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ce n'est qu'après avoir dit qu'il est difficile de croire qu'il y ait eu une fucceffion de monafteres & de moines dans l'églife, depuis faint Marc jusques à faint Antoine.

Pour moi je croi qu'il est bien plus difficile de se perfuader que pendant les trois premiers fiècles de l'église que tous les Chrétiens étoient parfaitement unis: que dans ce tems heureux, où ils n'avoient tous qu'un cœur & qu'une ame, où leurs joies & leurs afflictions étoient communes; en forte que si quelqu'un avoit reçu de Dieu quelque grace particuliere, tous y prenoient part; & fi quelqu'un étoit en penitence, tous demandoient mifericorde ; où tous les Chrétiens vivoient comme parens, s'appellant peres, enfans, freres & fœurs, felon l'âge & le sexe; il est très-difficile, dis-je, de croire que les Afcetes, qui embrassoient la vie ascetique par un désir de plus grande perfection, se retirassent ensemble cinq, ou fix, ou dix au plus, pour vivre sans aucune subordination, & ne se maintenir qu'avec beaucoup de peine dans la pieté, en vivant ainsi

en commun.

N'a-t-on pas lieu de croire que les monasteres des ces Afcetes étoient de veritables monafteres, les perfecutions ne permettant pas qu'ils fussent si peuplés qu'ils ont été dans la suite? Ne trouvera-t-on pas une suite d'Afceres & de Solitaires, en remontant depuis S. Antoine jusques à S. Marc, auquel tems tous les Therapeutes, que M. de Tillemont reconnoît avoir été convertis par saint Marc, se retirerent dans la folitude ? & n'est-ce pas reconnoître pour moines ces Therapeutes,& leurs demeures pour de veritables monasteres, lorsqu'il dit qu'il estimpossible de trouver une succession de moines & de mo-, nasteres depuis ce tems-là jusques à faint Antoine; puisque toute succession suppose un commencement? Cependant il ne veut point reconnoître de monafteres avant faint Pachome, qui, à ce qu'il dit, n'a fondé les premiers que l'an 325. quoique parce qu'il avance lui-même, cela ne peut-être arrivé que l'an 340. comme nous ferons voir. Et dans un autre endroit au sujet de la fœur de faint Antoine, il dit qu'elle se retira l'an 270. dans un monaftere de filles, qui est (à ce qu'il pretend) le plus ancien dont il soit fait mention dans l'église. Ainsi, selon le même auteur, il y auroit eu de veritables monasteres foixante-dix ans avant saint Pachome, quoiqu'il le nie en plusieurs endroits, comme nous le prouverons dans la fuite. Saint Athanase dans la vie de faint Antoine, aïant dit que les monafteres n'étoient pas si frequens lorsque ce faint se re tira vers l'an 270. M. de Tillemont pretend que le mot de monaftere en cet endroit, marquoit souvent en ce tems-là la demeure d'un seul folitaire ; d'où l'on doit conclure qu'il s'entendoit aussi quelquefois d'un monaftere où plufiears personnes demeuroient ensemble. En effet dans ses notes fur page 102. faint Pachome, prevoïant bien qu'on pourroit tirer cette consequence, il s'explique au sujet de ces mêmes monafteres, en disant que par le terme de monaftere on ne doit pas entendre une congregation de religieux qui viventensemble; mais feu - Page 679. lement une demeure d'un petit nombre de Solitaires, fouvent même d'un seul ; & un peu plus bas au sujet de ceux de Cheno. bosque & de Moncose, ou Mochans, qui se soumirent à la regle de faint Pachome, il dit que c'étoit fans doute de ces monafteres de huit ou de dix religieux, qui se voïoient avant faint Pachome, & qui étoient moins des Cœnobites que des Ermites.

d'Orient p

Il est en cela bien éloigné du sentiment de M. Bulteau, qui Bult hift. appelle ces monafteres de Chenobofque & Moncofe des ab. Monaftig. baïes, & qui, bien loin de les mettre au nombre de ceux où 83. M. de Tillemont dit qu'on vivoit sans aucune subordination, & où on ne se maintenoit qu'avec beaucoup de peine dans la pieté, prétend au contraire que ce n'étoit pas pour être reformés qu'ils se soumirent à saint Pachome ; car parlant de celui de Chenobosque, il dit que le venerable Eponyche qui en étoit abbé, l'offrit à faint Pachome, & qu'il n'avoit pas besoin: 8. cap. S. de reforme, puisqu'il étoit habité par des religieux très-anciens & très-avancés dans la perfection.

