VALLOM BREUSE. ORDRE DE Affemblée qui se tenoit pour lors, de se justifier des accusations que l'on faifoit contre lui. Les Clercs s'offrirent de subir pour lui le jugement de Dieu s'il étoit innocent, où que s'il vouloit recevoir l'épreuve du feu que les Religieux avoient voulu faire à Rome & à Florence, ils iroient les en prier. L'Evêque refusa l'un & l'autre, il obtint au contraire un ordre de faire mener prisonnier au Gouverneur ceux qui ne le reconnoîtroient pas pour Evêque & ne lui obéïroient pas: que si quelqu'un s'enfuïoit de la ville, ses biens feroient confifqués, & que les Clercs qui s'étoient refugiés à l'Eglife de faint Pierre, pour lors hors des murs de la ville, ou se reconcilieroient avec lui, ou seroient chassés de Florence sans esperance d'être écoutés. En execution de cet Ordre, le foir du Samedi après le Mercredi des Cendres de l'année 1067. comme ces Clercs étoient assemblés dans l'Eglise de faint Pierre pour reciter les divins Offices, on les chaffa de cette Eglise sans avoir égard à la fainteté du lieu. Il se fit alors un grand concours de peuple, & principalement. de femmes, qui aïant ôté leurs voiles de dessus leurs têtes, marchoient les cheveux épars, se frappant la poitrine, & jettant des cris pitoïables, comme si elles avoient perdu leurs maris ou leurs enfans. Elles se prosternoient dans les ruës pleines de bouës:elles difoient dans leurs plaintes: Helas, helas, Jesus, on vous chasse d'ici, on ne vous permet pas de demeurer avec nous ! vous le voudriez bien, mais Simon le Magicien ne vous le permet pas. O Saint Pierre, comment ne defendez vous pas ceux qui se refugient chez vous ? Etes vous vaincu par Simon. Nous croiions qu'il étoit enchaîné en enfer, & nous voïons qu'il vient vous attaquer impunément à votre honte. Les hommes menaçoient de brûler la ville, refolus d'en fortir avec leurs femmes & leurs enfans pour suivre Jesus-Christ. Vous voiez, disoient-ils, que FefusChrist se retire d'ici, parceque suivant sa Doctrine, refifte point à celui qui le chasse, & nous aussi, mes Freres, brûlons cette ville afin que le parti Heretique n'en joüiffe pasi & nous en allons avec nos femmes & nos enfans par tout où Jesus-Christ ira, & suivons-le finous sommes Chrétiens. on ne Les Clercs qui suivoient le parti de l'Evêque, touchés de ces difcours, fermerent les Eglifes, ne fonnerent plus les BREUSE. cloches, ne chanterent plus publiquement les Offices divins, ORDRE DE ni la Messe, & s'étant assemblés, ils délibererent d'envoier VALLOMau Monastere de Settimo, pour prier les Religieux de leur faire connoître la verité, promettant de la suivre. Ils prirent jour au Mercredi suivant, qui étoit celui de la premiere femaine de Carême. Le Lundi & le Mardi, ils firent des prieres particulieres pour ce sujet. Le Mercredi matin un Clerc fut deputé pour aller trouver l'Evêque, & le pria que si ce que les Religieux de saint Jean Gualbert disoient de lui étoit veritable, il l'avoüât franchement sans tenter Dieu, & fatiguer inutilement le Clergé & le peuple, & que s'il étoit innocent, il vînt avec eux. L'Evêque refusa d'y aller, & follicita même ce Clerc à n'y point aller auffi. Mais il lui répondit, que puisque tout le monde alloit au jugement de Dieu, il iroit & s'y conformeroit; enforte que ce jour-là il l'honoreroit plus que jamais, ou qu'il le méprife roit entierement. Sans attendre ce deputé, tout le Clergé & le peuple accourut au Monastere de Settimo. Les femmes ne furent point effraïées par la longueur & l'incommodité du chemin rempli d'eau bourbeuse. Les enfans ne furent point point retenus par le jeûne : car ils l'observoient alors, en forte qu'il se trouva à la porte du Monastere environ huit mille perfonnes, qui demanderent aux Religieux l'épreuve du feu pour prouver ce qu'ils avoient avancé contre l'Evêque de Flo-.. rence. Aussi-tôt le peuple dressa