CAMALDU. ne vouloir ORDREDES xecution, Serge tua son ennemi & son parent. Romuald, qui avoit été present à ce combat, quoique malgré lui , ne l'aïant fait uniquement que pour obéir à son pere, qui l'avoit menacé plusieurs fois de le desheriter , s'il continuoit à pas s'interesser dans la querelle , fitôt qu'il vit son parent tué, il eut horreur de cette action ; & quoiqu'il n'eût. point cooperé à sa mort, il ne laissa pas d'en être si vivement touché, qu'il en prit sur soi toute la penitence, & se retira pour cet effet au Mont-Caslin , pour expier ce crime dont il étoit innocent ,l'espace de quarante jours, comme c'étoit la coûtume des assasins. Pendant que Romuald étoit dans ce faint lieu , où il ne pensoit qu'à finir sa penitence pour retourner dans la maison de son pere, il fit amitié avec un Frere convers, qui dans les conversations qu'il avoit tous les jours avec lui, faisoit son połble pour l'engager à quitter le monde ; mais c'étoit inu- · tilement : les liens qui l'y tenoient attaché étoient encore trop forts pour être rompus par les discours que ce bon Frere lui faisoit, autant que fa capacité le lui pouvoit permettre : ce changement ne pouvoit venir que de la droite du Très haut. Aufli ce saint Religieux voïant le peu d'effet de ses paroles, eut recours à Dieu, & rempli de confiance en sa bonté & en fa misericorde pour les pecheurs, dont il étoit persuadé qu'il ne veut pas la perte, mais la converfion : il demanda à Romuald ce qu'il lui donneroit si la nuit suivante il lui faisoit voir saint Apollinaire tout resplendissant de lumiere. Celui-ci ne fit point de difficulté de lui promettre que fi le ciel vouloit le favoriser de cette grace , il renonceroit au monde, & se consacreroit entierement à Dieu , & que pour cet effet il consentoit à passer avec lui la nuit suivante en prieses dans l'Eglise du Monastere où ils resteroient tous deux, après que les autres Religieux de la Communauté se seroient retirés. Dieu qui dit dans son Evangile qu'il se trouve au milieu de deux ou de trois assemblés en son nom , & qui avoit resolu de faire de Romuald un vase d'élection exauça la priere de ce bon Religieux, & leur fit apparoître S. Apolfinaire environné des raïons de la gloire dont jouissent les Bienheureux dans le Ciel. Une grace si finguliere commença à ébranler Romuald,auquel ce Šerviteur de Dieu ne donnoic point de relâche, le commant continuellement d’executer la promesse, laquelle il differoit toujours d'accomplir jusqu'à ORDRE DES ce qu'enfin aiant eu une seconde vision semblable à la pre-was CAMALDU Leso miere , selon qu'il l'avoir desiré, il ne pur plus resister à la grace , & commença à se rendre aslidu à la priere, passant les nuits aux pieds des Aurels, où il demandoit à Dieu par les torrens de larmes qu'il versoit , plutôt que par ses paroles, qu'il disposât de lui felon sa sainte volonté. Enfin un jour qu'il le faisoit avec plus d'ardeur & avec tant de larmes qu'il ne pouvoir les retenir , son cæar fur rempli d'un si grand amour de Dieu, que méprisant toute autre chose que lui , & refolu de se consacrer à son service, il se prosterna aux pieds des Religieux de cette Abbaïe,en leur demandant avec autant d'empressement que d'humilité l'habit de Religion. Ses larmes n'étoient que trop suffisantes pour attendrir ces mêmes Religieux, & pour les exciter à lui donner ce qu'il demandoit avec tant d'instance; mais la crainte qu'ils avoient de son pere , qui étoit autant violent qu'il avoit d'authorité, les empêcha de lui accorder fa demande, jusqu'à ce qu'enfin