: 1 HISTOIRE DES ORDRES RELIGIEUX. QUATRIÈME PARTIE, CONTENANT Les Congregations Religieuses & les Ordres Militaires qui suivent la Reglede saint Benoît. CHAPITRE PREMIER. Vie de S. Benoît Abbé, Patriarche des Moines d'Occident. L 'ON ne sçauroit trop donner de loüanges à l'Ordre de faint Benoît, qui depuis sa naifsance a rendu des services trés confiderables à l'Eglife. C'est à lui qu'une partie du monde est redevable d'avoir quitté l'Idola trie & d'avoir abandonné plusieurs Heresies, dans lesquelles des Provinces entieres étoient tombées : c'est à lui que celles qui n'en avoient pas été infectées sont obligées d'avoir confervé la Foi orthodoxe dans ces fiécles malheureux où la science & la pieté ne se trouvoient que dans les Cloîtres illustres. C'est aussi cet Ordre qui a fourni àl'Es Tome V. VIE DE S. glife pendant un long-tems un grand nombre de Papes, de Cardinaux, d'Archevêques & d'Evêques, & qui a produit une infinité d'hommes sçavans, dont on ne peut assés admirer les Ouvrages, & qui enrichissent encore tous les jours le Public de leurs écrits. S. Benoît Pere & Fondateur de cetordre si celebre,nâquit à Nursi Ville du Duché de Spolette vers l'an 480. Il importe peu pour la gloire de ce Saint qu'il soit forti de la famille des Aniciens qui a donné à Rome un grand nombre de Confuls, comme quelques Historiens de cet Ordre ont écrit, ou qu'il ait été petit fils de l'Empereur Juftinien, comme d'autres ont avancé, fans faire attention que cet Empereur, bien loin d'être de la famille des Aniciens, étoit au contraire Thrace de Nation, & fortoit de très bas lieu, comme remarque le Pere Dom Jean Mabillon, qui rejette aussi les titres de Comte de Nursi & de Marquise de Ferrare, que Thriteme a donné au pere & à la mere de ce faint Fondateur, le titre de Comte n'étant pour lors qu'un titre d'office qui n'étoit pas féodal ni hereditaire, & celui de Marquis n'étant pas encore connu. Il est vrai que les parens de notre sfaint Fondateur étoient nobles, felon le témoignage même de saint Gregoire, qui a le premier écrit sa vie. Son pere se nommoit Eutrope & fa mere Abondance, & ce faint Pape dit que le nom de Benoît lui fut donné pour marquer mysterieusement les benedictions celeftes dont il devoit être comblé. Ses parens l'aïant envoïé à Rome pour y étudier, il apprehenda que le mauvais exemple de ceux qui y faifoient leurs études ne fît quelque impression sur son cœur, & quoi qu'il ne fît que d'entrer dans le monde, il resolut de s'en retirer de peur d'être infecté de ses fausses maximes. Il fortit donc deRome fans avoir fait aucun progrès dans les études, & prit le chemin du Défert. Sa nourrice qui s'appelloitCyrille, le suivit seule jusques à un lieu nommé Afile, où elle lui donna occafion de faire son premier miracle, en réünissant les parties d'un crible qu'elle avoit caffé: mais notre Saint la quitta secrettement, & continuant son chemin, alla se cacher dans un Defert appellé Sublac. Il rencontra un Religieux nommé Romain qui lui demanda où il alloit: le Saint se decouvrit à lui, & Romain aïant approuvé fa resolution, lui garda le fecret & l'aida à executer son dessein. Il lui donna même l'habit de Religion & lui rendit depuis tous les bons VIE DE S. 4 Un jour de Pâques qu'il souffroit une faim extrême, Dieu revela à un saint Prêtrele besoin de son serviteur, & lui infpira de l'aller fecourir. Quelque tems après des Bergers l'apperçurent de loin & en eurent même de la fraïeur, ne pouvant pas s'imaginer qu'un homine pût faire sa demeure dans ces rochers. Comme il étoit vêtu de peaux, ils crurent d'abord que c'étoit une bêtesmais ils reconnurent bientôt que c'étoit un serviteur de Dieu. Plusieurs en furent fi touchés qu'ils se convertirent, & au lieu qu'auparavant ils ne vivoient eux-mêmes que comme des bêtes, ils commencerent à devenir des personnes spirituelles. Tout caché qu'il étoit dans ce Défert, il fut neanmoins attaqué par la tentation. La pensée d'une femme qu'il avoit veuë à Rome, s'imprima si vivement dans fon esprit & le sollicita fi fortement au peché, que pour s'en defendre il fut contraint de se rouller tout nud dans des épines que l'on voit encore dans cette Solitude, & fur lesquelles saint François, allant vifiter ce faint lieu par un esprit de devotion, greffa des rofiers qui donnent encore tous les ans de très belles rofes. L'éclat de sa sainteté qui commençoit à se repandreau des BENOIT. VIE DE S. hors, l'aïant fait connoître aux Religieux du Monastere de Vicouare entre Sublac & Tivoli, ils souhaiterent ardemment de l'avoir pour Abbé. Ils le prefferent avec tant