CAMALDU promesse, laquelle il differoit toûjours d'accomplir jusqu'à ORDRE DES ce qu'enfin aïant eu une seconde vision semblable à la pre- LES miere, felon qu'il l'avoit desiré, il ne put plus resister à la grace, & commença à se rendre assidu à la priere, passant les nuits aux pieds des Autels, où il demandoit à Dieu par les torrens de larmes qu'il versoit, plûtôt que par ses paroles, qu'il disposât de lui selon sa sainte volonté. Enfin un jour qu'il le faisoit avec plus d'ardeur & avec tant de larmes, qu'il ne pouvoit les retenir, son cœur fut rempli d'un si grand amour de Dieu, que méprisant toute autre chose que lui, & refolu de se consacrer à son service, il se prosterna aux pieds des Religieux de cette Abbaïe, en leur demandant avec autant d'empressement que d'humilité l'habit de Religion. Ses larmes n'étoient que trop suffisantes pour attendrir ces mêmes Religieux, & pour les exciter à lui donner ce qu'il demandoit avec tant d'instance;mais la crainte qu'ils avoient de son pere, qui étoit autant violent qu'il avoit d'authorité, les empêcha de lui accorder sa demande, jusqu'à ce qu'enfin Romuald aïant imploré le secours de l'Archevêque de Ravenne, qui avoit été autrefois Abbé de cette Abbaïe, il fut enfin reçu à la recommandation de ce Prélat, dont l'authorité mettoit les Religieux à couvert de ce qu'ils auroient pu craindre de Serge. A peine Romuald fut revêtu de ce saint habit, qu'il commença à paroître tout autre, & à fervir de modele de perfe ction aux plus anciens Religieux, dont plusieurs étant fort relâchés dans les Observances Regulieres, & ne pouvant fouffrir qu'il se diftinguât si fort au dessus d'eux par ses pratiques de piete, & encore moins les reproches qu'il leur faisoit de leur deréglement, résolurent de s'en défaire à quelque prix que ce fût, & machinerent sa mort. Romuald en étant averti par un des complices auquel Dieu donna un remors de confcience, prit ses mesures pour éviter l'effet de leur mauvais dessein; & aïant appris dans le même tems qu'il y avoit proche Venise un saint Solitaire nommé Marin qui vivoit avec beaucoup d'édification & de sainteté, il crut ne pouvoir mieux faire (tant pour contenter fon zele pour la perfection, que pour fuir un lieu, où sa vie n'étoit pas en fureté) que d'aller le trouver pour vivre sous sa conduite. Il en demanda donc la permission à son Abbé & aux Reli LES. ORDREDES gieux, qui la lui accorderent d'autant plus volontiers que fa CAMALDU- vie penitente & auftere étoit un reproche continuel de leurs dereglemens. 11 partis donc fort content, & fut se jetter aux pieds de Marin, qui le reçut fort volontiers. Ce Solitaire étoit doüé principalement d'une grande simplicité d'esprit & pureté de cœur, auffi-bien que d'un grand amour pour le bien mais comme il n'avoit jamais eu aucun Maître dans la vie spirituelle, il avoit peu de manieres pour l'enseigner aux autres, en forte que quelquefois après que saint Romnald eûr établi fon Ordre, il racontoit à ses Disciples par maniere de divertissement fes manieres rudes & peu polies. Entr'autres pratiques de devotion & de pieté que pratiquoit Marin, il chantoit tous les jours le Pseautier : & pour cet effet, il avoit coûtume de sortir souvent avec son Disciple, & en se promenant dans sa solitude, il chantoit une partie de ces Preaumes, quelquefois il se reposoit sous un arbre, & y chantoit cent Pseaumes; ensuite il alloit à un autre, où il en chantoit un pareil nombre ou environ: ce qu'il continuoit jusqu'à ce que tout fût fini; & pour lers il se mettoit vis-à-vis Romuald, qui ne sçachant pas encore tout le Pseautier par cœur, à chaque mot qu'il y manquoit, Marin lui donnoit un coup de baguette fur l'oreille gauche, pour l'accoûtumer à la mortification & à la penitence. Le Disciple fouffroit ce châtiment avec beaucoup d'humilité; mais s'appercevant qu'il perdoit l'ouïe de ce côté-là, il pria fon Maître de le frapper à l'oreille