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années. On a donc sujet de s'étonner davantage, de ce que a quelques Ecrivains de cet Ordre ne l'ont pas même mis au nombre des Abbés de Cluni, & que personne n'a écrit la vie de ce faint Fondateur, qui a eu le même sort que faint Robert, faint Alberic & faint Etienne premiers Abbés de Citeaux, dont la gloire & les merites ont été obscurcis par « faint Bernard; tous les Religieux de Cîteaux en aïant pris « le nom.

C'est donc en suivant cet illustre Ecrivain de l'Ordre de S.Benoît que nous reconnoissons leBienheureux Bernon pour Fondateur de l'Ordre de Cluni. Il sortoit des Comtes de Bourgogne, & peut-être avoit-il eu pour pere le Comte Atdon qui garda pendant quelques années dans l'une de ses terres le corps de saint Maur pour le mettre à couvert de la fureur des Normans. L'Anonime qui a écrit la vie de faint Hugues Religieux de ce Monastere, dit que Bernon reçut les premieres teintures de la vie Monastique dans le Monastere de faint Martin d'Autun, & il ajoûte que ce fut de ce Monastere qu'il sortit, pour aller reformer celui de Beaume. Il est vrai, dit aussi le Pere Mabillon, que Rodolphe ou Raoul Roi de la Bourgogne Trans-jurane, donna le gouvernement de l'Abbaïe de Beaume à Bernon : mais c'étoit dans le tems qu'il bâtissoit le Monastere de Gigni ; & il est vrai-semblable qu'il ne prit point l'habit Monaftique autre part qu'à Gigni, la coûtume étant en ce tems-là, que les Princes qui vouloient renoncer au monde, faifoient bâtir des Monasteres, où ils fe retiroient pour y faire profession de la vie Monastique.

On ne sçait point le tems que Bernon jetta les fondemens du Monastere de Gigni en Bourgogne, situé entre Lionsle-Saunier & faint Amour au Diocêse de Lion. Mais il est certain qu'il étoit déja bâti l'an 895. que le Pape Formose accorda à Bernon, qui en étoit déja Abbé, un privilege par lequel il mit ce Monaftere, les Prieurés & les biens qui en dépendoient, notamment le Prieuré de Beaume, sous la puissance & le pouvoir du saint Siége, auquel Bernon l'a voit soûmis : ce même Pontife accorda aussi aux Religieux de ce Monastere la permission d'élire un Abbé, conformé ment à la Regle de saint Benoît. Il paroît par les Lettres qui en furent expediées, que Bernon & Laifin son cousin, avoient

Tome V.

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ORDRE DECLI

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ORDRE DE fait bâtir ce Monaftere à leurs dépens dans le Territoire de Lion, & que l'Eglise avoit été dédiée en l'honneur de l'Apôtre faint Pierre.

CLUNI.

Rodolphe ou Raoul étoit Roi de la Bourgogne Transjurane, Bernon l'alla trouver l'an 904. pour le prier de vouloir faire quelque bien à fon Monastere de Gigni, dont les revenus étoient fort modiques. Ce Prince lui accorda le Prieuré de Beaume que Bernon & ses Religieux avoient fait rebâtir: il lui donna aussi celui de saint Lanten, & les villages de Cavanac & de Clamenci: ce qui fait connoître, dit le Pere Mabillon, que le Bienheureux Bernon n'a point été tiré du Monastere de saint Martin d'Autun, pour aller à Beaume reformer ce Monastere: mais qu'étant à Gigni, il avoit reparé Beaume qu'on croit avoir été bâti par saint Colomban. Cette concession faite par Raoul à Bernon du Prieuré de Beaume, est plutôt une Confirmation, que la premiere donation, puisque dès l'an 895. le Pape Formose lui avoit déja accordé ce Monastere.

Ce fut dans le Monastere de Gigni, que faint Odon Chanoine de faint Martin de Tours, qui fut dans la suite le Propagateur de la vie Monastique en France, se retira l'an 909. pour y vivre sous la conduite de Bernon, qui l'année suivante fut fait Abbé de Cluni, lorsque Guillaume le pieux Duc d'Aquitaine eut jetté les fondemens de cette Abbaïe qui a donné son nom à l'Ordre de Cluni. Il y avoit déja une Eglife en ce lieu, & même double, l'une dediée à la sainte Vierge, l'autre à saint Pierre, où quelques Prêtres celebroient les divins Offices. Cluni situé dans le Territoire de Mâcon, sur la riviere de Grosne, appartenoit pour lors à Ave, fœur du Duc d'Aquitaine qui en fit un échange avec elle, afin d'y bâtir un Monaftere où les Religieux vềcussent sous la Regle de saint Benoît, ce qu'il fit l'an 910. Il en commit le soin au Bienheureux Bernon, & foûmit ce Monastere au saint Siége, auquel il obligeales Religieux de donner tous les ans dix sols d'or pour l'entretien du luminaire des saints Apôtres, comme il paroît par l'Acte de la donation qu'en fit ce Prince, ou par son teftament, comme on appelloit en ce tems-là ces fortes d'Actes. Bernon, suivant l'exemple de faint Benoît, ne mit d'abord que douze Religieux dans ce Monastere qu'il amena avec lui de Gigni &

CLUNI.

de Beaume. Tels furent les commencemens de l'Ordre de ORDRE DE Cluni qui est devenu si celebre dans la suite, & qui s'est si fort étendu, que dans le douziéme siécle il y avoit près de deux mille Monafteres de cet Ordre, répandus en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Efpagne & même jusque dans l'Orient. Loüis IV. dit d'Outre-mer, Roi de France, confirma la fondation de Cluni l'an 939. & le Pape Agapet II. l'an 946. déclara cette Abbaïe & tous les Monafteres de sa dépendance, exemts de toute forte de jurifdiction des Ordinaires, & voulut que cet Ordre fût immediatement soûmis au faint Siége.

