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Triennale le 6. Avril 1636. elle fut continuée dans sa Su- BORNARperiorité trois autres années, & fut encore éluë de nouveau P en 1646. & continuée encore pendant trois ans.

Ce fut pendant ce Triennal qu'elle crut qu'il étoit tems de mettre la derniere main à son ouvrage, & d'affermir le bien qu'elle avoit rétabli dans sa Communauté, par des Constitutions qui sissent observer à l'avenir toutes les chofes qu'elle y faifoit pratiquer, & qu'elle pratiquoit elle-même depuis près de trente ans. Ces Constitutions furent approuvées par l'Evêque de Langres l'an 1650. & s'observent encore exactement dans ce Monaftere. Il sembloit que Dieu attendoit qu'elles fussent achevées pour récompenfer les longs & pénibles travaux de sa Servante fidelle & prudente, à laquelle il avoit confié le soin de cette fainte Famille. Dès son premier Triennal elle fut sujette à de grandes infirmités; mais ses maux augmenterent en 1650. & ne lui donnerent aucun relâche jusqu'au 8. Mai de l'an 1651. qu'elle mourut, à l'âge de 60. ans, dont elle en avoit paflé dix dans l'Ordre de saint François, & trente-trois dans celui de Citeaux, avec toute l'estime & la veneration possible.

Ces Religieuses sont habillées comme les autres Bernardines, & ont à peu près les mêmes Observances. Ce que celles de Tart ont de plus, c'est qu'elles ne mangent ni beurre ni laitage pendant l'Avent & le Carême, ne se servant que d'huile pour assaisonner leurs mets. Elles observent une exate pauvreté, & pour la pratiquer davantage, elles ne mangeoient ni buvoient au commencement de leur Réforme que dans du bois: mais l'Evêque de Langres modera cette austerité, leur permettant de manger & boire dans de la faïance. Leurs cuëilleres font de buis, aussi-bien que les fourchettes: elles n'ont pour tous meubles dans leurs cellules qu'une petite couche, fur laquelle il n'y a qu'une paillasse & une couverture, un benitier de terre, un crucifix de bois, quelques images de papier, & elles ne peuvent avoir ni cassettes ni coffres fermant à clef.

Vie de Madame de Courcelles de Pourlan, imprimée à Lyon en 1699. & Memoires communiqués par les Religieuses de ce Monastere.

DINES DE

RELIGIEUX
D'ORVAL.

CHAPITRE XLVI.

Des Religieux Bernardins Réformés d'Orval, avec la
Vie de Dom Bernard de Montgaillard leur Réforma-

L

teur.

E dernier fiéclea produit dans l'Ordre de Cîteaux trois célébres Réformes, qui par leur austerité & leur exacte Obfervance ont eu plus d'admirateurs que d'imitateurs: ce font les réformes d'Orval, de la Trape & de Sept-fonds. La premiere est dûë au zele de Dom Bernard de Montgaillard qui a été si connu en France au tems de la ligue, sous le nom du petit-Feüillant. Il nâquit en 1562. de Bernard de Percin Seigneur de Montgaillard defcendu de l'une des plus illuftres & des plus anciennes Maisons d'Angleterre, où elle a possedé long-tems les premieres Charges ; & fa mere se nommoit Antoinette de Vellay. Dès l'âge de douze ans il eut achevé fon cours d'Humanités & de Mathematiques; & à feize ans, aprés avoir étudié la Theologie, il entra dans la Congrégation des Feüillans, que Dom Jean de la Barriere venoit d'instituer. A peine l'année de son Noviciat fut-elle finie, qu'on le vit prêcher dans les villes de Toulouse, de Rhodes & de Roüen, & ce fut avec tant d'onction & de fuccès, que les pecheurs se convertissoient en foule à ses prédications: ce qui le faisoit regarder comme un prodige. Le Roi Henri III. & la Reine Catherine de Medicis sa mere le firent venir à Paris, & l'aïant entendu prêcher aux Augustins dans l'Assemblée folemnelle des Chevaliers du saint Esprit, leurs Majestés voulurent qu'il prêchât devant elles le Carême suivant à saint Germain l'Auxerrois. Les Sermons qu'il fit dans la suite à saint Severin sur le Symbole des Apôtres opererent un nombre infini de conversions;& le firent passer pour le plus habile Prédicateur de fon fiécle. Ces travaux Apoftoliques joints à la pauvreté & à l'austerité de fa vie engagerent le Pape Gregoire XIII. à lui accorder une dispense pour prendre l'Ordre de Prêtrise à l'âge de dixneuf ans. La Reforme de son Ordre, quoique très rigoureuse, lui paroiffoit encore trop douce. Il n'avoit pour lit que deux ais, pour chemise qu'un cilice;il ne mangeoit ni viande,

