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ORDRE DE

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Le nom de S.Colomban étant devenu celebre,attira auprès S. COLOM de lui une infinité de personnes qui venoient le trouver de toutes parts, soit pour lui demander la guerifon de leurs maux, soit pour se mettre sous sa conduite. C'est ce qui lui fit prendre le dessein de bâtir un nouveau Monaftere dans le même defert: il trouva heureusement à huit milles d'Annegray un vieux Château nommé Luxeuil, qui avoit été autrefois très fort: il commença à y bâtir un Monaftere, qui fut bien-tôt rempli, & qui fervit de modele à plusieurs autres. Le P. Mabillon en met la fondation vers l'an 590. La Communauté fut en peu de tems si nombreuse, qu'au rapport de saint Bernard, dans la Vie de saint Malachie, les Religieux suivant l'exemple des Acemetes, se partageoient par bandes pour chanter sans interruption l'Office Divin. Le Pere Mabillon ne nie pas absolument cette pfalmodie continuelle; mais il apporte des raisons qui lui donnent lieu d'en douter.

Comme les Disciples de saint Colomban augmentoient de jour en jour, ces deux Monasteres ne suffisoient pas pour les contenir ; c'est pourquoi il fit bâtir le Monaftere de Fontaine, à une lieuë de Luxeüil, où il y eut dans la suite jusqu'à foixante Religieux; soûmit ce Monaftere, & celui d'Annegrai à Luxeüil, qui en étoit le Chef, comme le plus confiderable des trois; & c'est de-là qu'est venue la premiere origine des Prieurés, qui aïant été fondés par des Abbaïes, en dépendoient.

Saint Colomban aïant fondé les trois Monasteres de Luxeüil, d'Annegray & de Fontaine, comme nous l'avons dit, les gouvernoit en qualité de General; & afin que la même Discipline y fût également observée, il leur donna une Regle, qui ne contient que neuf Chapitres. L'obéïssance aveugle en toutes chofes, quoique dure & repugnante, y eft expreffément recommandée ; le filence étroit y est ordonné ; le jeûne, la priere, & le travail continuel y sont prescrits; des herbes, des legumes, de la farine détrempée d'eau, avec un petit pain, étoient toute la nourriture qui leur fut permise, encore ne la prenoient-ils que le soir, & elle devoit être proportionnée avec le travail: à l'égard de la pfalmodie, elle étoit ou plus longue ou plus courte, selon la diversité des jours ou des saisons,

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Après la Regle suit le Penitentiel, c'est-à-dire, les correc- ORDRE DE tions des fautes ordinaires des Moines. La punition la plus S. COLOMfrequente font les coups de foüet, fix pour les fautes legeres, & pour les autres à proportion, quelquefois jusqu'à deux cens; mais jamais plus de vingt-cinq à la fois. Souvent on condamnoit au filence, ou à des jeûnes extraordinaires ; ce qui s'appelloit simplement Superposition, & quelquefois à certains nombres de Pseaumes. Par exemple, celui qui n'avoit pas fait le signe de la Croix sur sa cuillere, ou qui avoit touflé au commencement d'un Pseaume, ou qui approchant de la sainte table, avoit touché le Calice avec les dents, ou qui étant Prêtre n'avoit pas rogné ses ongles avant que d'offrir le faint Sacrifice, ou qui étant Diacre, n'avoit pas rafé sa barbe, recevoit fix coups de foüet. Si quelque Frere voulant fortir du Monastere, ne s'étoit pas humilié pour demander la benediction, & après l'avoir reçuë, n'avoit pas fait le signe de la Croix, & ne se presentoit pas devant la Croix, il recevoit douze coups de foüet ; & cinquante, si en rentrant dans le Monaftere, il venoit la tête couverte, & ne demandoit pas la benediction, ou s'il mangeoit sans l'avoir prise, ou qu'il eût fait du bruit pendant Poraifon. Si quelqu'un avoit parlé familierement, étant seul avec une femme, il devoit jeûner deux jours au pain & à l'eau, ou recevoir deux cens coups de foüet. Si quelqu'un avoit manqué à fermer la porte de l'Eglife, il disoit douze Preaumes; s'il avoit craché ou touché l'Autel, vingt-quatre Pleaumes; & s'il avoit touché la muraille, fix. Ils portoient l'Euchariftie fur eux; & ceux qui l'avoient perduë, devoient être un an en penitence. Ceux qui en avoient laissé corrompre les especes, en forte qu'il n'en restât rien du tout, étoient fix mois en penitence. Si l'on y trouvoit encore quelques reftes, ils faifoient penitence pendant quarante jours. Si elle avoit changé de couleur, & qu'elle fût rouge, on leur impofoit yingt jours de penitence; & fi elle étoit de couleur hyacinte, seulement quinze jours. Si elle n'avoit pas changé de couleur, & qu'elle fût seulement attachée au vase dans lequel ils la portoient, ils n'en faisoient que sept jours. Il y a bien des choses dans ce Penitentiel qui paroissent des minuties, & qui font connoître quelle étoit la Discipline severe des Mona

