatrice de ce couvent, elle fut à Malagon pour y faire un nouvel établissement de Filles, où parut la premiere difpense de ses constitutions fur le point de la pauvreté & de la defapropriation; car par l'avis des plus fçavans hommes, elle fouffrit que cette maifon eût des rentes. Après avoir achevé cette fondation, elle partit pour en aller commencer une autre à Valladolid, mais en paffant par Avila, elle fut vifiter fon premier Monaftere, & fut fort furprise, lorfqu'un gentilhomme de cette ville nommé dom Raphaël Megia Velafquez la vint trouver pour lui dire qu'ayant appris fon arrivée & qu'elle fouhaitoit fonder un couvent de Carmes Déchauffés, il lui offroit pour ce fujet une maison de campagne qu'il avoit à Durvelle. La Sainte benit les ordres fecrets de la Providence, qui fecondoit ainfi fes defirs & faifoit reuffir si favorablement fon entreprise.Ayant donc accepté les offres de ce gentilhomme, elle lui promit qu'allant à Medina del Campo, pour se rendre à Valladolid, elle pafferoit par cette maison de Durvelle, qui n'étoit pas éloignée de fon chemin. Elle partit à la fin du mois de Juin de l'an 1568. accompagnée d'Antoinette du Saint-Efprit & du P. Julien d'Avila,& après s'être écartée de la route, & fait plufieurs detours, ne rencontrant perfonne qui lui put indiquer le chemin de Durvelle, ce lieu étant peu connu, elle y arriva enfin avec beaucoup de peine. La vûe de cette chetive maison que la Sainte deftinoit pour un chef-d'œuvre, étoit capable de refroidir & d'abattre tout autre courage que le fien; car ce logis étoit feul en pleine campagne, expofe de toutes parts à la rigueur des vents & aux ardeurs du foleil, proche d'un petit ruiffeau nommé Rioalmar. Il ne confiftoit qu'en un portique raisonnable, à côté duquel il y avoit une chambre fort petite & fi baffe, qu'on touchoit prefque le plancher avec la tête: le deffus étoit un galletas fi renfermé, que la lumiere n'y

CARMES pouvoit entrer que par l'ouverture d'une tuile qui fervoit de ET CAR- fenêtre. Tout ce bâtiment n'étoit accompagné que d'une MELITES petite cuifine, & l'enceinte étoit femblable à celle d'une

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maifon de payfan. Cependant la Sainte y trouva tout ce qu'elle fouhaitoit, cette place lui fembla très-propre pour l'établiffement d'un Monaftere, & fans fe former aucune difficulté elle y traça le deffein du couvent. Elle mit l'Eglife. dans le portique, le dortoir dans le bas de la chambre, & le chœur dans le galletas; pour la cuifine elle fe contenta d'une moitié de celle qui y étoit, laiffant l'autre moitié pour le refectoire. Voilà comme la Sainte choifit ce lieu pour y jetter les fondemens de l'Ordre des Carmes Dechauffes.

Pendant fon fejour à Medina del Campo, elle avertit le pere Antoine d'Heredie, qu'elle avoit enfin trouvé un lieu pour fonder une maifon de Carmes Dechauffés. Elle lui demanda s'il auroit bien le courage de demeurer quelque tems dans ce pauvre lieu: elle fut ravie d'apprendre que la pauvreté du lieu ne le décourageoit point, & qu'il étoit toûjours dans les mêmes difpofitions d'embrafler la reforme. Sa joie fut accomplie, lorfqu'elle trouva le Pere Jean de faint Mathias dans une femblable refolution. Elle efpera qu'elle viendroit aisément à bout d'une autre difficulté, qui étoit d'obtenir la permiffion des deux provinciaux de l'Ordre, comme il étoit marqué par les patentes du general. Dans cette confiance elle laiffa à Medina del Campo le pere Antoine d'Heredie, & mena avec elle à Valladolid le pere Jean de faint Mathias, pour l'informer plus à loifir de la façon de vie,des exercices & de l'obfervance qu'elle faifoit pratiquer à fes Religieuses. Etant arrivée à Valladolid, elle y travailla à l'é- · tablissement d'un Monaftere de Filles : & y ayant reglé toutes chofes & reçû les permiffions du provincial de la province de Castille, & de celui qui étoit le dernier forti de cette charge, elle envoya le P. Jean de faint Mathias à Durvelle pour y jetter les fondemens de la reforme. Elle lui donna un habit de drap fort groffier, & un pauvre Miffel pour dire la Meffe. Un des ouvriers qui travailloit au Monaftere de Valladolid l'ayant accompagnée, accommoda cette maison en forme de Monastere dans une fimplicité & une pauvreté admirable, le Pere Jean de S. Mathias fe revêtit de l'habit que fainte Therefe lui avoit donné, & demeura feul dans cette