deux buchers, l'un à côté de l'autre, chacun long de dix pieds, large de cinq & haut de quatre & demi; & entre les deux étoit un chemin large d'une brasse, semé de bois fec, & aifé à brûler. Cependant. on chantoit des Pseaumes & des Litanies, les deux buchers, étant prêts, on choisit un Religieux nommé Pierre pour entrer dans le feu ; & par ordre de l'Abbé, il alla à l'Autel pour celebrer la Messe, qui fut chantée avec grande devotion, & quantité de larmes, tant de la part des Religieux que des Clercs & des Laïques. Quand on vint à l'Agnus Dei, quatre Religieux s'avancerent pour allumer les buchers: l'un portoit un Crucifix, l'autre de l'eau benite : le troifiéme douze cierges allumés: & le quatriéme l'encensoir plein d'encens. Le peuple les voïant, éleva sa voix vers le Ciel. On chanta Kyrie eleifon d'un ton lamentable, on pria VALLOM BREUSE. ORDRE DE Jesus-Christ de venir defendre sa cause. Les femmes principalement eurent recours à la fainte Vierge pour prier son fils d'entreprendre sa défenfe. L'on entendoit le nom de saint Pierre qui retentissoit en l'air, parce qu'il avoit condamné Simon le Magicien ; & celui de faint Gregoire Pape qu'on prioit d'être présent à cette ceremonie pour verifier ses decrets. Pendant que chacun prioit à sa maniere, le Religieux Pierre aïant communié & achevé la Messe, ôta sa chasuble, gardant les autres ornemens Sacerdotaux, & portant une croix, il chantoit les Litanies avec les Abbés & les Religieux; & rempli de confiance en Dieu, il s'approcha ainsi des buchers déja embrasés. Le peuple redoubla ses prieres avec une ardeur incroïable. Enfin on fit faire filence pour entendre les conditions ausquelles se faisoit l'épreuve du feu. On choisit un Abbé qui avoit la voix forte pour lire diftinctement au peuple une Oraison, contenant ce que l'on demandoit à Dieu. Tous l'approuverent, & un autre Abbé aïant impofé filence & élevé sa voix dit: Mes freres & mes Sœurs, Dieu nous est témoin que nous faisons ceci pour le salut de vos ames, afin que desormais vous evitiez la Simonie,dont prefque tout le monde est infecté, laquelle est fi abominable que tous les autres pechés ne sont rien en comparaison. Les deux buchers étoient déja reduits en charbon, & le chemin d'entre deux en étoit couvert, ensorte qu'en y marchant on en auroit eu jusqu'aux talons, comme on vit depuis par experience. Alors le Religieux Pierre par ordre de l'Abbé, prononça à haute voix cette Oraison, qui tira les larmes de tous les assistans: Seigneur Jesus-Christ qui êtes la lumiere de tous ceux qui croient en vous, j'implore votre mifericorde, & je prie votre clemence, afin que si Pierre de Pavie à usurpé le siège de Florence pour de l'argent, (ce qui est l'heresie Simoniaque,) vous me secouriez dans ce terrible jugement, & me preferviez par un miracle, de toute atteinte du feu, comme vous avez autrefois conservé les trois enfans dans la fournaise. Aprés que tous les assistans eurent répondu Amen, il donna le baifer de paix à ses Freres. On demanda au peuple combien il vouloit qu'il demeurât dans le feu: il répondit qu'il suffisoit qu'il passat gravement au milieu. Le Religieux Pierre, faisant le signe de la Croix sur les ORDRE DE VALLOM flammes, & portant sa Croix sur laquelle il arrêtoit sa veuë BREUSI. sans regarder le feu; y entra gravement nuds pieds avec un visage gai, on le perdit de vuë tant qu'il fut entre les deux buchers; mais on le vit bien-tôt paroître de l'autre côté fain & fauf, fans que le feu eût fait la moindre impression sur lui. Le vent de la flamme agitoit ses cheveux, foulevoit fon aube & faisoit floter son étole & fon manipule; mais rien ne brûla, pas même le poil de ses pieds. Il raconta depuis, que comme il étoit prêt à sortir du feu, il s'apperçut que fon manipule lui étoit tombé de la main & retourna le reprendre au milieu des flammes. Quand il fut forti