steres de ces premiers fiécles.

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Il y avoit deux Oeconomes dans chaque Monaftere, un BAN COLOM grand & un petit. Le grand étoit le Prevot, chargé des affaires exterieures, afin que l'Abbé n'eût que le soin des. ames: le petit étoit chargé du détail de la maison. Les Moines changeoient d'habit pour la nuit, ils reprenoient ensuite l'habit du jour, après en avoir demandé permission à chaque fois. Ils demeuroient assis tandis que l'on fonnoit l'Office, excepté les Penitens, qui se tenoient debout. Ils se lavoient souvent la tête, & il n'étoit permis aux Penitens de la laver que les Dimanches. Saint Colomban dans ce Penitentiel diftingue deux fortes de pechés : les pechés mortels, que l'on devoit confeffer au Prêtre ; & les moindres pechés. que l'on confefsoit souvent à l'Abbé, ou à d'autres qui n'étoient pas Prêtres, avant que de se mettre à table ou au lit.. Il paroît aussi par ce Penitentiel, que dans ce tems-là la Communion fous une feule espece étoit quelquefois en usage; car il est ordonné que les Novices n'approcheront pas du Calice à la Communion.

Saint Colomban, qui en passant de l'Irlande en France, avoit changé de païs, mais non pas de discipline, principalement au fujet de la Pâque qu'il celebroit au jour mar qué dans le Calendrier des Hibernois, donna occafion aux Ecclefiastiques de son voisinage qui s'en apperçurent, de blâmer ouvertement sa conduite; parce que, felon ce Calendrier , on celebroit quelquefois cette grande Fête le même jour que les Juifs, comme nous l'avons dit ci-deffus; c'est pourquoi ce Saint écrivit fur ce sujet deux Lettres à faint Gregoire, qui ne lui furent pas renduës. Il écrivit aussi aux Prélats de France, qui tenoient un Synode dans quelques villes de Bourgogne; mais on ne sçait point si ce Concile fit quelque Decret touchant la Fête de Pâque. II écrivit l'an 605. au Pape Boniface III. fur le même sujet, & lui envoïa copie des Lettres qu'il avoit écrites à faintGregoire, le priant de lui permettre de ne point recevoir làdessus les Regles des François, mais de celebrer toûjours la Pâque avec les Disciples, comme ils l'avoient appris de leurs Peres. On ne sçait point non plus quelle réponse lui fit le Pape; mais il eft probable que ce Saint étant en Italie, comme nous le dirons dans la suite, avoit abandonné pour lors la. Tradition des Hibernois: c'est ce qui paroît tant par les

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Lettres qu'il écrivit du Monastere de Bobio au Pape Boni- ORDRE HE face IV. au sujet des trois Chapitres, que par le Concile de S. COLOMMâcon, dans lequel il n'est fait aucune mention de la celebration de la Pâque, quoi qu'Agrestin y eût fait des plaintes de plusieurs fingularités que faint Colomban avoit introduites dans ses Monafteres.

