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MONT

Tandis que les Normans ravageoient la France, & re- CONGREduifoient en cendres la plus grande partie des Monafteres, GATION D les Sarrafins en Italie ne caufoient pas moins de maux. Ils CASSIN. pillerent le Territoire de Rome, faccagerent le bourg de S. Pierre, & l'Eglife de ce Prince des Apôtres ne fut pas રે l'abri de leurs infultes. Ils allerent au Mont-Caffin pour mettre encore ce Monaftere dans le même état de defolation, où la fureur des Lombards, l'avoit autrefois réduit, n'y aïant pas laiffé pierre fur pierre. Mais Dieu écouta les prieres des Religieux qui fe couvrirent de cendres & de çilices: & la nuit que les barbares avoient choifie pour ravager le Monastere,aïant été emploïée à la priere & àl'oraison, il fut pour cette fois préservé de leurs infultes car par un miracle furprenant, lorfque les Sarrafins se disposoient à paffer la riviere de Liris ou de Garillan, le tems qui étoit extrêmement ferein, se changea tout d'un coup il tomba une pluie fi prodigieufe, que cette riviere déborda, & les Sarrafins furent obligés de s'en retourner, s'étant contentés d'avoir brûlé deux Prieurés des dépendances du Mont-Caffin. Bafface étoit pour lors Abbé de ce Monaftere. C'étoit la coûtume de tenir le dernier jour d'Août un Chapitre General,où se trouvoient les Religieux des Monafteres de la dépendance de cette Abbaïe. L'Abbé les entretenoit des devoirs de l'Observance, & les exhortoit à s'en bien acquitter. Le jour fuivant on faifoit le choix de ceux qui devoient demeurer dans chaque Prieuré où on les envoïoit, pour y exercer les fonctions qui leur étoient commises.

Bafface qui avoit gouverné cette Abbaïe pendant dix-huit ans, étant mort l'an 856. Berthaire l'un de fes Difciples, fut élû en fa place; & comme il voulut mettre à couvert fon Monaftere de toutes infultes, il l'environna de tours & de fortes murailles,& commença à bâtir une ville aux environs de celui de faint Sauveur au pied de la montagne. Il fit d'autant plus aisément cette dépenfe, que fon Abbaïe augmentoit chaque jour en richeffes, par les grandes donations que l'on y faifoit. Mais ces précautions furent inutiles: car les Sarrafins étant retournés au Mont-Caffin l'an 866. ils y firent quelque dégât,& jetterent des meubles & des ornemens d'Eglife dans le fleuve, ou les briferent, mais ils épargnerent pour lors les bâtimens, moïenant une fomme d'argent

CONGRE qu'on leur offrit. Attirés cependant par les grandes richesses MATION qui étoient dans ce Monaftere, ils y retournerent pour une

CASSIN.

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troifiéme fois, l'an 884. Ils attaquerent le Monastere d'enhaut le 4. Septembre, & le reduifirent en cendres, & six semaines aprés,ils en firent autant à celui de faint Sauveur au bas de la montagne. Ils tuerent au pied de l'Autel de faint Martin l'Abbé Berthaire, qui comme un bon Pasteur, s'expofa à la mort pour conferver fon troupeau ; car tous fes Religieux échapperent à la rage de ces barbares,chacun emportant ce qu'il pouvoit du tréfor de leur Eglife, & des autres meubles. Ils fe retirerent à Teane dans le Prieuré de S. Benoît, où ils élurent pour Abbé Angelar,qui étoit Prieur du Mont-Caffin,& que fon merite fit élever fur le Siége Epifcopal de Teane. Deux ans après il entreprit de rétablir le Monastere de faint Sauveur ; ce qui ne lui fut pas difficile à executer, parce que les biens du Mont-Caffin s'accrurent beaucoup pendant fon administration. L'Abbé Leon l'an 904. fit rebâtir celui du Mont-Caffin, vingt-fept ans après fa deftruction. Un accident imprévû réduifit en cendres celui de Teane, où la plupart des Livres du Mont-Caffin furent brûlés, avec l'Autographe de la Regle de faint Benoît. Les Religieux n'abandonnerent pas pour cela Teane : ils y refterent encore jufques en l'an 915. que l'Abbé Leon étant mort, & ne fe trouvant perfonne parmi les Religieux capable de lui fucceder, Landulphe & Antenulphe, Princes de Capouě, priérent un faint homme nommé Jean, qui étoit Archidiacre de l'Eglife de Capouë, de prendre le gouvernement de cette Communauté de Teane. Il l'accepta, prit l'habit Monaftique, & aïant été élû Abbé par les Religieux, il les fit confentir à venir demeurer à Capouë. Mais comme il n'y avoit point de Monaftere en cette ville, cet Abbé acquit par échange de celui de faint Vincent de Voltorne, une petite Eglife à la porte faint Ange, où trois Moines fort vieux demeuroient,dans une petite maifon qui n'étoit bâtie que de bois. Il y fit conftruire par les liberalités de plufieurs perfonnes une Eglife en l'honneur de faint Benoît, avec un Monaftere,où il affembla plus de cinquante Religieux.

