Page images
PDF
EPUB

ORDRE DE enforte qu'il se contenta de les confoler par Lettres. Ces CifFAUX. Religieux de Tonnerre qui devoient profiter des avis salu

taires & des bons exemples de leur saint Abbé, continuerent à vivre dans un si grand relâchement, que le Saint perdant toute esperance de pouvoir rien avancer avec eux pour la gloire de Dieu, les quitta pour retourner dans son premier Monastere de Montier-la-Celle, afin d'y servir Dieu avec moins de trouble & d'inquiétude, aimant mieux obéïr que commander; mais fon merite ne permit pas qu'il restât long-tems dans cet état: car il fut bien-tôt après élu Prieur de faint Aigulphe, qui étoit un Monastere de la dépendance de cette Abbaïe. Quelque tems après les Ermites de Colan, qui malgré la mauvaise issuë qu'avoit euë la premiere demande qu'ils avoient faite de saint Robert pour leur Superieur, avoient resolu absolument de se foûmettre à sa conduite, afin de mieux réüffir, & qu'on ne pût pas le leur refuser, s'addresserent au Pape, duquel ils obtinrent un Bref, qui ordonnoit à l'Abbé de Montier-la-Celle de leur donner le Saint, puisqu'ils l'avoient élu pour les gouverner. L'Abbé ne put fe dispenser d'obéïr, & Robert accepta cet ordre avec plaisir, tant pour obéir à ses Superieurs, que pour contenter ces bons Ermites, & vivre avec eux dans la retraite & l'éloignement du monde. Il partit done, & arriva dans la folitude de Colan, où les Ermites qui y demeuroient & qui l'avoient demandé avec tant d'instance, le reçurent comme un Ange envoïé de Dieu pour leur fervir de guide dans ce defert. Neanmoins parce que cette folitude étoit mal saine, Robert les conduifit dans la forêt de Molesme, où de leurs propres mains ils bâtirent des cellules avec des branches d'arbres, & un petit Oratoire en l'honneur de la sainte Trinité.

La pauvreté de ces Religieux étoit extrême dans les commencemens ; ils étoient presque nuds, & ne vivoient que de legumes. Mais plusieurs Seigneurs du païs par une fainte émulation, leur aïant donné à l'envi ce qui étoit necessfaire pour leur entretien, & le revenu temporel érant augmenté notablement, les richesses les firent tomber dans un si grand relâchement, que S. Robert ne pouvant ni par prieres ni par remontrances arrêter leurs déréglemens, ni les maintenir dans l'Observance, se retira dans un defert appellé Haur, où il y avoit des Religieux qui vivoient dans une grande

[ocr errors]

union & fimplicité de cœur. Ils le reçurent avec beaucoup ORDRE DE
de tendresse, s'estimant heureux de le posseder. Il travailloit CiTEAUK.
avec eux de ses propres mains pour pouvoir subsister, & il
emploïoit à la priere & à la meditation le tems qu'il ne tra-
vailloit pas: de forte qu'une vie si austere, si sainte & fi
édifiante, obligea ces Religieux à l'élire pour leur Abbé.
Mais il ne les gouverna pas long-tems; car ceux de Molef-
me se repentant de ce qu'ils avoient été la cause de sa re-
traite, interpoferent l'authorité du Pape & de l'Evêque de
Langres pour le faire revenir chez eux, & pour les gouver-
ner en qualité d'Abbé, comme il avoit fait avant sa retraite :
Cela leur réüssit ; mais comme ce repentir n'étoit fondé que
sur la consideration du temporel, qui n'alloit pas si bien depuis
son absence, leur fausse penitence ne produisit aucun fruit,
& la Regularité n'en fut pas mieux observée.

Quelques Religieux neanmoins faisant reflexion que leurs
usages ne s'accordoient pas avec la Regle de saint Benoît,
qu'ils entendoient lire tous les jours en Chapitre, & qu'ils
avoient promis d'observer, commencerent par s'en entrete-
nir en particulier, se plaignant de leur infidelité, & cherche-
rent serieusement à y remedier. Le bruit s'en étant répandu
dans la Communauté, les autres Religieux qui n'avoient
pas le même zele, se moquerent de ceux ci, & vouloient les
détourner de leur dessein par toutes fortes de moïens: mais
les zelés, sans s'en mettre en peine, demandoient à Dieu par
de ferventes prieres de les conduire en quelque lieu, où ils
pussent fidellement accomplir leurs vœux, voïant bien que
tant qu'ils feroient en la compagnie de ceux qui ne vouloient
point de réforme, il leur seroit difficile d'y réüssir.

