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GATIONS DE

FRANCE, ET

CONGRE- Maur a donnée au public l'an 1702. où il prouve par des ar gumens très forts (dont M. Baillet n'a pas neanmoins été DE MAR Convaincu ) que S. Maur Fondateur de l'Abbaïe de Glan MOUTIER feüil en Anjou, eft le Difciple de faint Benoît,& qu'il fut envoïé en France par ce faint Patriarche des Moines d'Occident.

C'eft donc ce Disciple de faint Benoît que nous reconnoiffons pour le Fondateur de l'Abbaïe de Glanfeüil. Il étoit parti du Mont-Caffin avec trois Religieux que faint Benoît lui avoit donnés,& il avoit été accompagné par Flodegard Archidiacre de faint Innocent, Evêque du Mans,& par Harderad fon Intendant, qui avoient été les demander à ce faint Patriarche de la part de ce Prélat qui vouloit les établir dans fon Diocéfe. Mais étant arrivés à Orleans, & y aïant appris la mort de faint Innocent,& que celui qui avoit ufurpé fon Siége n'étoit pas difpofé à les recevoir, ils allerent en Anjou fur les affurances que leur donna Harderad qu'ils pourroient s'y établir par le crédit d'un Seigneur nommé Flore, qui étoit en faveur auprès de Theodebert Roi d'Auftrafie, à quicette Province obéïffoit en partie. En effet Flore eut tant de veneration pour faint Maur, que non content d'avoir fondé pour lui un Monaftere à Glanfeüil fur la riviere de Loire dans le Diocéfe d'Angers, il lui offrit encore fon fils Bertulfe âgé de huit ans,pour être élevé fous fa difcipline; & n'étant pas encore fatisfait d'avoir fait bâtir ce Monaftere & d'y avoir donné fon fils, il s'y donna luimême, après avoir demandé permission au Roi de se retirer de la Cour ce qu'il obtint de ce Prince,qui s'y étant trouvé le jour qu'il devoit prendre l'habit pour honorer la cerémonie de fa préfence, lui coupa lui-même les cheveux, donna au Monaftere une terre confiderable, & confirma les donations que Flore y avoit faites.

Huit ans après l'arrivée de faint Maur en France, l' Abbaïe de Glanfeüil fut dédiée par Eutrope Evêque Diocéfain accompagné de plufieurs autres Evêques de la Provin ce. On y avoit bâti quatre Eglifes dont la premiere fut confacrée en l'honneur de faint Pierre,la feconde en l'honneur de faint Martin, la troifiéme qui étoit la plus petite, porta nom de faint Severin, Apôtre des Bavarois,& la quatriéme qui étoit en forme de tour quarrée, à l'entrée du Mona

le

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DE MAR-
MOUTIER.

ftere eut pour titre faint Michel Archange. Les Religieux CONGRE qui y étoient pour lors, au nombre de quarante, fe multiplie- FRANCE ET rent beaucoup dans la fuite, de forte que vingt-fix ans après la conftruction de ce Monaftere, il y en avoit cent quarante; lequel nombre fut fixé par faint Maur, parce que le revenu de l'Abbaïe n'en pouvoit pas nourrir davantage. Saint Maur aïant gouverné ce Monaftere pendant plufieurs années, & fentant fes forces diminuer,refolut de ne plus fortir du Monaftere,& de fe repofer pour le gouvernement de fa Communauté,fur le Prieur,& fur les autres Officiers de fa Maifon. Il fe démit enfuite de laCharge d'Abbé,& aïant fait élire en fa place Bertulfe, fils de Flore Fondateur de ce Monastere, il se renferma dans une cellule proche l'Eglife de faint Martin, avec deux Religieux qui voulurent bien demeurer avec lui, & le foulager dans fa vieilleffe. Ce fut dans ce lieu qu'il eut une révelation que Dieu devoit bien-tôt retirer du monde la plupart de fes Difciples. En effet il en mourut, en cinq mois, cent feize; enforte que la Communauté fut réduite à vingt-quatre perfonnes. Ce faint Abbé ne furvêquit pas long-tems à cette perte, étant mort le

Janvier 584.

