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puisque la plậpart sont encore à la mamelle. L'on peut ajoû. MOINES

ABYSSINS. ter foi à cer auteur , qui s'étoit trouvé à plusieurs de ces ordinations. Dans la premiere qu'il vit, le patriarche ordonna deux mille trois cens cinquante-six prêtres, parmi lesquels il y avoit des religieux aveugles, d'autres qui n'avoient qu'un bras, & d'autres qui n'avoient qu'une jambe; & le patriarche lui dit qu'il y avoit eu peu de prêtres dans cette ordination, parce que tous ces prêtres n'étoient que des environs du lieu où il étoit pour lors, qu'ordinairement il n'en ordonnoit pas moins de cinq à fix mille à la fois , & que l'on ne faisoit pas l'ordination des clercs dans le même tems. En effet le lende. main celle des clercs se fit & dura depuis le matin jusqu'au soir ; non pas à cause de la longueur des ceremonies qui se pratiquent à l'égard de chaque ordinant , mais à cause du grand nombre des personnes qui reçurent la clericature.

Comme il n'y a point d'autres évêques en Ethiopie que le patriarche , il fait souvent de ces sortes d'ordinations ; & jamais abus n'a été porté plus loin que celui-là , recevant indiferemment toutes sortes de personnes sans aucune attention aux qualités requises. Ainsi M. Poncet n'a peut-être point trop avancé, en disant qu'il avoit appris du patriarche, que son prédecesseur avoit fait dans une seule ordination dix mille prêtres, & six mille diacres ; ce qui a pû se faire en deux diferents jours; car toute la ceremonie que l'on observe dans l'ordination des prêtres, consiste en ce que le patriarche met la main sur la tête de chaque prêtre en disant quelques prieres, & ensuite, après avoir lù quelque tems dans un livre, il leur donne à tous plusieurs benedictions avec une croix de fer.

Quoiqu'il ne soit pas vrai qu'il n'y ait point d'autres prê. tres en Ethiopie que les religieux ; cela n'empêche pas qu'il n’y ait un si grand nombre de ces derniers dans cet empire, qu'Alvarez assure encore que tout en eft rempli:qu'on ne voic que Moines dans les Monasteres, dans les églises, dans les

dans les marchés : qu'il n'a vû aucune église desservie par des prêtres seculiers où il n'y eût aussi des religieux ; & qu'il n'a trouvé aucun Monastere où il y eûc des prêtres fe.

y culiers.

M. Ludolf confirme cetre multitude de Moines en Ethio. pie ; mais il ne semble pas être d'accord avec les relations de Tome I.

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Moines quelques voyageurs touchant les Monasteres de ces religieux: Abyssins. car il prétend qu'ils demeurent ordinairement auprès des

églises dans de pauvres cabanes dispersées çà & là dans un enclos : qu'ils ne portent point l'habit Monachal : qu'on ne les distingue des seculiers que par une croix qu'ils portent toujours à la main : que leurs demeures ne peuvent pas être appellées des cloîtres : qu'ils ne meritent pas le nom de Moines ; & qu'on ne les doit regarder que comme des colonies de

gens qui ne sont point mariés.

Cependant Alvarez doit être cru , puisqu'il a demeuré fix ans en Ethiopie, qu'il alloit presque tous les jours au Monaste. re de la Vision de Jesus, dont il ne demeuroic pas loin , & qu'il aslistoit avec les Moines à toutes leurs principales fêtes & ceremonies ausquelles il étoit souvent invité. Cet auteur faisant la description de ce Monastere situé dans la province de Tigre sur une haute montagne au milieu d'une forêt, & dans une affreuse solitude, dic: qu'ordinairement il y a cent religieux qui y demeurent, & qui mangent ensemble dans un même refectoire, excepté les vieillards qui en sont dispensés, à qui l'on porte à manger en particulier : que les revenus de ce

à Monastere sont très-considerables : que la montagne où il est situé lui appartient entierement,& qu'elle a plus de dix lieues d'étendue:qu'au bas de cette montagne il y a plusieurs fermes qui dépendent du Monastere , outre plusieurs autres que l'on trouve jusqu'à trois journées au delà, qui s'appellent Gultus , c'est-à-dire les franchises de la Vision: qu'il y a encore plus de cent villages qui lui payent tous les trois ans chacun un che. val, mais

que le procureur du Monastere prend des vaches à raison de cinquante pour chaque cheval ; de forte.qu'il reçoit bien par an dix-sept cens vaches, dont les religieux tirent du beure pour regaler les étrangers qui les viennent voir, & pour en mettre dans leurs lampes au lieu d'huile.