du feu, il voulut y rentrer : mais le peuple l'arrêta lui baisant les pieds, & chacun s'estimoit heureux de baiser la moindre partie de ses habits. Peu s'en fallut qu'il ne fût étouffé par le peuple qui étoit autour de lui, & les Clercs eurent bien de la peine à l'en tirer. Tous chantoient à Dieu des loüanges, répandant des larmes de joïe; on exaltoit faint Pierre, & on détestoit Simon le Magicien. Le peuple & le Clergé de Florence écrivirent aussi tôt au Pape Alexandre I I. tout ce qui s'étoit passé, le suppliant de les délivrer de cetEvêque Simoniaque. Le Pape y eut égard, & déposa Pierre de Pavie, qui se soûmit à ce jugement, & se convertit si bien, qu'il se reconcilia avec les Religieux, & prit même l'habit de leur Ordre dans le Monastere de Settimo, auquel il laissa quelques biens, (à ce qu'on pretend.) qui furent appliqués par Pierre II. Abbé de ce Monaftere al'Hôpital de ce lieu. Aprés ce miracle du feu les Religieux de Vallombreuse furent en grande estime, le Comte Guillaume Bulgare donna à faint Jean Gualbert l'Abbaïe de Fucecchio dans le Diocése de Luques, le priant d'y mettre pour Abbé ce Religieux Pierre, qui avoit passé par le feu, & qui fut à cause de cela surnommé Ignée. Ce Religieux que l'Ordre de Vallombreuse compte au nombre de ses Saints, fut fait dans la suite Cardinal & Evêque d'Albane l'an 1074. par Gregoire VII. Il étoit de la famille des Aldobrandins. S'étant fait Religieux à Vallombreuse, il s'appliqua à la recherche de toutes les vertus, mais principalement à celle de l'humilité, qu'il pratiquoit dans un si haut degré de perfection, que VALLO M- ORDRE DI malgré la Noblesse de son extraction, il ne dédaigna pas de garder les ânes & les vaches, felon l'ordre qu'il en avoit reçu de fon Superieur ; mais fon merite ne permettant pas qu'il restât toûjours dans un emploi si bas & fi humiliant, il fut fait dans la suite Prevôt de Passignagno. Saint Jean Gualbert aprés avoir par fon zele extirpé la Simonie qui étoit alors si commune, donna tous ses soins au gouvernement de son Ordre, & enfin l'an 1073. comme il étoit allé à Paffignagno pour y faire la visite de ce Monaftere, il y tomba malade & y mourut. Peu avant sa mort, il ficaffembler fes Religieux, & aïant pris par la main le Bienheureux Rodolphe Abbé de Mofcheto, il le nomma pour fon fuccesseur, ce qui n'empêcha pas qu'aprés qu'on eut donné la fepulture à fon Corps, les Religieux pour observer les formalités ordinaires, ne s'assemblassent à Vallombreuse, où en suivant les intentions de leur Fondateur, ils élurent pour General le Bienheureux Rodolphe qui obtint du Pape Gregoire VII. la confirmation de cet Ordre & de ses privileges. Le Bienheureux Rustique de Florence lui fucceda en 1076. & celui-ci eut pour successeur le Bienheureux Erizzo de Florence l'an 1092. Ces Generaux augmenterent fi confiderablement cet Ordre, que dans le premier fiécle de fon établissement on y comptoit déja plus de cinquante Abbaïes. Ils furent d'abord perpetuels, ensuite Triennaux, & à present ils exercent leur Office pendant quatre ans. Ils se fervent d'ornemens Pontificaux, honneur qui fut pre. mierement accordé à Nicolas de Sienne Abbé de Paffignagno l'an 1352. par le Pape Clement VI. & l'an 1372. par Gregoire XI, à l'Abbé de Vallombreuse, qui étoit autrefois le premier Prélat de la Toscane, & Juge Apoftolique dans les Diocéfes de Florence & de Fiezoli, fur les taxes qui se païoient au Fape. Lorsque les Generaux étoient perpetuels, ils prenoient la qualité d'Abbés de Notre-Dame & de tout l'Ordre de Vallombreuse, & de Comtes de Canette, de Mont-Verde, de Guald & de Magnal. Ils avoient aussi séance dans le Senat de Florence, & étoient souvent commis par les Souverains Pontifes pour pacifier. les differends qui arrivoient entre les Ecclefiaftiques de Tofcane. Dom Averard Nicolini Abbé de Vallombreuse, qui avoit éré |