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CLUNI.

du Tréfor de l'Eglife, un Cellerier, un Maître des Hôtes, ORDRE DE un Aumônier, & un Infirmier. Ainfi l'exacle difcipline que l'on observoit à Cluni, le grand nombre des Religieux qui y étoient,la pieté & la devotion dont on étoit penetré en entrant dans ce faint Monaftere, le rendirent très celebre. Sa réputation fe répandit de toutes parts. La France, l'Alemagne, l'Angleterre, l'Efpagne, l'Italie, voulurent avoir de ces Religieux, aufquels on bâtit de nouveaux Monafteres, ou qu'on établit dans les anciens, où l'Obfervance Reguliere n'étoit plus en vigueur. Ils pafferent même en Orient, & il n'y eut prefque point de lieu en Europe, où cet Ordre ne fût connu.

Les principaux Monafteres qui furent réformés où fondés de nouveau par faint Odon, & où il fit observer la même Difcipline qu'à Cluni, furent ceux de Tulles, dans le Limofin, Aurillac dans l'Auvergne, Bourg-Dieu & Maffay en Berri, Fleury ou faint Benoît-fur-Loire, dans l'Orleannois, faint Pierre-le-Vif à Sens, faint Allire de Clermont, faint Julien de Tours, Sarlat dans le Perigord, à prefent Evêché, & Roman-Moutier, dans le païs de Vaux. Dans les differens voïages que ce faint Abbe fit en Italie par ordre des Papes Leon VII. & Etienne VIII. pour reconcilier enfemble Hugue Roi d'Italie, & Alberic, Prince de Rome, qui fe faifoient la guerre ; il reforma auffi les Monafteres de faint Paul hors des murs de Rome, faint Auguftin de Pavie, & quelques autres; & au retour de fon quatriéme voïage,il mourut à Tours le 10. Novembre 942.

Avant que de partir pour ce dernier voïage, il avoit nom⚫ mé pour fon Coadjuteur dans le Gouvernement de Cluni, Aymard,qui étoit déja fort âgé. Ce fut du tems de cet Abbé que vers l'an 948. une perfonne Noble, avec fa femme nommée Dode, du confentement de leurs enfans, renoncerent au fiécle, & fe donnerent à l'Abbaïe de Cluni, avec tous les biens qui leur appartenoient dans les villages de Macere & de Norond fur la Garone. Le Pere Mabillon croit que ce fut là l'origine des Donnés ou oblats,qu'il y a eu dans la fuite dans plufieurs Monafteres de l'Ordre de faint Benoît. Ces Donnés ou Oblats prenant l'habit Religieux different neanmoins de celui que portoient les Moines, s'offroient à Dieu avec leurs biens, & fe donnoient entierement

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ORDRE DE à un Monaftere, jufques-là qu'ils y entroient en fervitude, eux & leurs enfans. Ils fe mettoient autour du cou, pour marque de l'offrande qu'ils faifoient d'eux-mêmes & de leurs biens au Seigneur, les cordes des cloches de l'Eglife, & quelques deniers fur la tête. D'autres prenoient les deniers de deffus leur tête, & les mettoient fur l'Autel : & une femme de qualité nommée Gyfe, après la mort de fon mari, s'étant aufì donnée en fervitude l'an 1022. au Monaftere de faint Mihel, elle & fes defcendans, laiffa pour marque de son offrande à Dieu, un denier percé, & le bandeau de fa tête. Il y avoit auffi de ces Donnés ou Oblats dans les autres Ordres, comme nous l'avons fait remarquer en parlant du Tiers. Ordre des Servites; mais il ne faut pas confondre ces Oblats avec ceux que les Abbaïes & les Monafteres de fondation Roïale en France étoient obligés de recevoir & de nourrir, lefquels étoient prefentés par le Roi. On appelloit ces fortes d'Oblats des Moines Lays, & les Religieux étoient obligés de leur donner une portion Monachale, à la charge qu'ils fonneroient les cloches, & qu'ils balaïeroient l'Eglife & le Chocur. Ces places étoient deftinées à des Soldats estropiés ou Invalides. On les a enfuite convertis en argent : & depuis ces Oblats & leurs penfions ont été transferés à l'Hôtel des Invalides à Paris,que le Roi Louis XIV. commença à faire bâtir l'an 1671. deux ans après la fondation qu'il en fit en 1669.