droite. Marin faisant reflexion sur la vertu de son Disciple, & confiderant avec quelle douceur & quelle patience il avoit souffertla rigueur de son austerité, il commença à le respecter. Pierre Urfeole Duc de Venise, étoit monté à cette Dignité par le crime. Vital Candidien son prédecesseur, étant devenu fuspect aux Venitiens, ils conspirerent contre lui, &. xesolurent de le tuer: mais comme il se tenoit sur ses gardes, ils s'aviserent de brûler la maison de Pierre Urseole, contiguë au Palais de saint Mare, après avoir obtenu pour cela fon confentement, en lui promettant de le faire Ducice qui fut executé. Viral Candidien étant forti du Palais avec sa famille pour éviter les flammes, fut tué par les Conjurés, & Pierre Urseole mis à sa place. Mais aïant satisfait son ambiion, il fut tourmenté par les remords de sa confcience,& fe repentit CAMALDU repentit de son crime. Pour l'expier,il demanda conseil à ORDREDES Guarin, Abbé de faint Michel de Cusan en Catalogne, qui se trouvoit à Venise, où il avoit paffé, allant en plufieurs lieux de devotion. Ce faint Abbé lui conseilla de renoncer à sa Dignité mal-acquife. Marin & Romuald qu'ils confulterent, furent outre cela d'avis qu'il devoit embrasser la vie Monaftique. Urfeole se deroba donc fecrettement à sa femme & à sa Famille, & avec un de ses amis nommé fean Gradenic, il alla joindre l'Abbé Guarin, qui étoit resté avec ces deux saints Ermites. S'étant embarqués tous cinq, ils arriverent en Catalogne au Monastere de S. Michel de Cusan. Pierre Urfeole & Jean Gradenic se rendirent Religieux dans ce Monastere, auprès duquel Marin & Romuald se retirerent dans un Ermitage, où ils continuerent à mener une vie très austere, & au bout d'un an les deux autres se joignirent à eux. Romuald se diftingua tellement par fon zele, qu'il devint bien-tôt leur Maître, & Marin lui-même se sosumit à sa conduite. Pendant un an Romuald ne prit par jour qu'une poignée de pois chiches cuits, & pendant trois ans, lui & Gradenic vécurent du bled qu'ils recuëilloient par leur travail. Outre deux Carêmes que Romuald & fes Difciples observoient très severement, ils jeûnoient deux ou trois fois la semaine pendant le reste de l'année; il permettoit seulement de manger des herbes; mais il leur défendoit de passer un jour entier sans manger, quoiqu'il le fît souvent luimême. Pendant que faint Romuald demeuroit en ce lieu, le Comte Oliban, à qui le Monastere de Cusan avoit appartenu, le vint trouver, & lui raconta toute fa vie, comme en Confeffion, afin qu'aide de ses conseils, il pût prendre les moïens de se sauver : ce qui, selon l'avis du Saint, ne se pouvant faire qu'en embrassant la vie Monaftique, il renonça à toutes chofes ; & fous prétexte de pelerinage, il alla au MontCassin, où il se fit Religieux. Il eut pour Compagnons de fon voïage l'Abbé Guarin, Jean Gradenic & Marin. Romuald devoit être aussi de ce voïage: mais aïant appris que Serge fon pere, qui s'étoit fait Religieux dans le Monaftere de faint Severe proche Ravenre, s'en repentoit, & vouloit retourner dans le monde, il resolut d'aller à fon fecours. Les Catalans apprenant que Romuald fongeoit à quitter leur païs, Tome V. Hh ORDREDES en furent extrémement affligés; & par une conduite assez CAMALDU bizarre, ils refolurent de tuer'le Saint, afin d'avoir au moins LES. ses Reliques après sa mort, puisqu'ils ne pouvoient le retenir vivant. Mais Romuald en étant averti, se rasa entierement la tête ; & comme les Meurtriers approchoient de sa cellule, il se mit à manger dés le grand matin avec tant d'avidité, que croïant qu'il avoit perdu l'esprit, ils se retirerent en le méprisant. Le Saint s'étant sauvé par ce moïen, partit pour l'Italie, nuds pieds, & n'aïant qu'un bâton à la main. Etant arrivé au Monastere de faint Severe, il trouva fon pere qui étoit toûjours dans la resolution d'en fortir, & de retourner au fiécle. Ne pouvant rien gagner d'abord sur son