Ils ne voulurent rien entreprendre sans en avoir consulté l'Abbé, conformément à la Regle, qui défend de rien faire sans sa permission. Ils furent donc trouver Robert, & lui dirent qu'ils étoient refolus de se retirer avec sa permiffion dans quelque lieu solitaire, où ils pussent ffent sans aucun empêchement observer ce qu'ils avoient voüé à Dieu. Non feulement ce faint Abbé loüa leur dessein, mais il promit de les aider & de se joindre à eux ; & pour ne se conduire que par l'autorité des Superieurs, il alla avec fix Religieux des plus zelés à Lyon trouver l'Archevêque Hugues, Legat du saint Siege, & lui dit qu'ils étoient refolus de pratiquer exacte

ORDRE DF ment la Regle de saint Benoît, lui demandant pour cet effet CirEAUX son secours & la protection du faint Siege, & en particulier

la permiffion de fortir de Molesme, où ils ne pouvoient executer leur dessein, à cause du relâchement qui s'étoit introduit dans le plus grand nombre des Religieux de cet Abbaïe. Le Legat la leur accorda ; & pour cet effet leur donna des Lettres Parentes, où il leur conseilloit & leur ordonnoit par l'authorité du Pape, de perseverer dans leur fainte refolution. Les fix qui accompagnerent l'Abbé en ce voïage, étoient Alberic, Odon, Jean, Etienne, Letalde & Pierre.

Etant donc retournés à Molesme, ils choisirent les plus zelés pour l'Observance, fortirent au nombre de vingt & un : & allerent s'établir dans un lieu appellé Cîteaux à cinq lieuës de Dijon dans le Diocése de Châtons. C'étoit un défert couvert de bois & d'épines, arrosé par une petite riviere qui prend sa source d'une fontaine qui en est éloignée d'une lieuë, appellée sans fonds, à cause qu'on n'en a jamais pû trouver le fonds, & qui a cette proprieté, que quand il pleut elle diminuë notablement, & qu'elle déborde dans les tems de secheresse. Quelques-uns croient que le nom de Cîteaux fut donné à ce lieu à cause des Cirernes qu'on y trouva. Ces Religieux commencerent à défricher cette folitude, & s'y logerent dans des cellules de bois qu'ils firent avec le consentement de Gautier Evêque de Châlons & de Rainaud Vicomte de Beaune à qui la Terre appartenoit. Ils s'y établirent le 2. Mars 1098.jour de S. Benoit, qui se rencontroit cette année-là le Dimanche des Rameaux. Ce lieu étoit fi fterile que l'Archevêque de Lyon jugeant qu'ils n'y pourroient subsister sans le fecours de quelques personnes puissantes, écrivit à Eudes Duc de Bourgogne, pour l'exhorter à leur faire du bien. Ce Prince touché du recit que l'Archevêque lui faisoit de leur pauvreté, & édifié de leur ferveur, acheva à ses dépens le bâtiment du Monastere de ce qu'ils avoient commencé, & les y entretint long-tems de toutes les chofes neceffaires à la vie. Il leur donna même abondamment des terres & des bestiaux, & l'Evêque de Châlons donna à Robert le Bâton Paftoral en qualité d'Abbé,érigeant ce nouveau Monafstere en Abbaïe.

:

L'année suivante 1099. quelques Religieux de Molesme, du consentement de Godefroi leur nouvel Abbé,allerent à

Rome

[ocr errors]

Rome & porterent leur plainte au Pape Urbain II. (qui étoit ORDRE DE
à la tête du Concile qui s'y tenoit pour lors) de ce que la CirFAUX.
Religion étoit renversée dans leur Monaftere, & que par la
retraite de Robert ils étoient devenus odieux aux Seigneurs
& à leurs autres voisins, & qu'ainsi il prioient sa Sainteté de