Aymard étant déja fort âgé quand il fut fait Abbé de Cluni, ne put pas long-tems fupporter les fatigues de sa Charge. Ses infirmités augmentant de jour en jour, & aïant même perdu la vûë, il choifit faint Mayeül pour fon Coadjuteur, du confentement de fes Religieux,& il en fit dreffer des Lettres, dans lesquelles il declare qu'il lui avoit donné le Gouvernement du Monaftere de Ĉluni, & des autres Abbaïes & Prieurés qui en dépendoient. Ces Lettres, qui ne font point datées, font fignées entr'autres de cent trente Religieux, qui s'étoient rendus à Cluni de divers autres Monafteres de fa dépendance: mais le premier Acte où il eft parlé de faint Mayeül en qualité d'Abbé, étant de l'an 949. fait connoître qu'il pouvoit avoir été fait Coadjuteur dès la fin de l'an 948. Aymard vêcut jufqu'en l'année 965. Berthe, veuve de Rodolphe ou Raoul,Roi de Bourgogne,

aïant

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áïant fondé l'an 962. le Monaftere de Payerne, dans le Dio- ORDRE DZ cefe de Lausanne en Suiffe,entre Fribourg & Everdun, en donna la conduite à faint Mayeul, qui fut en fi grande estime auprès de l'Empereur Othon le Grand, qu'il lui vouloit foûmettre tous les Monafteres qui étoient fur les Terres de l'Empire, tant en Allemagne qu'en Italie,afin d'y établir une plus exacte obfervance. Če Prince le fit venir en Italie,où ik reforma le Monaftere de Claffe proche Ravenne. Sigefroi, Evêque de Parme, fe fervit auffi de faint Mayeul pour réta blir la Difcipline Reguliere dans le Monaftere de faint Jean l'Evangelifte. Il en fit autant dans celui de faint Pierre au Ciel d'Or à Pavie, à prefent de l'Ordre de faint Augustin, & à la priere de l'Imperatrice Adelaïde,qui fit bâtir ou plûtôt rétablir le Monaftere de faint Sauveur dans un des fauxbourgs de la même ville, il ordonna les bâtimens, & en eut la conduite. Ce Monaftere étant achevé, il y mit pour Abbé Hildebade, Religieux de fon Ordre. L'Imperatrice affigna pour la fondation de ce Monaftere, trente-fix Métairies en Italie, le Monaftere de faint Anastase, le Prieuré de faint Nazare de Novare, avec l'Eglife de faint Benoît dans la même ville, le Monaftere de Nôtre-Dame à Pompose, & tout ce qui étoit à Comacle; & pour affermir cette donation, cette Princeffe donna un coûteau. Il eft à remarquer que c'étoit anciennement l'ufage de marquer ainfi chaque difpofition ftable par quelque Acte exterieur. L'on fe fervoit de differentes manieres pour mettre en poffeffion les Donataires. Le plus fouvent on donnoit un gand, un coûteau, le manche d'un coûteau, un bâton, un brin d'herbe, une branche d'arbre, un morceau de bois, un livre, ou quelqu'autre chose. Quelquefois on rompoit ou l'on plioit fon coûteau ou celui d'un autre. On apportoit de la terre du lieu même l'on donnoit, & que l'on pendoit dans l'Eglife devant l'Autel, noüée dans un linge. La donation se faifoit auffi par le toucher des cloches, ou par les cordes des cloches, par une declaration publique prononcée à haute voix, par la cour roïe dont le Donateur étoit ceint, ou par le baifer de paix ceremonie qui paroît avoir été effentielle, & dont les Religieux s'acquittoient par des Seculiers, lorfque la bienféance: ne leur permettoit pas de s'en acquitter envers des perfonnes d'un autre fexe. C'est pourquoi un nommé Mainon, di

que

Tome V

Bb.

"

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Hiftoire de

Mabillon,

medict. 1.57.

