ORDRE DES la Messe en public. Il en fortit pour aller à Bifolco, sur l'in CAMALDU LES. stante priere que les Religieux de ce Monastere lui avoient faite de les venir voir; mais y trouvant les cellules trop magnifiques, il ne voulut loger que dans une qui n'avoit que quatre coudées, & n'aïant pû perfuader à ces Religieux de se soûmettre à la conduite d'un Abbé, il les quitta & envoïa demander une retraite aux Comtes de Camerino qui lui offrirent avec joïe toutes les Terres de leur Etat:il choisit un lieu nommé Val de Caftro, qui est une plaine fertile & bien arrofée, entourée de montagnes & de bois. Il y avoit déja une petite Eglise & une Communauté de Penitentes qui lui cederent la place. Romuald commença donc à y bâtir des cellules & à y habiter avec ses Disciples, il y fit en peu de tems des fruits incroïables. On venoit à lui de tous côtés chercher la penitence : les uns donnoient leurs biens aux pauvres, les autres quittoient le monde entierement pour embrasser la vie Monastique. Et tous à l'exemple de ce grand homme n'étoient plus occupés que de leur sasut & de l'éternité. Saint Romuald quitta Val de Castro, y laissant quelquesuns de ses Disciples & passa au païs d'Orviette, où il batit un Monaftere sur les terres du Comte Farulfe, où il attira un grand nombre de personnes qui s'y firent Religieux. Il y en eut même plusieurs diftingués par leur noblesse, entre lesquels fut Gui, fils du Comte Farulfe, qui ne put résister aux exhortations & au zele de saint Romuald qui étoit si grand pour la converfion des hommes qu'il sembloit qu'il voulut changer tout le monde en désert, & engager tous les hommes à la vie Monastique. Aïant appris le martyre de saint Boniface son Disciple tué par les Russes l'an 1009. il sentit un si grand defir de répandre son sang pour Jesus-Christ, qu'il résolut aussi-tôt d'aller en Hongrie. Mais l'execution de son dessein fut un peu retardé à cause de deux Monasteres qu'il fit bâtir, l'un auprès de la riviere d'Esino & l'autre près la ville d'Afcoli. Ensuite aïant obtenu la permission du faint Siége, il partit avec vingt-quatre Disciples, dont deux avoient été sacrés Archevêques pour cette Mission, aïant tous un si grand zele pour le falut du prochain qu'il lui étoit difficile d'en mener moins. Mais lorsqu'ils furent entrés en Hongrie, Romuald fut attaqué d'une maladie qui l'obligea de s'arrêter. Il se ORDREDES portoit bien lorsqu'il se mettoit en état de s'en retourner, & CAMALDUretomboit malade lorsqu'il vouloit passer plus avant : ce qui l'obligea d'abandonner son dessein. Il n'y eut que quinze de ses Disciples qui resterent dans ce païs, où ils souffrirent beaucoup de maux. Quelques-uns furent fustigés, plusieurs vendus & réduits en servitude; mais aucun n'arriva au martyre. Romuald revint à son Monastere d'Orviette, dont il trouva que l'Abbé ne suivoit pas ses maximes. Ne pouvant rien gagner sur son esprit, il quitta ce Monastere, & après avoir changé plusieurs fois de demeure, il vint encore à Val de Castro, pour tâcher d'obliger aussi l'Abbé à pratiquer plus exactement le genre de vie qu'il lui avoit enseigné ; mais ses remontrances aïant encore été inutiles, il se retira sur le Mont Appennin dans une petite pleine appellée Camaldoli, arrofée de sept fontaines: & trouvant ce lieu là propre pour la vie qu'il vouloit faire observer à ses Disciples, & que l'on avoit rejettée dans les autres Monasteres qu'il avoit bâtis, il y fonda son Ordre l'an 1012. Man. Oce Quelques-uns ont pretendu que ce lieu s'appelloit Aqua Bella, & qu'il ne prit le nom de Camaldoli ouCampo-maldolis qu'à cause d'un certain Maldoli, bourgeois d'Arezzo,à qui il appartenoit, & qui le donna à S. Romuald. Maurolic pré- Silvest. tend même que ce Maldoli descendoit des Juifs, qui se lau- Maurol. verent de Jerufalem aprés que cette ville eut été détruite par an. di tutte les Empereurs Tite & Vefpafien, & que les ancêtres de ce le