Quoique le Monaftere du Mont-Caffin fût inhabité, il étoit cependant toûjours reconnu pour le Chef de tout l'Ordre. Le Pape Marin II. lui accorda plufieurs Privileges l'an

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944. & le maintint dans la poffeffion de tous fes biens, & de CONGRItous les Monafteres tant d'hommes que de filles qui étoient MONTde fa dépendance, & confirma le droit que les Religieux CASSIN, avoient d'élire leur Abbé. Le Pere Mabillon dit que ce Pape accorda à cet Abbé la permiffion de chanter à la Meffe les Fêtes & Dimanches le Gloria in excelfis: mais nous avons remarqué ci-deffus que le Pape Zacharie avoit accordé aux Religieux de cette Abbaïe la même grace deux cens ans auparavant. Peut-être ce fçavant Benedictin a-t-il trouvé la Bulle de Zacharie suspecte;ce qui l'a pu empêcher de parler de ce Privilege plûtôt qu'en l'an 944. & iln'a pas apparemment combattu cette Bulle, pour ne pas faire de peine aux Benedictins de la Congrégation du Mont-Caffin, qui comptent fort fur toutes les Bulles inferées dans leur Bullaire, quoique cependant il y en ait plufieurs de doureuses, principalement celles du Pape Zacharie.

Comme les Princes de Capouë avoient affujetti le Monaftere de faint Benoît de Capoue à leur domination, ce qui avoit été cause que les Religieux avoient abandonné les Observances Regulieres,pour vivre à la façon des feculiers, le Pape Agapet II. l'an 946. à la follicitation de l'Abbé Baudouin, obligea ces Religieux de retourner au Mont-Caffin, pour y vivre dans les Obfervances Regulieres. Ils n'y allerent néanmoins que fous l'Abbé Aligerne,qui fut élû l'an 949. & ce Monaftere qui avoit demeuré pendant foixante & dix-fept ans comme défert & abandonné, depuis fa derniere déftruction par les Sarrafins, fut de nouveau habité par une nombreuse Communauté qui fe forma dans la fuite, où l'on vit en quelque façon revivre l'efprit de leur Fondateur fous le gouvernement d'Aligerne,qui, comme un autre Petronax, a été le Restaurateur, non feulement des édifices materiels de cette Abbaïe, mais encore de l'Obfervance Reguliere. Il fit achever les bâtimens qui avoient été commencés par les Abbés Leon & Jean, & recouvra la plûpart des biens qui avoient été ufurpés par les Comtes de Teane & d'Aquino: ce qui lui attira beaucoup de perfécutions, principalement de la part d'Adenulphe Comte d'Aquino, qui voïant qu'il lui redemandoit ce qu'il avoit ufurpé à fon Monaftere, & que fur le refus qu'il en avoit fait, cet Abbé en avoit porté fès plaintes à Landulphe Prince de Capouë, il en

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CONGRE fut fi irrité qu'il le fit enlever, & l'aïant fait couvrir d'une MONT- peau d'ours, il l'expofa à des chiens pour fervir de fpectacle CASSIN. au peuple. Mais le Prince de Capoue voulant venger l'af

front fait à Aligerne, commanda à Adenulphe de le venir trouver. Ce Comte aima mieux fe révolter contre fon Prince que d'obéïr: ce qui obligea Landulphe de venir à Aquino avec des troupes. Adenulphe s'y voïant affiegé, & ne pouvant éviter de tomber entre les mains de fon Seigneur, fe mit une corde au col, & fe fit enfuite conduire par fa femme en la préfence du Prince pour implorer fa clemence; mais Landulphe le livra ainfi lié entre les mains de l'Abbé Aligerne, & lui fit reftituer tous les biens qu'il avoit pris à son

Abbaïe.