Romuald aïant imploré le secours de l'Archevêque de Ravenne , qui avoit été autrefois Abbé-de cette Abbaïe, il fut enfin reçu à la recommandation de ce Prélat , dont l’authorité mettoit les Religieux à couvert de ce qu'ils auroient pu craindre de Serge. A peine Romuald fut revêtu de ce faint habit,qu'il commença à paroître tout autre, & à servir de modele de perfe à ction aux plus anciens Religieux, dont plusieurs étant fort relâchés dans les Observances Regulieres ; & ne pouvant souffrir qu'il se distinguât si fort au dessus d'eux par tiques de pieté , & encore moins les reproches qu'il leur faisoit de leur deréglement, résolurent de s'en défaire à quelque prix que ce fût , & machinerent sa mort. Romuald en étant averti par un des complices auquel Dieu donna un remors de conscience , prie ses mesures pour éviter l'effet de leur mauvais dessein ; & aïant appris dans le même tems qu'il у avoit proche Venise un saint Solitaire nommé Marin qui vivoit avec beaucoup d'édification & de sainteté , il crut ne pouvoir mieux faire ( tant pour contenter son zele pour la perfection , que pour fuir un lieu , où sa vie n'étoit pas sureté), que d'aller le trouver pour vivre sous sa conduite. Il en demanda donc la permilion à son Abbé & aux Reli ses pra en ORDREDEs gieux,qui la lui accorderent d'autant plus volontiers que fa CASALDU- vie penitente & austere écoit un reproche continuel de leurs deréglemens. Il partit donc fort content, & fut se jetter aux pieds de Marin,qui le reçut fort volontiers.Ce Solitaire étoit doüé principalement d'une grande fimplicité d'esprit & pureté de cæur, aus-bien que d'un grand amour pour le bien j mais comme il n'avoit jamais eu aucun Maître dans la vie spirituelle , il avoit peu de manieres pour l'enseigner aux autres , en forte que quelquefois après que faint Romnald eûs établi son Ordre, il raconcoic à les Disciples par maniere de divertissement fes manieres rudes & peu polies. Entr'autres pratiques de devotion & de piecé que pratiquoir Marin, il chantoit tous les jours le Pseautier : & pour cet effet, il avoit coûtume de sortir souvent avec son Disciple, & en se promenant dans la solitude , il chantoit une & partie de ces Pseaumes , quelquefois il se reposoit sous un arbre, & y chantoit cent Pseaumes ; ensuite il alloit à un autre , où il en chancoit un pareil nombre ou environ : ce qu'il continuoit jusqu'à ce que tout fût fini ; & pour lors il se mettoit vis-à-vis Romuald , qui ne sçachant pas encore tout le Pseautier par cæur , à chaque mot qu'il y manquoits à Marin lui donnoit un coup de baguette sur l'oreille gauche, pour l'accoûtumer à la mortification & à la penitence. Le Disciple souffroit ce châtiment avec beaucoup d'humilité ; mais s'appercevant qu'il perdoit l'ouïe de ce côté-là, il pria son Maître'de le frapper à l’oreille droite. Marin faisant reflexion sur la vertu de son Disciple , & confiderant avec quelle douceur & quelle patience il avoit souffert la rigueur de son austerité, il commença à le respecter. Pierre Urseole Duc de Venise, étoit monté à cette Dignité par le crime. Vital Candidien son prédecesseur, étant devenu suspect aux Venitiens, ils conspirerent contre lui, &, resolurent de le tuer : mais comme il se tenoit sur ses gardes, ils s'aviserenr de brûler la maison de Pierre Urseole, contiguë au Palais de saint Marc , après avoir obtenu pour cela lon consentement, en lui promettant de le faire Duc;ce qui fut executé. Vital Candidien étant forti du Palais avec la famille pour éviter les flammes , fut tué par les Conjurés, & Pierre