ni

,

mi poisson, ni œufs, ni beurre: ses mets ordinaires étoient RELIGIEU des legumes, & il ne prenoit qu'un peu de nourriture après D'ORVAL le foleil couché. Heureux fi dans une vie aussi sainte & aufli penitente il avoit sçu se borner au service de fon Dieu & au falut du prochain, rendre à Cefar ce qui appartient à Cefar, respecter son Roi, & comme sujet lui être fidele & foûmis quand bien même il auroit troublé la paix & le repos de fes fujets. Mais il eut le malheur de se laisser entraîner par le parti de la Ligue avec la plus grande partie des Catholiques, & il poussa avec trop d'ardeur fon zele, autant temeraire & indiferet dans fon exécution qu'il pouvoit être juste & pur dans fon motif, felon l'idée qu'il s'étoitformée des affaires du tems.

Sur la fin des troubles, pendant lesquels il fut attaqué d'une maladie dont il ne guerit que par miracle, il fit un voïage à Rome où il fut trés bien reçu de Clement VIII. ce Pape le fit passer de l'Ordre des Feüillans dans celui de Citeaux, & lui ordonna de se retirer en Flandres. Il alla à Anvers où il ne se fit pas moins admirer par ses prédications, qu'il l'avoit fait en France. A prés avoir fejourné dans cette ville pendant fix ans, il fut appellé à la Cour de l'Archiduc Albert en qualité de Prédicateur ordinaire. On acouroit de toutes parts pour l'entendre, & le Docteur Stapleton venoit souvent de Louvain à Bruxelles dans cette seule vûë. Dom Bernard aïant suivi l'Archiduc en Allemagne, en Italie, & en Espagne, fut pourvû à fon retour de l'Abbaïe de Nivelle, & en 1605. de celle d'Orval. Son désintéressement étoit connu, il avoit refusé en France les Evêchés de Pamiers & d'Angers, & l'Abbaïe de Morimond. Aussi n'accepta-il celles-ci dont le temporel & le fpirituel étoient également ruinés, que pour s'appliquer à les rétablir, & y introduire uneRéforme austere qui approche de celles que nous avons vû introduire de nos jours à la Trape & à Sept- Fonds. Il eut plusieurs difficultés à furmonter pour réüssir dans un si bon dessein. La calomnie lui livra plufieurs assauts: tantôt elle attaquoit sa charité, tantôt sa chasteté. On voulut le rendre coupable dela mort d'un de fes Religieux qui étoit tombé dans une forge, & on alla même jusqu'à l'accufer d'avoir conspiré contre l'Archiduc fon bienfacteur : mais ces impostures qui se détruifirent d'ellesmêmes, ne fervirent qu'à mettre son inte grité dans un plus grand jour. La plus sensible pour lui, fut celle qui le char

Tome V.

