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leur vie pendant qu'ils étoient jeunes, à cause que le Mona- MOIN stere de la Vision n'étoit pas en état d'en nourrir un si grand ABYSSINS, nombre, & que quand ils étoient hors d'état de gagner leur vie, ils venoient passer le reste de leurs jours au couvent. En effet le même auteur assure encore, que dans toutes les foires & dans tous les marchés, l'on ne voit que Religieux & Religieuses qui y trafiquent.

M. Poncet confirme ce que dit Alvarez de l'austerité de ces Religieux & de la beauté de quelques Monasteres en ce pays, & dit aussi qu'il y a plusieurs autres Monasteres qui dépendent de celui de la Vision, nommant entr'autres celui d'Heleni, qui est très-beau, & où il y a une magnifique église. Il ajoûte que les cellules de ces religieux sont si étroites, qu'un homme a de la peine à s'y étendre, qu'ils ne mangent point de viande non plus que les autres religieux d'Ethiopie, qu'ils sont toûjours appliqués à Dieu & à la meditation des chofes faintes, & que c'est là toute leur occupation.

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L'abbé du monaftere de la Vision le reçut avec beaucoup de charité, aussi-bien que ceux de sa suite. Il leur lava les pieds & les baisa pendant que les religieux recitoient des prieres. Après cette ceremonie, ils furent conduits processionnellement à l'église, les religieux chantant toûjours. Ils allerent ensuite dans une chambre où on leur apporta à manger. Tout le regal confifta en du pain trempé dans du beure; & pour leur boisson on leur donna de la biere, car l'on ne boit ni vin ni hydromel dans ce Monaftere ; & l'abbé leur tint toûjours compagnie, mais il ne mangea point avec eux.

Le même voyageur a cru apparemment embellir la relation de fon voyage par le récit d'un prodige qu'il a vû, à ce qu'il dit, dans l'église de ce monastere de la Vifion. On l'avoit assuré que dans l'église du côté de l'épître, on voyoit en l'air sans aucun appui ni soutien, une baguette d'or, ronde, longue de quatre pieds, & aussi grosse qu'un bâton : croyant qu'il y avoit quelqu'artifice, il pria l'abbé de vouloir bien lui permettre d'examiner s'il n'y avoit point quelqu'appui qu'on ne vit point. Pour s'en assurer d'une maniere à n'en pouvoir pas douter, il passa un bâton pardessus, pardessous & de tous les côtez; & il trouva que la baguette étoit véritablement fufpendue en l'air. Les religieux lui dirent qu'il y avoit environ 336. ans, qu'un solitaire nommé Abba Philippos, se retira dans

MOINES Ce defert, où il ne se nourrissoit que d'herbes & ne buvoit que ABYSSINS. de l'eau ; ; & qu'un jour Jesus-Christ se fit voir à lui, & lui ordonna de bâtir un Monastere dans l'endroit du bois où il trouveroit une baguette d'or suspendue en l'air; & que l'ayant trouvée & vû ce prodige, il obeit, & bâtit ce Monastere qui se nomme Bihem Jesus, vision de Jesus. Cependant Alvarez, qui a demeuré fix ansen Ethiopie & qui alloit presque tous les jours à ce Monastere, comme il le dit lui-même, ne parle point de ce prétendu prodige, quoiqu'il ait eu soin de marquer tout ce qu'il y avoit de plus particulier dans ce Monaftere. Il n'ignoroit pas que cet abbé Philippes étoit non seulement reveré comme Saint par les religieux de ce Monastere; mais encore par les habitans des environs qui celebrent tous les ans une fête en fon honneur ; & il rapporte même le sujet pour lequel ils l'ont toûjours regardé comme Saint. Ce fut, dit cet auteur, à l'occasion de ce qu'un roi d'Ethiopie ayant défendu qu'on observât le jour du Sabbat dans tous les lieux de fon obéissance, l'abbé Philippes & ses religieux vinrent trouver ce prince, & lui firent voir que Dieu avoit ordonné que l'on garderoit le jour du Sabbat, & que ceux qui ne le garderoient pas seroient lapidés. Il ajoûte que les religieux de ce Monastere & les peuples des environs sont les plus attachés à cette superstition Judaïque; que lui-même a vû plusieurs fois que les religieux cuisoient le pain & préparoient leur manger le Vendredi pour le Samedi; qu'ils n'allumoient pas même du feu le Samedi ; & qu'ils n'étoient pas si scrupuleux le Dimanche, puisqu'ils préparoient à manger ce jour-là, Sur quoi il y a lieu de s'étonner de ce que quelques personnes, principalement M. Ludolf, ayent regardé com. me une chose innocente l'obfervation du Sabbat parmi les Ethiopiens, après que le concile de Laodicée a prononcé anathême contre ceux qui s'abstiennent par superstition des viandes que Dieu a créées, & contre ceux qui observent le Sabbat à la maniere des Juifs.