folitude

DECHAUS

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folitude depuis la fin du mois de Septembre 1564. jufqu'à la CARMES fin du mois de Novembre de la même année, que le pere An- ET CARtoine d'Heredie le vint trouver avec un frere laic. Ils arrive. MELITES rent à Durvelle le 27. Novembre, & pafferent la nuit en prieres pour se preparer à l'action folemnelle qu'ils devoient faire le lendemain. Le pere Antoine d'Heredie, & le pere Jean de faint Matthias ayant celebré la fainte Meffe, ils renouvellerent, étant à genoux devant le faint Sacrement, la profes fion qu'ils avoient déja faite auparavant, de la regle primiti ve; & après que le frere laic eût fait avec eux la même profeffion, ils renoncerent tous trois à la regle mitigée. Ils changerent enfuite leurs noms, felon la coûtume que fainte Therefe avoit introduite parmi fes filles. Le pere Antoine prit le furnom de Jefus, & le pere Jean celui de la Croix : le pere provincial les vint vifiter quelque tems après, & nomma pour prieur le pere Antoine de Jefus, & pour fous-prieur le B. Jean de la Croix.

Quoique le couvent de Durvelle ait été leur premier établiffement, il n'a pas retenu long-tems fon droit de primauté; car celui de Pastrane ayant été fondé le 13. Juillet 1561. s'eft toûjours augmenté de plus en plus, & a été le premier de la reforme où la regularité a été parfaitement établie ; au lieu que l'an 1570. l'incommodité du lieu où le couvent de Dur velle étoit fitué, obligea les Religieux de le transferer dans la ville de Manzere; & le premier Monaftere ayant été abandonné, rentra dans la poffeffion de Dom Raphaël MegiaVelafqués qui l'avoit donné à fainte Therefe. Ses heritiers en jouirent jufqu'en 1612. que les Carmes dechauffés fe repentant d'avoir quitté le lieu où la reforme avoit commencé, le racheterent, & y firent bâtir un beau couvent qui fubfifte encore; mais celui de Paftrane a toûjours pretendu la primauté, & les chapitres generaux s'y font tenus. On pratiquoit d'abord dans ce couvent de Paftrane tant d'aufterités & de mortifications, qu'il fallut y apporter de la moderation.Comme le B. Jean de la Croix avoir exercé la charge de maître des novices avec beaucoup de prudence & de fageffe à Durvelle & à Manzere, il fut envoyé à Paftrane pour y exercer le même emploi. Il partit pour ce fujet de Manzere le 15.Oc. 1570. & étant arrivé à Pastrane, il trouva le noviciat compofé de quatorze Religieux,fçavoir dix novices & quatre proTome I.

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CARMES fés, à qui il donna de fi bonnes inftructions, qu'ils furent dans ET CAR- la fuite d'excellens Religieux. Il ne fut pas neanmoins longMELITES tems dans ce couvent, car il en fortit au commencement de

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l'année 1571. pour être prieur du nouveau monaftere d'Alcala; mais on l'obligea de retourner quelque tems après à Pastranne, pour y reprendre la direction du noviciat, à cause que celui qui lui avoit fuccedé dans la charge de maître des novices y avoit penfé ruiner la regularité par un zele indifcret. Le B. Jean de la Croix y fit des changemens plus conformes à l'efprit de la regle. Il ne refta pas encore long-tems dans ce couvent; car fainte Therefe qui avoit été élûe prieure du monaftere de l'incarnation d'Avila fon ancien couvent de profeffion, l'y fit venir pour être confeffeur des Religieufes, afin qu'elles puffent par fes bons avis fe foumettre à la reforme qu'elles n'avoient pas voulu embraffer; ce qui lui réussit parfaitement; la fainte ayant vu les efprits les plus rebelles de ces Religieufes fe rendre dociles & fe foumettre.

Mais lorsque le B. Jean de la Croix travailloit fi efficacement pour le bien de la reforme, il eut une grande perfecution à fouffrir de la part des Carmes mitigés, qui regardant cette reforme comme une rebellion contre les fuperieurs de l'Ordre, voulurent le traiter comme un fugitif & un apos tat. Ils envoyerent une troupe d'archers & de foldats qui enfoncerent la porte de l'hofpice où il demeuroit, le faisirent, & l'emmenerent en tumulte dans les prifons de leur couvent, L'estime & la veneration publique où étoit ce faint homme dans Avila, leur fit apprehender qu'on ne le leur enlevât; c'est pourquoi ils le transfererent à Tolede, & le renferme. rent dans un cachot, où le jour n'entroit que par une ouver ture de trois doigts. Il y demeura neuf mois traité au pain & à l'eau, quoiqu'il y fût toûjours malade, & ce fut par une ef pece de miracle qu'il ne mourut point; mais Dieu fe fervit du credit & de l'industrie de fainte Therese pour le delivrer &

lui donner la liberté.

Il n'y avoit pas à s'étonner que des perfonnes qui étoient si fort oppofées à la reforme, fiffent ce qu'ils puffent pour perdre ceux qui en étoient les auteurs. Sainte Therese avoit experimenté elle-même, jufqu'où pouvoit aller leur pasfion, puifque leurs calomnies & leurs medifances ayant été écoutées trop facilement par le general Rubeo qui lui avoit

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