d'instances, qu'il y confentit; mais comme ils étoient accoûtumés au li bertinage, & qu'ils ne purent supporter la force de ses remontrances, ils se repentirent bien-tôt de leur choix ; quelques-uns même d'entre-eux se laisserent tellement emporter àleur passion, qu'ils refolurent de l'empoisonner. Ils mêlerent donc du poifon dans du vin, & le faint Abbé étant à table, ils lui presenterent ce breuvage pour le benir, suivant la coûtume de leur Monaftere; mais ce Saint aïant fait le signe de la croix, le verre se caffa aussi-tôt, & lui fit connoître par là ce qu'il contenoit. Il leur en fit une remontrance charitable, & les quitta ensuite comme des personnes incapables de profiter de ses soins. Ce Monastere fut ruiné dans la suite ; mais les Religieux de l'Ordre de saint François en ont fair bâtir un autre sur ses ruines, où ils ont toujours conservé la cellule de faint Benoît, & celles des Religieux qui fe trou. vent taillées dans le roc, comme on le peut voir dans la figure qu'en ont donnée le P. Dom Bernard de Montfaucon dans fon Journal d'Italie, & le P. Dom Jean Mabillon dans ses Annales Benedictines. : Notre Saint retourna dans sa premiere Solitude qui devint bien-tôt un lieu très habité; car ses vertus & fes miracles lui attirerent. fans ceffe des visites, & plusieurs personnes le conjurant d'être leur conducteur dans la voïe du salut : il fut obligé de les recevoir pour difciples, & de bâtir douzeMonafteres à Sublac. Ces Monafteres furent celui de la sainte Grotte; de faint Cofme & de faint Damien, à present sainte Scholaftique de saint Ange après le Lacide fainte Marie, à present faint Laurentide faint Jerômesde S. Jean-Baptiste, à present faint Jean-des-Eaux; de saint Clement par de-là le lacide S. Baise, aujourd'hui saint Romain; de S. Michel Archange au dessus de la Grotte ; de S. Victorin au pied du mont Por caire; de S. André; & de la vie Eternelle, à prefent le Val saint: mais tous ces Monafteres, si on en excepte les deux premiers, font à present reduits en simples Oratoires ou Chapelles,ou du moins tellement ruinés, qu'il n'en reste plus que les quatre murailles. Saint Benoît mit en chacun de ces Monasteres douze Religieux avec un Superieur, sur lesquels il conserva toûjours une entiere autorité, allant de tems en VIE DE S tems, comme General de tous ces Monafteres, exciter ses BENOIT, Religieux à une plus haute pieté, fortifier les foibles, animer les laches, exhorter les imparfaits, foûtenir les fermes, n'aïant point d'autre occupation que de les convaincre de la necessité de la penitence & de l'importance du salut. Dans le partage cependant qu'il fit de tous ses Disciples dans ces differens Monafteres, il en retint auprès de lui quelques-uns, qu'il jugea avoir encore besoin de sa prefence pour être mieux formés à la perfection. Les deux plus illuftres qui se foûmirent à lui, furent Maur & Placide; le premier fils d'Equice, & le second de Tertule, tous deux Senateurs Romains, qui les amenerent eux-mêmes à saint Benoît pour les former à la pieté. Placide, que S. Gregoire appelle un enfant, quoiqu'il eût déja quinze ans, tomba dans un lac,où il voulut puiser de l'eau : le Saint, quoi qu'abfent, connut par revelation le peril où il étoit, & commanda à Maur de l'aller secourir. Maur plein d'obéïssance executa ses ordres avec tant de ferveur, qu'il ne s'apperçut point d'avoir marché sur l'eau, que quand il en eut tiré Placide, & qu'il lui eut sauvé la vie. Cet accident de Maur fait juger que faint Benoît ne faisoit point sa demeure ordinaire, comme quelques-uns ont dit, dans le Monastere de la sainte Grotte, qui eft fort éloigné du lac; mais dans celui de sainte Scholaftique qui en est voisin. Florent, Prêtre très indigne de son caractere, aïant attaqué la réputation du Saintpar une infinité de médisances & de calomnies atroces, aïant tâché de corrompre la chasteté de ses Religieux, en faisant entrer sept filles toutes nuës dans le jardin de son Monaftere, & lui aïant même envoïé un pain empoisonné ; faint Benoît resolut de ceder à l'envie de ce méchant homme, se retira de Sublac, & fut conduit au Mont-Cassin par deux Anges sous la forme de deux jeunes hommes, qui le mirent en possession de ce lieu, où l'on adoroit encore Apollon. 11 fut indigné de voir ces restes de l'idolâtrie: il travailla promptement à les abolir & à éclairer les peuples du voisinage de la lumiere de la foy; & aprés avoir brisé l'I dole, renverfé son Autel, & brûléles bois superstitieux qui lui étoient consacrés, il fit construire une Chapelle en P'honneur de faint Martin, dans le Temple même d'Apollon, 1 |