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que pen

Ce que Bucelin & quelques autres Auteurs ont avancé que faint Maur avoit bâti jufqu'à cent foixante Monasteres en France, & reformé encore un plus grand nombre, eft fans aucun fondement : il n'y a pas non plus d'apparence que le Monaftere de Glanfeüil ait été le Chef d'une Congregation,à laquelle plufieurs Ecrivains ont donné le nom de Congregation,de France. Il eft bien plus croïable dant que faint Maur vivoit, ce Monaftere dépendoit de celui du Mont.Caffin ; puisqu'il lui a été encore foûmis dans la fuite,jufques en l'an 755. que le Roi Pepin aïant donné ce Monaftere de Glanfeüil avec tout les biens qui en dépendoient à Gaidulfe originaire de Ravene, homme très cruel, il le ruina entierement, & perfécuta cruellement les Religieux qui y étoient au nombre de cent quarante, comme il avoit été fixé par faint Maur. La plupart ne pouvant fupporter les mauvais traitemens de ce tyran qui leur refufoit jufqu'aux chofes neceffaires pour la vie, abandonnerent le Monaftere. Il y en eut feulement quatorze qui y refterent pour chanter l'Office Divin; mais à la fin étant abbatus de

CONGRE faim & de mifere, & ne pouvant obferver la Regle, ils priFRANCI,ET rent l'habit de Chanoines.

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MOUTIER.

DE MAK- Gaidulphe fe fervit de cette occafion pour les chaffer du Monaftere, & mit en leur place cinq Chapelains. Il ruina entierement les lieux Reguliers, commençant par l'Eglife qu'il renverfa de fond en comble, afin que les Religieux n'y puffent pas revenir. Il brûla ou jetta dans la riviere de Loire les titres & les actes des donations qui avoient été faites à cette Abbaïe, à la réserve de quelques-uns qu'il mit en dépôt dans faint Aubin d'Angers, où ils furent auffi perdus pendant les ravages des Normans. Mais il ne jouit pas long-tems du fruit de fes crimes ; car aïant appellé fes amis pour fe réjouir avec lui de l'extinction de l'Ordre Monaftique dans Glanfeüil, il mourut au milieu du festin. Après fa mort tous les biens de cette Abbaïe furent en proïe à tous les Seigneurs de la Province: le Comte d'Anjou, & plufieurs autres perfonnes, s'emparerent des terres & des revenus de l'Abbaïe, qui demeura déferte & inhabitée jus

que fous le regne de l'Empereur Louis le Debonnaire ;

quoique dès l'an 781. elle eût été reftituée au Mont.Caffin comme étant de fa dépendance, par le Pape Adrien I. & par l'Empereur Charlemagne, comme nous avons dit dans le Chapitre quatrième.

L'Empereur avoit donné cette Abbaïe au Comte Rorignon, qui touché de compaffion de l'état pitoïable où elle étoit reduite, en fit relever les bâtimens, fit venir des Religieux de Marmoutier, pour rétablir les Obfervances Regulieres dans ce Monaftere, qu'il foûmit quelques années après à celui de faint Pierre-des Foffez, appellé depuis faint Maur, & en obtint la confirmation de l'Empereur. Mais Pepin I. Roi d'Aquitaine, aïant donné ce Monaftere de Glanfeüil à Ebroïn, qui fut enfuite Evêque de Poitiers,du vivant même du Comte Rorignon, qui étoit proche parent de ce Prelat, il y laiffa les Moines de faint Pierre des Foffez tant que le Comte vêcut ; mais après la mort,leur aïant demandé par quel titre Glanfeüil leur avoit été foûmis, & n'aïant pu reprefenter les Lettres de l'Empereur Loüis le Debonnaire, qui avoient été enlevées ou brûlées malicieufement, Ebroin les fit fortir de ce Monaftere. Ils y rentrerent neanmoins quelque tems après, & il leur étoit encore

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MOUTIER.

foûmis, lorfque l'an 868. l'on porta chez eux le Corps de CONGRE faint Maur, que l'on avoit retiré de Glanfeüil, pour le fau- GATIONS DE ver de la rage des Normans: ce qui lui a fait donner dans DE MARla fuite le nom de ce Saint. Mais fous le Pontificat d'Urbain II. les Moines du Mont-Caffin aïant encore reclamé Glanfeüil, il leur fut reftitué, & ils l'ont poffedé pendant près de deux fiécles. A la verité fi Glanfeüil n'a pas été Chef d'une Congregation, étant le premier Monaftere de l'Ordre de faint Benoît en France, il doit être regardé comme une fource feconde qui en a produit une infinité d'autres, par rapport à la Regle de faint Benoît qu'il leur a communiquée, dont faint Maur avoit reçu l'Autographe, écrit de la main de ce faint Fondateur, en partant duMont-Caffin,avec un poids, & un vafe pour mieux obferver ce qu'elle prefcrit de la quantité du pain & du vin dans le repas.