Caff. Col,

Mais l'on pourroit demander à M. de Tillemont qu'il eût à fournir lui-même des preuves, comme il n'y a pas lieu de douter qu'il n'y ait pas eu plus de huit ou dix religieux dans ces monafteres de Chenobosque & Moncofe, & qu'ils y étoient moins des Cœnobites que des Ermites; puisque Caffien aïant pretendu que les Cœnobites sont plus anciens que les Anachoretes, qu'ils ont commencé avant faint Paul Er- De Tillema mite & faint Antoine ; & même qu'ils ont toujours été dans ut fup. pag. l'église depuis les Apôtres, M. de Tillemont veut qu'il justi. 67.8. fie cette pretention.

Ilseroit plus aisé à Cassien de la justifier, qu'à M. de Tille

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mont de prouver ce qu'il a avancé ; car Cassien lui pourroit répondre que lorsqu'il fut en Egypte, l'an 394. il n'y avoit que trente-huit ans que faint Antoine étoit mort, & qu'il n'y en avoit pas plus de quarante-fix que faint Pachome l'étoit aussi: qu'ainsi il n'y avoit pas un si long tems pour qu'il ne se trouvât pas de leurs disciples encore vivans, de qui il auroit appris que leurs maîtres n'avoient pas été les auteurs de la vie Monastique & Cœnobitique qui étoit plus ancienne qu'eux ; & que la tradition parmi ces anciens solitaires étoit qu'il y avoit toujours eu des Moines & des Solitaires depuis les Therapeutes jusques à eux ; c'est apparemment ce qui a donné lieu à Cafsien de dire que les Cæœnobites étoient plus anciens que les Anachoretes, qu'ils avoient commencé avant faint Paul & faint Antoine, & qu'ils ont toujours été dans l'église depuis les Apôtres.

Au reste les noms de Therapeutes, d'Afceres, de Moines, de Solitaires & d'Ermites, aïant été donnés indifferemment à tous ceux qui ont fait profession de la vie Monastique; on doit reconnoître une succession de Moines sans interruption depuis saint Marc jusques à saint Antoine ; puisque presque tous les historiens, & M. de Tillemont même, demeurent d'accord qu'il y a toujours eu des Ascetes dans l'église, & l'on doit reconnoître leurs Monasteres pour de veritables Monafteres, quand bien même ils n'auroient été que de huit ou de dix religieux au plus; puisque l'essentiel de la vie Cœnobitique n'est pas de demeurer quatre ou cinq cens ensemble, mais feulement plusieurs, & que le nombre de huit ou dix, & même un moindre nombre, est suffisant pour cela. Car il n'y a personne qui dise que les Capucins soient des folitaires, & leur qualité de Mandians n'empêche pas qu'ils ne soient veritablement Coœnobites. Cependant selon les constitutions qui furent dressées dans leur premier chapitre general, tenu à Alvacinal'an 1529. ils ne devoient pas demeurer plus de sept ou de huit dans un

Couvent, excepté dans les grandes villes, où ils pouvoient Bouer. demeurer dix ou douze : ftatuimus ut Conventuum familiæ, annal. Ca- septimum vel octavum numerum fratrum non excedant, præterquam in magnis civitatibus, ubi decem vel duodecim circiter fratres commodè habitare poterunt. In reliquis urbibus aut Greg. lib. oppidis, non amplius quàm feptem vel ofto fratres commoren2. dialog. tur: & faint Benoît ne mit aussi que douze religieux dans chacun des douze premiers Monasteres qu'il fonda. Toute la difference que M. Fleuri met entre les Moines & Fleury les Afcetes, c'est que ceux-ci demeuroient dans des folitudes mœurs des auprès des villes, & que les autres se retiroient dans les deserts: Chrétiens, car en parlant dans un endroit de faint Antoine, il dit qu'aïant Pag. 306. mené la vie afcetique près du lieu de sa naissance, il se retira dans le defert: qu'il fut le premier qui y assembla des disciples, & les y fit vivre en commun ; & qu'on ne les nomma plus Afcetes, quoiqu'ils menassent la même vie; mais qu'on les appella Moines, c'est-à-dire, Solitaires ou Ermites, & habitans des deserts. Cependant dans un autre endroit il donne le nom de folitaires aux Ascetes avant la retraite de saint An- Le même toine; car du tems qu'il embrassa la folitude, & qu'il renonça bift. Ecclef. au monde, il dit que l'Egypte n'avoit pas encore tant de mai- & 419. fons de Solitaires, & qu'aucun d'eux ne connoissoit encore le grand defert: que dans le voisinage d'Antoine, il y avoit un vieillard folitaire, & que l'aïant veu, il fut touché d'une louable émulation : qu'il commença premierement à demeurer aussi hors du bourg; mais que s'il entendoit parler de quelque vertueux Solitaire, il l'alloit chercher.

