qui lui furent inutiles; mais elle donna la guerison spirituelle à CARME- Elle fut trois mois dans ce lieu, où les remedes, bien loin de lui avoir été salutaires, l'avoient de nouveau reduite à l'extrémité. Son pere la ramena chez lui en cet état, & la fit voir à beaucoup de Medecins, qui desesperant de sa guerifon, l'abandonnerent. Un jour de l'Assomption elle tomba dans une syncope si étrange, qu'on la tint morte pendant quatre jours; de forte qu'on prepara sa fosse dans son Monastere, & que les Religieuses, qui, comme nous avons dit, ne gardoient point de clôture, envoyerent quelques-unes d'entre elles pour enlever le corps & le conduire à la sepulture; mais fon pere s'appercevant qu'elle avoit encore un peu de poulx s'y oppofa. En effet elle revint de ce grand évanouissement, & voulut ensuite retourner en son couvent, où par les merites de S. Joseph, sous la protection duquel elle se mit, elle commença à se mieux porter & à marcher. Cependant à peine fut-elle guérie, qu'elle oublia les graces qu'elle avoit reçûes de Dieu, & qui devoient servir de chaînes pour l'attacher à lui. Elle se laissa aller au relachement, elle se laissa vaincre par l'esprit du monde, elle permit à quelques seculiers de la voir & de l'entretenir, & elle quitta d'abord l'oraison, n'osant pas s'approcher de Dieu durant qu'elle se sentoit si fort attachée aux creatures. Mais Notre Seigneur ne put long-tems souffrir l'infidelité de son épouse, il lui apparut deux fois pendant ce tems-là; la premiere avec un visage severe, & la feconée comme attache à la colomne, & couvert de playes, un morceau de fa chair paroissant dechiré & comme pendant à un bras. Une faveur si grande la remplit de confufion, elle reprit les exercices de l'oraison, aidée en cela par les bons avis d'un Religieux de S. Dominique à qui elle s'étoit confefsée, elle retomba dans l'heureuse pente de son cœur qui se portoir commenaturellement à Dieu,& Notre-Seigneur l'élevoit peu à peu au plus haut degré de la contemplation; il prenoit plaifir à redoubler ses graces & fes caresses Les faveurs qu'elle en recevoit frequemment devinrent suspectes à ses directeurs. Ils apprehendoient que ce ne fussent des illusions, ce qui SEʼES. CARME-fit que Therese intimidée par ses confesseurs, n'operoit son LITES DE- salut qu'aveccrainte, & faisoit de plus grands efforts pour ac. CHAUS SEʼES. Commencement de querir la pureté de fon ame: mais après quelques conferen ces qu'elle eut avec S. François de Borgia de la compagnie de Jesus, qui lui fit connoître que marchant toujours dans l'humilité, elle n'avoit aucun sujet de craindre l'illusion; elle se rassura, & fe mit sous la conduite de quelques peres de la même compagnie, qui la soûtinrent dans cette conduite extraordinaire & qui l'obligerent de joindre l'exercice de la mortification & de la penitence à ces degrès si sublimes d'oraison. Elle se defit des amitiés particulieres qu'elle avoir, qui, quoiqu'innocentes, mettoient neanmoins un grand empêchement à sa perfection:cela lui coûta beaucoup; par ce qu'étant d'un naturel fort genereux, elle avoit toûjours cru qu'elle devoit aimer ceux qui lui témoignoient de l'affection; mais après que par l'ordre de son confesseur elle eut dit pendant un tems quelques prieres, cette passion d'amitié s'éteignit, & il ne lui fut plus possible d'aimer personne qu'en Dieu & pour Dieu. C'étoit dans l'esprit d'acquerir de plus en plus cette perla reforme. fection & de la procurer à d'autres, qu'elle entreprit la reforme de fon Ordre : ce qui la determina à executer ce defsein, furent les maux que les Lutheriens & les Calvinistes, causoient dans l'Allemagne & dans la France, ruinant les églises & profanant les autels; étant bien raisonnable, difoit-elle, que pendant que les ennemis de Jesus-Christ ruinoientles temples que la pieté des fideles lui avoit dediés, onen bâtit de nouveaux pour reparer son honneur. Pour parvenir à ce dessein, elle confera avec quelques vertueuses filles de son Monastere de l'Incarnation, qui entrerent tellement dans ses sentiments, qu'une d'entr'elles qui étoit sa niece & en_core pensionnaire, offrit mille ducats pour acheter une maifon. Une Dame de la ville, d'une grande pieté & intime amie de la Sainte.nommée Guiomar de Ulloa, lui promit de contribuer à cette sainte œuvre, ce qu'elle executa si fidellement, qu'elle ne l'abandonna point malgré les difficultés qui se rencontrerent, les travaux qu'il fallut fouffrir dans l'établissement du premier Monaftere; & qu'elle surmonta genereusement plusieurs persecutions que l'enfer suscita pour traverser de si bons desseins, & étouffer la reforme dans son berceau. Quoique Quoique sainte Therese ne pût douter que ce ne fût Dieu CARMEqui lui eût revelé d'executer une si sainte entreprise, & qu'el-LITES DEle demeurât très-assurée que le Monastere se feroit, pré-CHAUSvoyant néanmoins toutes les difficultés qui arriverent, elle SE ES. eut beaucoup de peine à s'y refoudre: mais elle fut encouragée par faint Pierre d'Alcantara, avec lequel elle avoit contracté une alliance de charité; & après avoir pris encore l'avis du B. Louis Bertrand & de fon confesseur, elle communiqua son dessein à son provincial, qui consentit & promit de donner dans le tems toutes les permissions necessaires. La Sainte voyant que son dessein avoit reussi si heureusement, il lui sembloit que toutes choses conspiroient à l'accomplissement de ses desirs; sa confiance lui faisoit croire que les mille ducats de sa niece, & le peu de bien que cette dame Guiomar lui offroit, étoient suffisans pour fournir aux frais & à l'entretien de cet ouvrage ; de forte que croyant qu'il n'y avoit qu'à conclurre le tout, elle commença à chercher une place, & à traiter, quoiqu'en secret, de l'achat d'une maison située au même lieu où se voit aujourd'hui le Monaftere. Mais la chose ne put demeurer si secrete, qu'elle ne fût bientôt sçûe dans la ville, on n'y eut pas plutôt appris que Therese & la dame Guiomar sa bonne amie, vouloient établir un couvent de Carmelites Déchaussées, fans aucun fonds ni revenus, que la nouveauté de cette entreprise excita de grands orages contr'elle, & ceux qui s'opposoient le plus fortement à ce dessein, entroient plus avant dans l'esprit & les bonnes graces du peuple. Le trouble fut plus grand dans le Monastere de Therese; la plus grande grace qu'on pouvoit lui faire, étoit, disoit-on, de la renfermer dans une prifon,comme une personne qui vouloit causer le trouble & la division dans l'Ordre ; & le provincial qui avoit promis de donner son consentement à ce nouvel établissement, retira sa parole, sous prétexte que le fond qu'on presentoit pour cette entreprise, n'étoit pas suffisant. Sainte Therese animée d'une vertu toute extraordinaire, nonobstant ces oppositions, acheta la maison sous le nom de dom Jean d'Ovalle mari de sa sœur Jeanne d'Ahumade, fous prétexte qu'ils venoient s'habituer dans Avila. En effet ils y vinrent, & s'étant établis dans cette maison, ils commencerent d'y faire travailler, selon le dessein de la Sainte, qui Tome I. Xx |