par

ORDRE DE Confentement de fon fils & de fa bru, aïant donné la Terre de Brefchiot à l'Abbaïe de faint Aubin d'Angers, lui & fon Lobineau, fils embrafferent en témoignage le Moine Wautier, qui reBretagne, cevoit la donation mais comme il n'étoit pas de la bienTom. 11. p. féance que ce Wautier donnât le baifer de paix à une femme, 247. il ordonna au Prevôt de l'Abbaïe de le donner pour lui à la femme du fils de Mainon. Le Pere Mabillon dans fes AnnaAnnal. Be les Benedictines, apporte deux exemples affez finguliers de des fouflets, l'autre n. 35. 6. ces fortes de donations, l'une faite 58. n. 84. en fe coupant l'ongle jufqu'au fang; comme il paroît par les Actes de donations faites à l'Abbaïe de Moiffac par Ponce, Comte de Toulouse, & par un nommé Honfroi, au Monaftere de Préaux en Normandie. Car Ponce Comte de Toulouse, aïant donné une Terre l'an 1045. à l'Abbaïe de Moiffac, changée préfentement en une Collegiale de Chanoines feculiers, il fit cette donation en fe coupant l'ongle du pouce jufqu'à la chair vive, & en fit fortir du fang, & Honfroi aïant auffi donné une terre l'an 1034. au Monaftere de Préaux du confentement de Robert Comte de Normandie, ce Prince envoïa fon fils Guillaume, qui étoit encore jeune, à ce Monaftere, afin qu'il mît lui-même cette donation fur l'Autel, ce qu'il fit en préfence de plufieurs perfonnes, du nombre defquelles étoient Roger & Robert Guillaume enfans de Honfroi, qui donna à Robert Guillaume un fouflet. Richard de Lillebonne en reçut un plus fort, & aïant demandé à Honfroi, pourquoi il lui avoit donné un fi grand fouflet 3 il lui répondit, qu'étant plus jeune que lui & felon toutes les apparences devant vivre plus long-tems, il rendroit témoignage de cette action. Enfin Hugues fils du Comte de Valeran, reçut un troifiéme fouflet. Le Pere Mabillon ajoûte que c'eft le feul exemple qu'il ait trouvé de ces fortes de donations par fouflets.

Au fujet de ces donations nous rapporterons une chofe affez particuliere enoncée dans une fondation faite l'an 1426. au Prieuré de faint Martin des Champs à Paris (l'une des filles de Cluni) par Philippes de Morvillier premier Préfident du Parlement de Paris, & par Jeanne du Drac fa femme, par laquelle ils obligent les Religieux de ce Couvent & leur Maire de donner tous les ans la veille de la Fête de faint Martin d'Hyver au matin, avant midi, au premier Pré

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fident du Parlement de Paris, qui fera pour lors en Charge ORDRE DE deux bonnets à oreilles l'un double, l'autre fimple, en lui difant: Monfeigneur, Meffire Philippes de Morvillier, en fon vivant premier Préfident au Parlement, fonda en l'Eglife & Monaftere de Monfieur faint Martin des Champs à Paris,une Meffe perpetuelle, & certain autre Service Divin, & ordonna pour memoire & confervation de ladite fondation, étre donné & préfenté chacun an à Monseigneur le premier Préfident de Parlement, qui pour le tems fera, par le Maire defdits Religieux & un d'iceux Religieux,ce don & préfent,lequel il vous plaife prendre en gré. Le même Fondateur ordonna auffi que l'on donneroit le même jour au premier Huiffierdu Parlement des gands & une écritoire,en difant: Sire, Meffire Philippe de Morvillier,&c. ou bien vingt fols parifis pour les bonnets du premier Préfident,& douze fols parifis, pour les gands, & pour l'écritoire du premier Huiffier.

que

Pour revenir à faint Mayeul, dont nous nous fommes un peu écartés au fujet de ces donations, les Religieux de Lerins defirant embraffer les coûtumes de Cluni, prierent ce faint Abbé de prendre foin de leur Monaftere; mais comme Lerins & Cluni étoient également foumis au faint Siége, faint Mayeul eut recours au Pape Benoît V I. qui lui accorda l'an 978. le Monaftere de Lerins avec celui d'Arluë faint Honorat avoit fondé pour des Religieufes. Dans le même tems Amblard Archevêque de Lyon, donna aux Religieux de Cluni, quelques terres qu'il avoit en Auvergne pour y bâtir un Prieuré en l'honneur de faint Pierre. Saint Mayeul fut fait encore Abbé de Marmoutier & réforma les Monafteres de faint Benigne de Dijon, de faint Maur des Foffés & de faint Germain d'Auxerre, & étant mort à Savigni l'an 974. il y fut enterré.

Saint Odilon fucceda à faint Mayeul dans le gouvernement de l'Ordre, il avoit été élû Abbé de Cluni, peu de tems avant la mort de faint Mayeul. Les Religieux de Cluni qui fe trouverent à fon élection étoient au nombre de cent foixante & dix-fept. Il y eut auffi des Princes, des Evêques, des Abbés, des Seigneurs qui y furent préfens, entre lefquels furent Raoul Roi de Bourgogne Transjurane, Bur. chard Archevêque de Lyon, Hugues Evêque de Geneve, Henri de Laufanne, Hugues de Mâcon, Vautier d'Autun,

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