puc. ad an. 1529.

cap. 3.

Voilà donc le nom de Solitaire donné par M. Fleuri aux Afcetes avant la retraite de saint Antoine, quoiqu'il ait dit dans un autre endroit que ce ne fut qu'après; que croirons-nous donc ? Mais supposons qu'ils n'aïent été appellés Moines ou Solitaires qu'après la retraite de faint Antoine, nous trouverons toujours cette succession de Moines & de Monafteres depuis saint Marc jusques à ce tems-là; puisqu'avec le nom de Moines les Ascetes ne changerent rien dans leur maniere de vivre, felon M. l'abbé Fleuri, & que M. de Tillemont reconnoît qu'il y en a toujours eu de tout tems dans l'églife. Le changement de nom n'a point interrompu cette fucceffion; de même qu'il est toujours vrai de dire que l'Ordre des Chevaliers de Malte a toujours subsisté depuis environ l'an 1099. jusques à present; quoique d'abord on leur ait donné le nom de Chevaliers de saint Jean de Jerufalem, qu'on lesait appellés enfuite Chevaliers de Rhodes, & enfin Chevaliers de Malte, après que cette isle leur eût été donnée par l'empereur

1.2.p. 418.

Charles V. l'an 1530.

PARAGRAPHE III.

Que les perfecutions n'ont point empêché qu'il n'y ait toujours eu des Moines & des monasteres depuis Saint Marc jusques à Saint Antoine.

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NE des plus fortes raisons qu'on allegue pour ne point reconnoître une fucceffion de Moines & de monafteres depuis faint Marc jusques à faint Antoine, c'est que les persecutions ne l'auroient pas permis. Mais je trouve cette raison frivole: pourquoi ne veut-on pas que ce que nous voïons tous les jours arriver en Irlande, ne soit pas arrivé dans les folitudes de l'Egypte & de la Thebaïde à l'égard des Afcetes, des Moinesou Solitaires, qui font noms fynonimes, & qui n'y ont jamais été si persecutés dans ce tems-là, que les religieux le font presentement dans ce roïaume ? les prêtres seculiers y font tolerés, & les religieux fi fort haïs, que par un acte du Parlement de l'an 1697. il est défendu à qui que ce soit, foit Catholique ou Proteftant, d'en recevoir aucun ni de leur donner aucun secours, même hors du roïaume, fous peine de cent livres sterlin d'amende pour la premiere fois, de deux cens livressterlin pour la seconde, & de punition corporelle pour la troisième fois, avec confiscation de leurs biens; & aux religieux d'y demeurer, sous peine d'un an de prifon & de bannissement hors du roïaume ; excepté ceux qui y étant lors de la publication de cet acte, en seroient fortis, & y feroient revenus; car pour ceux-ci, ils font declarés criminels de leze-majesté & coupables de mort; ce qui s'execute avec tant de rigueur qu'il n'y a point d'années qu'un grand nombre de religieux ne finisse sa vie par un glorieux martyre, ou ne foit condamné à un bannissement. Cependant cela n'empêche pas qu'il n'y en ait toujours en Irlande un grand nombre de differens Ordres, qui, malgré ces violentes persecutions, ne laissent pas d'y tenir des assemblées, & même confiderables; puisque ces religieux tiennent toujours des chapitres provinciaux, compofés quelquefois de près de cent personnes, quoiqu'il n'y ait que les seuls superieurs qui aïent droit de s'y trouver. Dira-t-on qu'il n'y a point eu de succession de Moines &

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