esprit, il entreprit sa converfion avec tant de zele, qu'il lui mit les fers aux pieds, & l'enferma dans une prison, où il le retint plusieurs jours; & à force de jeûnes, d'oraisons & de pressantes exhortations, il lui fit enfin concevoir une grande douleur & une veritable contrition de ce qui s'étoit paffé, & Serge mourut faintement dans ce Monaftere,après y avoir vêcu avec beaucoup d'édification. Les Historiens de 'Ordre des Camaldules le mettent au nombre des Saints de leur Ordre: mais cet Ordre n'étoit pas encore commencé quand il mourut, & il ne demeuroit pas dans un Ermitage; mais dans le Monastere de saint Severe, qui étoit situé entre celui de Classe & la ville de Ravenne. Saint Romuald aïant fait changer de resolution à fon pere & affermi sa vocation, demeura quelque tems au Monastere de Classe: mais l'amour de la folitude fit qu'il se retira proche un marais voisin, dans un lieu appellé le Pont de Pierre, où il bâtit une petite cellule. Il alla ensuite dans un autre lieu appellé Bagno, où il bâtit le Monastere de faint Michel. Un Seigneur lui aïant envoïé sept livres d'argent pour les neceffités de fon Monaftere, il en envoïa soixante sous à celui de Palatiole, qui avoit été brûlé il n'y avoit pas long-tems. Ce qui aïant irrité les Religieux de faint Michel de Bagno, qui d'ailleurs ne pouvoient s'accoûtumer à ses austerités, ils le frapperent, & l'obligerent à se retirer. Il alla sur une haute montagne dans le Duché d'Urbin, d'où il passa après à Pereo, petite ifle éloignée de douze milles de Ravenne, où il demeura jusqu'à ce que l'Empe CAMALDU reur Othon III. voulant réformer l'Abbaïe de Classe, l'o- ORDRE DES bligea de prendre le Gouvernement de ce Monaftere, après LES. qu'il en eut été élu Abbé par les Religieux. Il s'appliqua à y rétablir l'Observance exacte de la Regle, fans donner aucune dispense en faveur de la Noblesse, ni de la science comme on avoit fait jusques-là. Cette severité fit bien-tôt repentir les Religieux de l'avoir élu, & excita leurs murmures;ils murmurerent fortement contre le Saint, qui voïant qu'il ne pouvoit les convertir, vint trouver l'Archevêque de Ravenne & l'Empereur devant Tivoli, qui étoit afliegé par ce Prince, en presence duquel il jetta le Bâton Paftoral, & renonça à l'Abbaïe: il sembloit que la Providence l'eût envoïé pour sauver les habitans de cette ville, en leur perfuadant de fe rendre à l'Empereur, afin d'éviter le châtiment que meritoit le crime qu'ils avoient commis, en faisant tuer leur Duc : ce qui leur réüffit heureusement, puisque ce Prince se contenta qu'ils fissent abbattre une partie de leurs murailles, lui donnassent des ôtages, & livrassent les meurtriers du Duc à ía mere. Pendant que ce Saint demeuroit à Pereo, l'Empereur,à fa follicitation, y bâtit un Monastere en l'honneur de saint Adalbert. Boleflas, Roi de Pologne,aïant envoïé aussi dans le même tems des Ambassadeurs à l'Empereur, pour lui demander des Missionnaires, qui inftruisissent ses Sujets des Mysteres du Christianisme, ce Prince s'adressa à saint Romuald pour lui fournir des hommes Apoftoliques. Le Saint qui ne crut pas devoir refuser une demande si juste & fi avantageuse pour l'avancement du Roïaume de Dieu,aïant proposé cette œuvre de charité à ses Disciples, il s'en trouva deux qui s'y offrirent, dont l'un s'appelloit fean, & l'autre Benoît, qui n'eurent pas le bonheur de mettre en execution leurs bons desseins, aïant été tués par des voleurs en ce païs-là. Saint Boniface, l'un des Disciples de ce faint Fondateur, & qui demeuroit encore à Pereo, fut aufli envoïé pour convertir les Russes à la Foi Catholique. Mais pendant que les Disciples de notre Saint s'em-! ploïoient à la converfion des Infideles, il bâtissoit des Monasteres en Italie, il en fonda deux en Istrie, l'un à Bifolco Pautre à Parenzo; il demeura quelque tems dans ce dernier où il reçut un si grand don de larmes, qu'il n'ofoit celebrer |