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Bernon cependant gouvernoit ses Monafteres avec tant de sagesse & de conduite, & y faisoit observer une si exacte difcipline, qu'Abbon Seigneur de Deols en Berri, aïant fait batir l'an 917. dans sa Terre un Monastere en l'honneur de la fainte Vierge & des Apôtres saint Pierre & faint Paul, en donna aussi le foin à ce faint Abbé, ordonnant qu'après sa mort, les Religieux auroient la liberté d'en élire un autre, tel qu'ils voudroient, pourvû qu'il fût de l'Ordre de saint Benoît: ce qui fait croireau Pere Mabillon que ce Monaftere que l'on a depuis appellé le Bourg-Dien, ne fut pas foumis ni uni à Cluni ; mais que Bernon en avoit seulement le gouvernement, puisque les Religieux eurent la permiffion d'élire après sa mort tel Abbé qu'ils voudroient. L'an 921. Le Prieuré de Souvigni entre Moulins & Bourbon-l'Archembaut, futaussi confié aux soins du Bienheureux Bernon, qui après avoir gouverné le Monastere de Cluni pendant près de dix-sept ans, mourut au commencement de l'année 927. & y fut enterré. Quelques mois avant sa mort, fuivant encore l'exemple de saint Benoît, & de plusieurs Fondateurs de Monasteres qui avoient nommé leurs successeurs, il donna le gouvernement des Monafteres qui lui étoient foûmis à faint Odon & à Widon qui étoit son parent. Celui-ci eut en partage Gigni, Beaume, saint Lauten, & un autre dont on n'a plus de connoiffance; & faint Odon eut Cluni, Maffai, & le Bourg-Dieu: ce qui fait conjecturer que Bernon n'avoit pas eu intention d'unir ses Monafteres en corps deReligion, puisque s'il eut eu cette intention, il n'en auroit pas donné l'administration à deux Abbés differents.

Odon aïant pris le gouvernement de l'Abbaïe de Cluni,

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CLUNI.

ORDRE DE perfectionna ce que fon predecesseur avoit commencé. If fit achever l'Eglife, dont la Dedicace se fit avec beaucoup d'appareil & de magnificence, en prefence d'un grand nombre de Prélats qui y furent invités. Après avoir mis ordre à tout ce qui regardoit les édifices materiels du Monaftere, il travailla avec soin à l'édifice spirituel. Il établit dans ce Monaftere une fi belle discipline, que plusieurs Monafteres en France, tant anciens, que de nouvelle fondation, s'y soûmirent. L'Observance étoit si fort déchuë, fur tout dans les anciens Monafteres, tant en France, qu'en Angleterre, & en Espagne, que non seulement la regle de saint Benoît n'y étoit point observée; mais même que l'on en ignoroit le nom : ce qui a fait croire à quelques Ecrivains contemporains de faint Odon, qu'il avoit été le premier qui avoit promulgué cette Regle: entre les autres l'anonime de Monstier-en-der qui a écrit les miracles de saint Burchaire Abbé de ce Monaftere, dit que du tems de faint Odon, la regle de faint Benoît étoit inconnuë en France, & que l'on suivoit dans les Monasteres les observances qui étoient en pratique dans celui de Luxeuil. Mais ces gens là, dit le Pere Mabillon, ignoroient-ils les ordonnances des anciens Conciles & des Capitulaires, qui dès le septiéme siècle avoient proposé la regle de saint Benoit pour modele aux Moines? & ne se resouvenoient-ils plus de ce que faint Benoît d'Aniane avoit fait dans le Concile d'Aix-la-Chapelle l'an 817. pour faire observer cette regle dans tous les Monasteres ? Si quelqu'un a merité le nom de premier Reformateur de l'Ordre de saint Benoir, continuë le sçavant Annaliste de cet Ordre, c'est sans doute saint Benoît d'Aniane qui a été General de presque tous les Monasteres de France, dont il avoit formé comme un corps de Congregation Monaftique. Ce faint Abbé étant mort, & personne n'aïant herité de son zele pour le maintien de la discipline reguliere, l'Ordre de faint Benoît retourna dans le même cahos & dans la même confufion, où il étoit auparavant, tant à cause des guerres qui survinrent entre les enfans de Loüis le Debonnaire, qu'à cause des frequentes incursions des Normans, qui aiant causé la ruine de la plupart des Monasteres, y apporterent le relâchement & abolirent même jusqu'au souvenir de la regle de saint Benoît. La gloire d'être le soutien & le restau

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