Pobliger à reprendre reprendre la conduite de leur Monaftere, afin

qu'il remediat à tous ces maux. Le Pape cedant à leur importunité & adherant au Conseil des Evêques qui compoToient ce même Concile, écrivit à l'Archevêque de Lyon, de tirer s'il étoit possible, Robert de sa solitude pour le renvoïer à fon Monastere de Molesme, finon de faire ensorte que ceux qui aimoient la solitude (qui étoient apparemment ces voisins ausquels ils étoient devenus odieux) demetirassent en repos, & que ceux qui étoient dans le Monastere vêcussent regulierement. L'Archevêque de Lyon aïant reçu cette Lettre du Pape, & étant follicité par l'Abbé Godefroi, & par les Religieux de Molesme,assembla quatre Evêques, Norgauld d'Autun, Gautier de Châlons, Bertrand de Mâcon, Pons de Bellai, & tous fes Suffragans. Il s'y trouva aussi trois Abbés, Pierre de Tournus, Jarenton de Dijon, & Gosseran d'Aisnai, avec Pierre, Camerier du Pape,aufquels aïant communiqué la Lettre de sa Sainteté, il écrivit par leur conseil à Robert Evêque de Langres, qu'il avoit resolu de rendre à l'Eglise de Molesme l'Abbé Robert, à condition qu'avant que d'y retourner, il iroit à Châlons pour remettre à l'Evêque le Bâton Pastoral qu'il avoit reçu, lorfqu'il lui avoit promis obéïssance, de laquelle obéïssance if le déchargeroit de même que Robert de son côté déchargeroit les Religieux du nouveau Monastere, (c'est ainsi qu'on appelloit d'abord celui de Cîteaux) de celle qu'ils lui avoient promise en qualité d'Abbé, & qu'il permettroit aussi à tous ceux du nouveau Monastere qui voudroient le suivre, de retourner avec lui à Motesme, à condition qu'à l'avenir ils ne s'attireroient ni recevroient les uns les autres, finon en tant que faint Benoît permet de recevoir les Moines d'un Monastere connu. Il marquoit ensuite à ce Prélat que lorfqueRobert auroit satisfait à cela, il le lui renvoïâť pour le rétablir Abbé de Molesme, à condition que s'il quittoit encore cette Eglise sans de justes raisons, on ne lui donneroit point de successeur du vivant de Godefroi. Quant à la Chapelle

Tome V.

Xx

1

ORDRE DE

de l'Abbé Robert, & tout le reste qu'il avoit apporté de CATEAUX. Molesme, il ordonnoit que tout demeureroit aux Freres du nouveau Monaftere, hormis un Breviaire qu'ils garderoient jusqu'à la saint Jean, pour le transcrire, avec le consentement des Religieux de Molesme.

Robert acquiefça à tout ce que l'on demandoit de lui; il déchargea les Moines de Cîteaux de l'obéïssance qu'ils lui avoient promise, soit dans ce lieu, soit à Molesme, & l'Evêque de Châlons le déchargea aussi du soin de cette Eglife, qui lui avoit été confiée. Il s'en retourna donc à Molesme, avec quelques Religieux qui le voulurent suivre, se sentant plus portés à la vie Monastique qu'à la vie solitaire. L'Evêque de Châlons donna à saint Robert un Certificat adressé a l'Evêque de Langres, comme il l'avoit absous, tant du Gouvernement du nouveau Monaftere, que de l'obéïssance qu'il lui avoit promise. Ce Saint gouverna encore ce Monastere de Molesme pendant près de neuf ans, & mourut l'an 1108.

Robert aïant quitté Citeaux pour retourner à Molesme, faint Alberic lui succeda dans le Gouvernement de ce nou. veau Monastere, & en fut élu Abbé l'an 1099. Il avoit pris l'habit Monastique dans celui de Molesme ; & lorsque faint Robert en fortit pour se retirer dans le defert d'Haur, Alberic, qu'il avoit fait Prieur, prit le soin de ce Monaftere en son abfence. Il tâcha inutilement aussi-bien que faint Robert, de faire revenir les Religieux à l'Observance de la Regle: mais bien loin de l'écouter, ils lui firent mille outrages, jusqu'à le jetter dans une obfcure prison ; d'où aïant été tiré quelque tems après, il quitta aussi ces Reli gieux rebelles pour se retirer dans, un defert, à l'exemple de faint Robert; & il ne retourna à Molesme que quand il eut appris que les Religieux de ce Monastere avoient redemande leur Abbé. Lorsque ce même Abbé les quitta pour la seconde fois pour aller dans les folitudes de Cîteaux, il fut du nombre de ceux qui l'y accompagnerent, & merita par fon zele & par sa ferveur d'être fait Prieur de ce nouveau Monastere.

A peine en eut-il été élû Abbé, qu'il envoïa deux de ses Religieux, Jean & Ilbod vers le Pape Paschal II. pour mettre fon Eglise sous la protection du faint Siege. Il leur fit

« PreviousContinue »