Relig.lib. Maldoli étant venus à Arezzo, avoient embrassé le Chri- 2. pag. 101. stianisme & pris le nom de Maldoli, du Château de Magdelon en Bethanie, qui appartenoit à sainte Marie Magdelaine. Mais il étoit inutile que Maurolic allât jusques dans la Judée chercher l'étimologie du mot de Maldoli, puisque ce Maldoli n'a point donné à faint Romuald, le lieu dont tout l'Ordre des Camaldules a pris le nom, comme une infinité d'Historiens ont faussement avancé ; & qu'il est certain que la premiere donation en fut faite par Theodald Evêque d'Arezzo l'an 1027. Il y a même un privilege de l'Empereur Henri II. felon le Pere Mabillon, où ce lieu est appellé Campus amabilis. L'on avoit toûjours cru jusqu'à présent que le défert de Camaldoli avoit été le lieu où saint Romuald ORDRE DES avoit jetté les fondemens de son Ordre. Tous les Historiens CAMALDU. de cet Ordre avoient même été de ce sentiment ; mais le LES. Pere Gui Grandi Cremonois, Religieux du même Ordre, qui a donné en 1707. des differtations sur les antiquités de cet Ordre, pretend faire remonter son origine jusqu'à l'an 978. que faint Romuald prit sous sa conduite le Duc de Venife Pierre Urfeole, comme nous avons dit, avec lequel & quelques autres il alla en Catalogne, où il se fit des disciples. Il prétend aufli que le nom de Camaldules a été donné aux Religieux de cet Ordre, non que leur premiere demeure ait été à Camaldoli; mais à cause que la regularité s'y est toûjours maintenuë mieux qu'ailleurs, de même que felon lui, les Chanoines de Latran ont eu ce nom de leur introduction dans l'Eglise de Latran; quoiqu'ils tirent leur origine du tems des Apôtres, felon quelques-uns, ou de faint Augustin selon d'autres, de même aussi que le nom de Grandmont a été donné à un Ordre qui n'a pas pris fa naissance à Grandmont, & ainsi de plufieurs autres; ce qui lui fait dire, qu'il souhaiteroit que le nom de Romualdins fut resté aux Religieux de fon Ordre, comme celui de Dominicains & de Francifcains aux Disciples de faint Dominique & de S. François. Mais il ne faut pas s'étonner fi ce Pere s'interesse tant pour donner à fon Ordre une antiquité plus reculée que celle qui lui avoit été donnée jusqu'à present, puisqu'il ne le fait que pour mettre au nombre des Saints de l'Ordre des Camaldules plusieurs Disciples de faint Romuald, du nombre de ceux qu'il a eus avant que d'avoir fondé fon Ordre. Mais comme nous sommes perfuadés que les Monafteres que faint Romuald fit bâtir avant sa retraite à Camaldoli, ne voulurent point se soûmettre au genre de vie qu'il y vouIut établir, qu'i's se contenterent de suivre la regle de faint Benoît, qu'il fut lui-même chaffé de quelques-uns de ces Monafteres qui ne vouloient pas se soûmettre aux loix qu'il vouloit leur impofer, & qu'il en abandonna d'autres qui ne vouloient point recevoir d'Abbé; nous ne reconnoiffons faint Romuald, que comme un reformateur & propagateur de P'Ordre de faint Benoît avant qu'il eût fondé un Ordre nou veau en 1012. Saint Romuald aïant donc jetté les fondemens de fon Ordre à Camaldoli, il bâtit d'abord cinq cellules, feparées les CAMALDU unes des autres, dans un lieu escarpé & de difficile accés, ORDRE DAS avec un Oratoire en l'honneur du Sauveur du monde, que Theodald Evêque d'Arezzo, à qui celieu appartenoit, confacra dans la suite, car il ne fut point Evêque d'Arezzo avant l'an 1022. Saint Romuald y mit pour Prieur Pierre Dagnin. L'on prétend que ce faint Fondateur eut en ce lieu une vision pareille à celle de Jacob, qui fut une échelle dont le pied étoit appuïé sur la terre, & le fommet s'élevoit au Ciel, fur laquelle ses Religieux revêtus d'habits blancs montoient vers Dieu, & que ce fut la raison qui l'obligea à faire changer à ses Religieux la couleur noire pour la blanche qu'ils ont confervée jusqu'à present. Mais le Pere Grandi rejette cette vision, quoique jusqu'à present, elle ait été universellement reçuë dans