Ce Saint donnoit librement des avis aux Princes & aux Rois, & Thierri Roi de Bourgogne qu'il reprit de plusieurs crimes infames & fcandaleux, en auroit heureusement profité, si la Reine Brunehaut sa grand'-mere, qui l'entretenoit dans le vice, n'y eût mis quelque obftacle. Etant un jour refté à la Cour, cette Princesse lui presenta les enfans naturels de ce Roi, afin qu'il leur donnât sa benediction; mais il ne jugea pas à propos de le faire. Ce refus irrita tellement Brunehaut, qu'elle refolut de le perdre. Elle engagea dans sa passion tous les Grands du païs, même les Evêques. Le prétexte que l'on prit pour le perfecuter, furent les nouveautés qu'il avoit introduites dans ses Monafteres, le trop de secret, & la grande retraite que l'on y gardoit ; & qu'au lieu de laisser entrer les seculiers par tout, il y avoit un logis separé du Monastere destiné pour les recevoir; mais le Saint ne voulant rien changer dans ce point de Difcipline, fut relegué à Besançon, où la delivrance miraculeuse qu'il fit de tous les prisonniers de la ville lui aïant fait donner la liberté de retourner à Luxeüil, on l'en tira de force pour le conduire à Nantes en Bretagne, au milieu d'une troupe de Soldats, dans le dessein de le faire repasser en Irlande.

Mais Dieu en disposa autrement par un grand nombre de miracles qu'il fit pour s'opposer à fon exil. Entre les autres le vaisseau préparé pour son passage ne put jamais monter en pleine mer, & fut toûjours rejetté sur le rivage: de forte que fes gardes touchés de ce miracle, le laisserent en liberté. Il vint trouver Clothaire fils de Chilperic qui regnoit dans la France Occidentale qu'on appelloit Neustrie, & il en fut reçu avec une bonté extraordinaire. Il refusa de s'établir dans ses Etats & d'y bâtir un Monastere, scachant bien que Dieu l'appelloit ailleurs. Il passa à la Cour de Theodebert Roi d'Austrafie, qui le reçut avec la même bienveillance, & ce Prince lui offrit avec une bonté & une generofité Royale & chrétienne delui donner dans ses Etats quelquelieu com

ORDRE DE mode pour lui & pour ses Disciples proche de quelques peu S. COLOM ples encore infideles, ausquels il pourroit prêcher la Foy &

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les grandes verités de la Religion. Ce Saint toûjours plein de zele, aïant accepté ces offres, passa à Mayence & remontant toûjours le fleuve, entra dans l'Aar, de-là dansla Le'nat, & s'avança jusqu'à l'extrémité du lac de Zuric. Etant venu à Zug, il trouva cette folitude si agréable qu'il résolut de s'y arreter. Les habitans de ces lieux étoient cruels & impies: ils adoroient encore des Idoles, leur offroient des sacrifices, & observoient les augures & les divinations. Ce Saint en convertit plusieurs par ses prédications: mais faint Gal qui l'accompagnoit aïant brûlé les Temples des Idoles & jetté dans le lac toutes les offrandes qu'il y trouva, ces Barbares en furent si irrités qu'ils résolurent de le tuer, & de chasser de leur païs saint Colomban, après l'avoir foüetté & maltraité.

Leur dessein aïant été connu du Saint, il résolut d'abandonner ces cœurs endurcis, & passa avec ses Religieux à un Bourg nommé Arben sur le lac de Constance. Là, il trouva un Prêtre nommé Willimar qui lui indiqua un lieu fertile & agréable environné de montagnes, où étoient les ruines d'une petite ville nommée Bregentz. Saint Colomban y étant arrivé avec ses compagnons, y trouva un Oratoire dedié à sainte Aurelie, auprès duquel ils firent de petits logements. La présence de faint Colomban fut très utile en ce païs-là; car il procura la converfion de quantité de païens. Une famine y étant survenuë, ses Disciples furent plusieurs jours fans prendre de nourriture: mais Dieu protegeant visiblement ses ferviteurs, leur envoïa de petits oiseaux extraordinaires que l'on pouvoit prendre aisément à la main, & ils en vêcurent jusqu'à ce que Gaudence Evêque de Constance, leur aïant envoïé du bled, ces oiseaux s'envolerent.

Cependant la guerre s'érant renouvellée entre Theodebert & Thierri, & le premier aïant été fait prisonnier dans la bataille de Tolbiac, on lui coupa les cheveux & un peu après on lui ôta la vie par les Ordres de Brunehaut. Comme Thierri par le moïen de cette victoire devenoit maître du païs de son ennemi, faint Colomban, jugeant qu'il n'y avoit plus de sureté pour lui de demeurer dans le Monastere qu'il

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