Comme il y a des auteurs qui ont écrit , que dans ce Monastere il y avoit ordinairement trois mille religieux, & que l'on avoit dit la même chose à Alvarez, il y alla le jour de l’As. somption de la Ste Vierge, auquel jour les religieux font une procession generale ; il n'y vir neanmoins que trois cens religieux ou environ ; & en ayant demandé la raison, on lui dit que les autres étoient dispersés dans d'autres Monasteres ou églises particulieres , & aux foires & marchés, pour gagner

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a

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a

leur vie pendant qu'ils étoient jeunes, à cause que le Mona- Moins, stere de la Vision n'étoit pas en état d'en nourrir un si grand ABYSSINS, nombre , & que quand ils étoient hors d'état de gagner leur vie ; ils venoient passer le reste de leurs jours au couvent. En effet le même auteur assure encore , quedans toutes les foires & dans tous les marchés, l'on ne voit que Religieux & Reli. gieuses qui y trafiquent.

M.Poncer confirme ce que dic Alvarez de l'austerité de ces Religieux & de la beauté de quelques Monasteres en ce pays, & dit aussi qu'il y a plusieurs autres Monasteres qui dependent de celui de la Vision , nommant entr'autres celui d'Heleni , qui est très-beau, & où il y a une magnifique église. Il ajoûte que les cellules de ces religieux sont si étroites, qu'un homme a de la peine à s'y étendre , qu'ils ne mangent point de viande non plus que les autres religieux d'Ethiopie, qu'ils sont toûjours appliqués à Dieu & à la meditation des choses saintes, & que c'est là toute leur occupation.

L'abbé du monastere de la Vision le reçut avec beaucoup de charité, aussi-bien que ceux de la suite. Il leur lava les pieds & les baisa pendant que les religieux recitoient des prieres. Après cette ceremonie,ils furent conduits processionnellement à l'église, les religieux chantant toûjours. Ils allerent ensuite dans une chambre où on leur apporta à manger. Tout le regal consista en du pain trempé dans du beure ; & pour leur boisson on leur donna de la biere, car l'on ne boit ni vin ni hydromel dans ce Monastere ; & l'abbé leur tint toûjours compagnie , mais il ne mangea point avec eux.

Le même voyageur a cru apparemment embellir la relation de son voyage par le récit d'un prodige qu'il a vû, à ce qu'il dit dans l'église de ce monastere de la Vision. On l'avoit assuré que

dans l'église du côté de l'épître, on voyoit en l'air sans aucun appui ni soutien,une baguette d'or, ronde, longre de quatre pieds,& aussi grosse qu'un bâton : croyant qu'il y avoit quelqu'artifice, il pria l'abbé de vouloir bien lui

permettre d'examiner s'il n'y avoit point quelqu'appui qu'on ne vît point. Pour s'en assurer d'une maniere à n'en pouvoir pas douter, il passa un bâton pardessus , pardessous & de tous les côtez; & il trouva que la baguette étoit véritablement sufpendue en l'air. Les religieux lui dirent qu'il y avoit environ 336.ans, qu’un solicaire nommé Abba Philippos,se retira dans

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Moines ce desert, où il ne se nourrissoit que d'herbes & ne buvoit que Aaxssins. de l'eau ; & qu'un jour Jesus-Christ se fic voir à lui, & lui or.

donna de bâtir un Monastere dans l'endroit du bois où il trouveroit une baguette d'or suspendue en l'air;& que l'ayant trouvée & vû ce prodige, il obéit , & bâtit ce Monastere qui se nomme Bihem Jesus, vision de Jesus. Cependant Alvarez , qui a demeuré six ans en Ethiopie & qui alloit presque tous les jours à ce Monastere , comme il le dit lui-même, ne parle point de ce prétendu prodige , quoiqu'il ait eu soin de marquer tout ce qu'il y avoit de plus particulier dans ce Monastere. Il n'ignoroit pas que cet abbé Philippes étoit non seulement reveré comme Saint par les religieux de ce Monastere; mais encore par les habitans des environs qui celebrent tous les ans une fête en son honneur ; & il rapporte même le sujet pour lequel ils l'ont toûjours regarde comme Saint. Ce fut, dit cet auteur, à l'occasion de ce qu'un roi d'Ethiopie ayant défendu qu'on observât le jour du Sabbat dans tous les lieux de son obéissance, l'abbé Philippes & ses religieux vinrent trouver ce prince, & lui firent voir que Dieu avoit ordonné que l'on garderoit le jour du Sabbat, & que ceux qui ne le garderoient pas seroient lapidés. Il ajoûte que les religieux de ce Monastere & les peuples des environs sont les plus attachés à cette supersticion Judaïque ; que lui-même a vû plusieurs fois que les religieux cuisoient le pain & préparoient leur manger le Vendredi pour le Samedi ; qu'ils n'allumoient pas même du feu le Samedi ;