Ce que disent plusieurs écrivains que les religieux d'Ethiopie font habillés de peaux jaunes, se confirme par la relation d'Alvarez qui dit la même chose: il ajoûte qu'il y a quelques Monafteres où ils sont aussi habillés de toile de coton jaune & que ces religieux habillés de jaune, ont tous des chapes de la même couleur, faites comme celles des Dominicains. Ainfi

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cela ne s'accorde pas encore avec ce que dit M. Ludolf, que MOINES tous les religieux d'Ethiopie sont habillés comme les secu. ABYSSING, liers, & ne font distingués que par une croix qu'ils portent toû jours à la main. A la verité M. Poncet, qui demeure aussi d'accord avec Alvarez que les religieux des Monafteres de la Vifion & d'Heleni font habillés de peaux jaunes, parlant aussi de quelques autres Religieux qui font en grand nombre dans la ville de Gondar (sejour ordinaire des empereurs) puisqu'outre quatre chapelles Imperiales qui sont dans l'enceinte du palais de l'empereur, & qui sont desservies par cent Religieux qui ont aussi soin du college, où l'on enseigne à lire l'écriture fainte aux officiers de ce prince, il y a environ cent églises dans cette ville; il dit que ces Religieux sont habillés de même que les seculiers, & n'en font diftingués que par une calotte jaune ou violette, & que ces diverses couleurs distinguent leur Ordre. Mais il y a bien de l'apparence que ceux qui ont une calotte jaune, & qui pour habillement portent comme les seculiers une veste ou foutane noire, sont de l'institut de l'abbé Eustase, & les autres qui ont une calotte violette pourroient bien être ceux qu'Alvarez, Marmol, M. Ludolf & quelques autres appellent des chanoines. Ceux-ci peuvent être mariés; leursenfans leur fuccedent dans leurs prébendes; & quoique la plupart vivent en leur particulier, Alva. rez dit néanmoins qu'il a vû quelques communautez de ces fortes de chanoines. Ces Moines, qui, selon M. Ludolf, sont dispersés çà & là dans de pauvres cabanes, & dont il dit que la demeure ne peut pas être appellée Monaftere, sont sans doute ceux que les couvents où ils ont pris l'habit, envoyent pour gagner leur vie : & ainsi M. Ludolf ne s'est peut-être pas trompé, lorsqu'il a dit : que chacun de ces Moines culti. ve son heritage, qu'il vit de ce qu'il produit en pouvant dispofer à sa volonté, ayant pouvoir d'aller où bon lui semble & de revenir quand il le juge à propos. Il pouvoit même ajoûter que ces Moines trafiquoient, & que les marchés en étoient remplis, comme nous avons dit. Cependant quand ils sont retournés dans leurs couvents, ils y vivent en commun & très-austerement, sous la conduite d'un superieur dontils dépendent entierement.

Il y a de l'apparence que ce Monaftere de la Vision, & les autres qui y font unis, sont de l'institut de Tecla-Haïmanot;

MO INES puisque l'abbé de ce Monastere en est non seulement le fuABYSSINS. perieur, mais qu'il a aussi une jurifdiction sur les autres quien dépendent, dans lesquels il n'y a point d'abbés, mais feulement des fuperieurs qu'il nomme ; & cet abbé de la Vision pourroit bien être le même qui a eu autrefois sa residence au Monastere de Debra-Libanos, & enfuite à Bagendra, qu'il auroit encore transferée au Monaftere de la Vision. A l'égard des Monafteres de l'isle de S. Claude, de Ste Anne, de Tzemba, & des autres dont parle M. Poncet, qui ont chacun un abbé, ils font sans doute de l'institut de l'abbé Eustase, pour les raisons que nous avons dites ci-dessus, en parlant de ces deux restaurateurs de la vie monastique en Ethiopie.

Tous ces Moines, selon M. Ludolf, peuvent exercer des offices civils, & même avoir des gouvernemens de province, mais il n'est permis à qui que ce soit d'entr'eux, de renoncer à la vie monaftique, & s'ils se marient, ils font regardés comme des infames, & leurs enfans ne peuvent jamais parvenir à la clericature, n'y ayant rien tant que les Ethiopiens souhaitent avec plus de passion que d'être prêtres, afin d'avoir la vie assurée, ce qui fait qu'il y en a un si grand nombre ; en effer, Alvarez s'étonnant de l'abus que le patriarche d'Ethiopie commettoit, en ordonnant un fi grand nombre de prêtres; quoique parmi ces prêtres il s'en trouvât plusieurs qui étoient aveugles, d'autres qui n'avoient qu'un bras, & d'autres qui n'avoient qu'une jambe; ce grand nombre de prêtres paroissant d'ailleurs inutile, puisque l'on ne dit qu'une Messe par jour dans chaque église; il en témoigna sa surprise à celui qui faisoit la fonction de grand-vicaire du patriarche: cet homme lui répondit que l'on ne les ordonnoit prêtres, qu'afin qu'ils pussent vivre des aumônes de l'Eglife, fans quoi ils ne pourroient fubfifter.

On peut juger par la multitude des Moines de ce pays, qu'il doit y avoir aufli beaucoup de Monafteres, n'y ayant gueres de villes où il n'y en ait plusieurs, outre ceux qui font à la campagne & dans les bois. Les plus fameux sont premierement celui de la Vifion de Jesus, celui de fainte Anne, situé fur une montagne entre Gondar & Emfras,qui est un lieu de devotion où il vient de bien loin un grand nombre de perfonnes en pelerinage; celui de Tzemba fur la riviere de Reb à une demi-lieue de Gondar, qui est très-beau & très-grand,

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