Urseole mis à la place. Mais aïant satisfait son ambitjon, il fut tourmenté par les remords de sa conscience,& se repentit LES. repentit de son crime. Pour l'expier,il demanda conseil à ORDREDEN Guarin, Abbé de faint Michel de Cusan en Catalogne, qui CAMALDU; se trouvoit à Venise, où il avoit passé , allant en plusieurs lieux de devotion. Ce faint Abbé lui conseilla de renoncer à fa Dignité mal-acquife. Marin & Romuald qu'ils consulterent , furent outre cela d'avis qu'il devoit embrasser la vie Monastique. Urseole se deroba donc secrettement à fà femme & à la Famille , & avec un de ses amis nommé fean Gradenic, il alla joindre l'Abbé Guarin , qui étoit resté avec ces deux faints Érmites. S'étant embarqués tous cinq, ils arriverent en Catalogne au Monastere de S. Michel de Cusan. Pierre Urseole & Jean Gradenic se rendirent Religieux dans ce Monastere , auprès duquel Marin & Romuald se retirerent dans un Ermirage, où ils continuerent à mener une vie très austere,& au bout d'un an les deux autres se joignirent à eux. Romuald se distingua tellement par son zele , qu'il devint bien-tôt leur Maître , & Marin lui-même se soumit à la conduite. Pendant un an Romuald ne prit par jour qu'une poignée de pois chiches cuits, & pendant trois ans , lui & Gradenic vécurent du bled qu'ils recuëilloient par leur travail. Outre deux Carêmes que Romuald & ses Disciples observoient très severement, ils jeûnoient deux ou trois fois la semaine pendant le reste de l'année ; il permettoit seulement de manger des herbes ; mais il leur défendoit de passer un jour entier sans manger , quoiqu'il le fît souvent luimême, Pendant que faint Romuald demeuroit en ce lieu , le Comte Oliban, à qui le Monastere de Cusan avoit appartenu, le vint trouver , & lui raconta toute sa vie, comme en Confession, afin qu'aidé de ses conseils , il pût prendre les moïens de se fauver : ce qui, selon l'avis du Saint, ne le poua Vant faire qu'en embrassant la vie Monastique , il renonça à toutes choses ; & sous prétexte de pelerinage,il alla au MontCassin, où il se fit Religieux. Il eut pour Compagnons de fon voïage, l'Abbé Guarin, Jean Gradenic & Marin. Romuald devoit être ausli de ce vožage: mais aïant appris que pere, qui s'étoit fait Religieux dans le Monastere de faint Severe proche Ravenne, s'en repentoit , & vouloit retourner dans le monde,il resolut d'aller à fon secours. Les Catalans apprenant queRomuald songeoit à quitter leur païs, Tome V. Hh . ر Serge son DIS LES. pour ORDREDrs en furent extrémement affligés ; & par une conduité assez ses Reliques après sa mort, puisqu'ils ne pouvoient le rete- . Le Saint s'étant sauvé par ce moïen, partit Saint Romuald aïanc fait changer de resolution à son pere & affermi sa vocation, demeura quelque tems au Monastere de Classe: mais l'amour de la solitude fit qu'il fe retira proche un marais voisin , dans un lieu appellé le Pont de Pierre, où il bâtir une petite cellule. Il alla ensuite dans un autre lieu appellé Bagno , où il bâtit le Monastere de saint Michel, Un Seigneur lui aïant envoïé sept livres d'argent pour les necessités de son Monastere, il en envoïa soixante lous à celui de Palatiole, qui avoit été brûlé il pas long-tems. Ce qui aïant irrité les Religieux de saint Michel de Bagno, qui d'ailleurs ne pouvoient s'accoûtumer à ses austerités, ils le frapperent, & l'obligerent à se recirer. Il alla sur une haute montagne dans le Duché d'Urbin, d'où il passa après à Pereo, perite isle éloignée de douze milles de Ravenne , où il demeura jusqu'à ce que l'Empe n'y avoit |