PPP

RELIGIEUX gea d'être entré dans un attentat contre la personne d'Henri D'ORVAL. IV. Les Herétiques dont il étoit le fleau le plus redoutable, firent naître & fomenterent ces bruits injurieux. Cayet qui avoit été un de leurs Ministres, & qui malgré fon abjuration n'a jamais paffé pour bon Catholique, osa même inserer un récit de ce complot prétendu dans sa Chronologie Novennaire: & c'est sur ce foible fondement que des Auteurs modernes en ont parlé; mais pour faire voir la fausseté de cette accufation, il ne faut que leur opposer la joïe que marqua Dom Bernard de Montgaillard à la conversion d'Henri IV. l'affront qu'il essuïa pour l'avoir publiée le premier, le témoignage avantageux que M. de la Boderie Ambassadeur de France à Bruxelles rendit à sa Majesté du zele de Dom Bernard pour sa personne, & la résolution que le Roi avoit prise de le rappeller en France, où il feroit effectivement retourné, si sa reconnoiffance pour les bontés de l'Archiduc ne l'en eût empêché, outre qu'on ne peut disconvenir qu'il faut avoir des preuves en main, & non des fables produites par gens suspects pour noircir d'un crime si odieux une vertu aussi reconnuë & aussi épurée que celle de cet Abbé. C'est ainsi que l'un des Continuateurs de Moréri a fait l'Eloge & l'Apologie de Dom Bernard de Montgaillard quenous avons fidellement suivi. Ce saint Abbé épuisé par ses austerités & accablé de longues maladies, mourut à Orval à l'âge de soixante-cinq ans le 8. Juin 1628. aïant eu la confolation d'y voir refleurir la Discipline Monastique au milieu d'une Communauté de cinquante Religieux. Mais avant que de parler des Observances Régulieres, qui font encore en pratique dans cette Abbaïe & qui y attirent l'admiration de toutes les personnes qui y vont, nous rapporterons fon origine.

L'Abbaïe d'Orval, en Latin Aurea Vallis, située dans le Comté de Chini, au milieu des bois, à deux lieuës de Montmidi, & à fix de Sedan, fut fondée l'an 1070. par des Moines Benedictins Calabrois, qui fortirent de leur païs avec la permission de leur Abbé, pour venir prêcher la Foi de Jesus-Christ en Allemagne du tems de l'Empereur Henri IV. Comme ils alloient de Province en Province, étant arrivés au Duché de Luxembourg, ils trouverent à son entrée un vallon si agréable, & qui inspiroit tellement la folitude, qu'ils refolurent d'y bâtir un petit Monastere, pour y RELIGIEU vivre éloignés de la conversation des hommes. Aïant appris D'ORVAL que ce lieu appartenoit au Comte de Chini, ils l'allerent trouver pour le lui demander, ce qu'il leur accorda fort volontiers. Ils bâtirent d'abord une Eglife en l'honneur de la Reine des Anges, & ensuite un Monastere qu'ils nommerent Or-val, à cause de la beauté de la vallée où il étoit situé. Ils y vêcurent dans une Observance si exacte & une si grande pauvreté, n'aïant ordinairement pour toute nourriture que des herbes & des legumes qu'ils avoient plantés ou semés, qu'ils devinrent l'admiration de tout le païs, dont les habitans leur firent de grandes aumônes & charités.

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Godefroi le Bossu, Duc de la basse Lorraine, aïant été tué dans un combat, fa femme Maltide n'eut pas plûtôt essuïé les larmes qu'elle avoit versées pour la perte de ce Prince, qu'elle aimoit tendrement, que son affliction se renouvella par la perte qu'elle fit encore de fon fils unique, qui se noïa dans la riviere de Semoi. Arnoul Comte de Chini, étant venu pour la consoler, il lui parla avec tant d'estime des Religieux nouvellement établis à Orval, que cette Princesse prit la résolution de les aller voir. Après une conference qu'elle eut avec eux fur leur maniere de vivre, elle se retira auprès d'une fontaine qui étoit proche le Monastere pour se reposer. L'eau en étoit fi claire & fi fraîche, qu'elle y lava fes mains, & laissa tomber dedans sans y penser une bague d'or qu'elle avoit au doit, laquelle se perdit au fond. Elle en fut extrêmement affligée, non pour la perte de l'anneau d'or, ni pour les pierreries dont il étoit garni, mais à cause que son mari le lui avoit laissé comme un gage de fon amitié, afin qu'elle se ressouvînt de lui. Aïant fait inutilement toutes les diligences possibles pour le retrouver, elle fit vocu à la fainte Vierge, en l'honneur de laquelle l'Eglise de ces Religieux avoit été dédiée, & lui promit que si par fon moïen fon anneau se pouvoit retrouver, elle feroit de nouveau consacrer ce lieuen fon honneur, en y faisant bâtir un Temple plus digne de la Majesté de Dieu, & un Monastere pour la commodité de ses Serviteurs. A peine cette Princeffe eut-elle prononcé son vœu, que l'anneau parut au dessus de l'eau'; elle le prit, & le recevant comme la récompense de sa promesse, elle alla sur le champ donner part aux

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