son Ordre. La maniere de vivre que faint Romuald prescrivit d'abord à ses Ermites étoit telle. Ils demeuroient tous dans des cellules separées les unes des autres, & fe rendoient aux heures marquées à l'Oratoire pour y faire chanter l'Office divin qu'ils pfalmodioient seulement. Les Reclus étoient dispensés de cette obligation, & ne fortoient point du lieu de leur reclusion. Il y en avoit qui pendant les deux Carêmes de l'année, gardoient un filence inviolable, & d'autres pendant cent jours continuels. La Loi de l'abstinence & du jeûne étoit, que chacun devoit manger dans sa cellule, & que pendant tout le tems de chaque Carême, ils devoient jeûner tous les jours au pain & à l'eau excepté les Dimanches. Quelques-uns ajoûtoient un troisiéme Carême, & tous pendant le reste de l'année, jeûnoient encore au pain & à l'eau les Lundis, les Mercredis & les Vendredis, le plus souvent encore le Mardi & le Samedi: mais le Dimanche & le Jeudi ils mangeoient des legumes. C'étoit auffi la coûtume dans ces premiers tems, que pendant tout le Carême tous les Ermites demeuroient dans leurs cellules fans en fortir, excepté deux ou quatre au plus, qui demeuroient près l'Eglife,& qui recitoient l'Office divin tant de jour que de nuit. Au reste l'usage de la viande fut interdit pour toûjours dans les cellules, aussi bien que l'entrée des femmes dans l'Ermitage, lesquelles n'en doivent pas approcher plus près que du lieu qui leur est marqué. Saint Romuald, aprés avoir fondé l'Ermitage de Camaldoli, où il laissa pour Prieur Pierre Dagnin, quitta l'Apen ORDRE DES nin pour se retirer en Sitrie, dans l'Ombrie, proche Saxo FerCAMALDU- rato. Il y demeura sept ans enfermé, gardant continuelle LES. ment le filence. Jamais cependant il ne fit plus de converfions & ne renferma plus de penitens; car en peu de tems la Sitrie parut comme une autre Nitrie. Tous les Solitaires qui y demeuroient marchoientnuds pieds, étoient pâles, negliges, & toutefois contens de leur extrême pauvrete. Quelques - uns demeuroient enfermés dans leurs cellules comme en des sepulchres. Personne n'y goûtoit jamais de vin.Non seulement les Moines, mais leurs ferviteurs & ceux qui gardoient les beftiaux, jeûnoient, observoient le silence, se donnoient la difcipline l'un à l'autre, & demandoient penitence pour les moindres paroles oiseuses. Entre tous les autres Romuald se faisoit admirer par son austerité, quoique son grand âge eût pu les moderer: pendant un Carême il ne vécut que de boüillon fait d'un peu de farine, avec quelques herbes. Il portoit continuellement le cilice, & ne rasoit ni sa tête ni sa barbe, coupant seulement avec des ciseaux les extrémités de ses cheveux & de fa barbe. Si quelquefois on lui presentoit quelque viande exquise, aprés en avoir seulement senti l'odeur il la rejettoit. Pendant l'été, de deux semaines il en passoit une jeûnant au pain & à l'eau, & l'autre il ajoûtoit quelque chose de cuit le Jeudi. Mais ces austerités n'empêchoient pas qu'il ne montrât un visage serein & une gaïeté continuelle. Il eut beaucoup à souffrir dans la Sitrie de la part de quelques faux freres, & il ne fut pas à l'abri de la calomnie, quoiqu'il menât une vie toute angelique. Aïant voulu corriger un de fes Religieux de fes impuretés, non seulement par des reprimendes, mais encore par de rudes disciplines, celui-ci l'accufa d'un crime de même genre. La calomnie trouva créance, & les Difciples du saint Homme le mirent en penitence, & lui défendirent de celebrer les faints Mysteres. Il s'y soûmit, & fut environ fix mois sans s'approcher de l'Autel. Enfin Dieu lui commanda de quitter cette fimplicité indifcrete, & de celebrer la Messe. Ille fit le lendemain; & pendant la Messe il fut long-tems ravi en extase, & reçut ordre de donner une exposition des Pseaumes, que I'on garde encore à Camaldoli écrite de sa main. Il demeura fept ans dans la Sitrie; & quand il y vit un si grand nom bre |