même du feu le Samedi ; & qu'ils n'étoient pas si scrupuleux le Dimanche , puisqu'ils préparoient à manger ce jour-là. Sur quoi il y a lieu de s'étonner de ce que quelques personnes, principalement M. Ludolf, ayent regardé com. me une chose innocente l'obfervation du Sabbat parmi les Ethiopiens, après que le concile de Laodicée a prononcé anathême contre ceux qui s'abstiennent par superstition des viandes

que Dieu a créées , & contre ceux qui observent le Sabbat à la maniere des Juifs.

Ce que disent plusieurs écrivains que les religieux d'Ethiopie font habillés de peaux jaunes, se confirme par la relation d'Alvarez qui dit la même chose : il ajoûte qu'il y a quelques Monasteres où ils sont aussi habillés de coile de coton jaune & que ces religieux habillés de jaune, ont tous des chapes de la même couleur, faites comme celles des Dominicains. Ainsi

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cela ne s'accorde pas encore avec ce que dit M. Ludolf, que MOINES
tous les religieux d'Ethiopie sont habillés comme les secu, Abyssins,
liers,& ne sont distingués que par une croix qu'ils portent toài.
jours à la main. A la verité M. Poncer , qui demeure aussi d'ac-
cord avec Alvarez que les religieux des Monasteres de la Vi.
fion & d'Heleni sont habillés de peaux jaunes,parlant aussi de
quelques autres Religieux qui sont en grand nombre dans la
ville de Gondar (sejour ordinaire des empereurs ) puisqu’ou.
tre quatre chapelles Imperiales qui sont dans l'enceinte du
palais de l'empereur,& qui sont desservies par cent Religieux
qui ont aussi soin du college, où l'on enseigne à lire l'écriture
sainte aux officiers de ce prince, il y a environ cent églises
dans cette ville; il dit que ces Religieux sont habillés de mê.
me que les seculiers, & n'en sont distingues que par une ca-
lotte jaune ou violecce, & que ces diverses couleurs distin-
guent leur Ordre. Mais il y a bien de l'apparence que ceux qui
ont une calotte jaune , & qui pour habillement portent com-
me les seculiers une veste ou soutane noire , sont de l'institut
de l'abbé Eustase, & les autres qui ont une calotte violette
pourroient bien être ceux qu'Alvarez, Marmol , M. Ludolf
& quelques autres appellent des chanoines. Ceux-ci peuvent
être mariés; leurs enfans leur succedent dans leurs prében-
des ; & quoique la plîpart vivent en leur particulier, Alva.
rez dit néanmoins qu'il a vû quelques communautez de ces
sortes de chanoines. Ces Moines , qui, selon M. Ludolf, sone
dispersés çà & là dans de pauvres cabanes, & dont il dit que
la demeure ne peut pas être appellée Monastere , font sans
doute ceux que les couvents où ils ont pris l'habit, envoyene
pour gagner leur vie : & ainsi M. Ludolf ne s'est peut-être
pas trompé, lorsqu'il a dit : que chacun de ces Moines culti.
ve son heritage, qu'il vit de ce qu'il produit en pouvant dispo-
ser à sa volonté, ayant pouvoir d'aller où bon lui semble &de
revenir quand il le juge à propos. Il pouvoit même ajoûter

à
que ces Moines trafiquoient, & que les marchés en étoient
remplis , comme nous avons dit. Cependant quand ils sont
retournés dans leurs couvents , ils y vivent en commun &

у
très-austerement, sous la conduite d'un superieur dontils dé-
pendent entierement.

Il y a de l'apparence que ce Monastere de la Vision, & les
autres qui y sont unis, sont de l'institut de Tecla-Haïmanot;

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