Le Monastere de Marmoutier, qui fut l'un de ceux qui reçurent cette Regle, doit être regardé comme le Chef de la plus ancienne Congregation de l'Ordre de faint Benoît en France, aïant eu plus de deux cens Prieurés de fa dépendance. Cette celebre Abbaïe eut pour Fondateur le Grand faint Martin Archevêque de Tours. Il exerça d'abord la profeffion Religieuse à Milan, d'où aïant été chassé par les Ariens, il paffa dans l'ifle d'Albengue, qui eft proche la côte de Gennes, où il mena pendant quelque tems une vie folitaire. Il quitta enfuite cette retraite, fur l'avis qu'il eut que faint Hilaire qui avoit été banni par les Heretiques, retournoit en fon Diocéfe, & l'aïant fuivi en France, il bâtit le Monaftere de Ligugé proche Poitiers, où après avoir demeuré environ quinze ans, il en fut tiré pour remplir le Siége de Tours. Etant devenu Evêque, il ne ceffa pas pour cela de vivre en Religieux; & pour pratiquer toûjours exactement les exercices Monaftiques, il fonda un Monaftere proche fa ville Epifcopale, dont la Communauté fut en peu de tems de quatre-vingt Religieux, qui menoient avec lui une vie auftere & penitente. Perfonne n'avoit rien en propre, tout étoit en commun, il n'étoit pas permis de rien vendre, ni de rien acheter, quoique ce fût la coûtume des Moines de ce tems-là. L'unique art que l'on y exerçoit étoit de transcrire des Livres ; encore n'y avoit-t-il les jeunes qui y fuffent emploïés ; & les anciens ne s'occu

que

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MOUTIER.

CONGRE- poient que de la priere. Il étoit rare que l'on fortît de fa GATIONS DE cellule, à moins que ce ne fût pour fe rendre au lieu de la DE MAR priere. Ils ne faifoient qu'un repas par jour ; l'usage du vin n'étoit permis qu'aux malades, quoique le lieu où le Monaftere étoit fitué fut un grand vignoble. La plupart n'étrient habillés que d'étoffes de poil de chameau ; & c'étoit un crime parmi eux d'avoir un habit qui reffentît un peu la molleffe, quoiqu'il y eût dans cette Communauté un grand nombre de perfonnes de qualité. Telle étoit la Difcipline qui s'obfervoit dans ce Monaftere,qui fut appellé Marmoutier, après la mort de faint Martin, comme qui diroit, le grand Monaftere, pour le diftinguer des autres que ce Saint avoit fait bâtir, principalement lorfque l'on en eut élevé un fur fon tombeau, qui à porté fon nom depuis, & qui est prefentement un Chapitre de Chanoines Seculiers.

Lorfque ce Monaftere de Marmoutier eut dans la fuite reçu la Regle de faint Benoît, plufieurs Seigneurs l'enrichirent par les donations qu'ils y firent, tant à caufe de la grande devotion que l'on portoit en France à faint Martin fon Fondateur, qu'à caufe de faint Benoît, pour lequel on n'avoit pas moins de veneration, & dont la Regle étoit pratiquée avec beaucoup d'exactitude dans ce Monaftere. Les Rois de France le prirent même fous leur protection. Mais peu de tems après les Normans en interrompirent la Regularité: car y étant venus l'an 853. ils pafferent au fil de l'épée cent feize Religieux, n'y en aïant eu que vingt-quatre qui fauverent leur vie, en fe cachant dans des cavernes. Leur Abbé Heberne s'étoit auffi retiré dans un lieu fecret+ mais ces Barbares l'y aïant découvert, & s'étant faifis de lui, ils lui firent fouffrir de cruels tourmens, pour l'obliger à declarer l'endroit où étoit le Tréfor de l'Eglife, & les grottes où s'étoient réfugiés les Religieux ; mais ce fut inutilement, il ne voulut rien avoüer. Les ennemis s'étant retirés,les Chanoines de faint Martin & les Bourgeois de Tours allerent confoler ces Religieux, qu'ils reconduifirent avec leur Abbé dans leur Eglife, & aufquels ils procurerent toutes fortes de fecours. Six mois après, comme on eut avis que les Normans retournoient vers la ville de Tours, & qu'ils avoient deffein de l'affieger, douze Chanoines de l'Eglife de faint Martin, pour fouftraire fon corps à la fureur de ces

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