Il y a de l'apparence que l'Obfervance Reguliere, qui avoit été rétablie au Mont-Caffin par l'Abbé Aligerne,fouffrit quelque atteinte fous le gouvernement de Manfon, qui lui fucceda l'an 986. & qui bien loin de fuivre fes traces, mena au contraire une vie toute oppofée, qui reffentoit plus celle d'un Seculier addonné à fes plaifirs, que celle d'un fucceffeur de faint Benoît. Il fe faifoit fuivre ordinairement par un grand nombre de Domestiques vêtus de foïe : il avoit de grands équipages, & frequentoit fouvent la Cour de l'Empereur. L'envie de dominer lui fit commencer une Fortereffe, où faint Thomas d'Aquin a pris naiffance dans la fuite: ce qui donna de la jaloufie aux Princes de Capouë, qui appréhendoient qu'il ne voulût fe rendre maî tre de toute la Province. Alberic Evêque de Marfico, qui avoit envie de s'emparer de l'Abbaïe du Mont-Caffin pour la donner à un fils qu'il avoit eu d'une Concubine, profitant de la jaloufie des Princes de Capoue, convint d'une fomme d'argent avec quelques Bourgeois de Capoue, & quelques méchans Moines,pour fe faifir de l'Abbé, & lui crever les yeux: ceux-ci aïant executé leur promeffe l'an 996. mirent les yeux de cet Abbé dans un linge pour les porter . cet indigne Prélat, afin de recevoir de lui la récompenfe de leur crime; mais par un jufte jugement de Dieu, ce mé chant Evêque mourut à la même heure que Manfon avoit été privé de la vûë.

Comme il eft plus aifé de tomber dans le relâchement que de s'en relever, il eft à croire que les Religieux du Mont

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Caffin ne profiterent point, ni des avis, ni de l'exemple que CONGREleur donna leur Abbé Jean II. fucceffeur de Manfon, qui IND étoit un très faint homme, & que ce fut ce qui l'obligea à CASSIN. renoncer à cette Dignité, pour fe retirer dans une folitude avec cinq ou fix Religieux, qui voulurent apparemment éviter le relâchement. Ceux qui refterent au Mont-Caffin ne profiterent pas davantage des inftructions que leur donna Jean III. qui fut élû après la démiffion volontaire de Jean II. Cet Abbé fit paroître beaucoup de conftance & de grandeur d'ame dans toutes les adverfités qui lui arriverent pendant les douze années de fon gouvernement: car pendant qu'il ne fongeoit qu'à embellir l'Eglife, à faire de nouveaux bâtimens & à augmenter le nombre des Monafteres de fa dépendance, un grand tremblement de terre qui dura pendant quinze jours, endommagea notablement l'Eglife. D'un autre côté les Princes voifins par les vexations qu'ils lui firent, l'obligerent de fe retirer à Capoue ; & fes Moines pendant fon abfence lui aïant fufcité une perfecution domestique, le dépoferent & élûrent en fa place un autre Abbé. Mais le Schifme ne dura que fept mois, & les troubles aïant été appaifés, l'Abbé retourna au MontCaffin, où il mourut l'an 1010. Ce que l'on pourroit condamner dans la conduite de cet Abbé, c'eft d'avoir de fon vivant, fait reconnoître pour fon fucceffeur par une partie de fes Religieux, un de fes parens qui n'étoit encore que Novice, ce qui caufa un nouveau Schifme.

Il y eut un troifiéme Schifme en 1126. & un quatriéme l'an 1138. & de tems en tems le Monaftere fe trouvoit vexé par la tyrannie des Seigneurs voifins. L'an 1030. Pandulphe Prince de Capouë, s'empara prefque de tous les bourgs & villages qui lui appartenoient, dont il mit en poffeffion les Normans, qui fuivoient fon parti, & qui étoient pour lors répandus dans l'Italie. Il enleva les vafes facrés & les ornemens, & donna le Gouvernement de la ville de faint Germain & du Monaftere du Mont-Caffin, à Todin, l'un des Serviteurs de cette Abbaïe, qui traita les Moines avec tant de dureté, qu'il fit manger les Serviteurs dans le Refectoire, où jufqu'alors aucun Laïque n'avoit été admis, & qu'un jour de l'Affomption de la Vierge, ils ne purent pas avoir de vin pour dire la Meffe.

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