Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XI V.

Vie de faint Benoît d'Aniane, Reformateur de l'Ordre de faint Benoit, & General de cet Ordre en France.

VIE DE S BENOIT D'ANIANE.

AINT Benoît d'Aniane, le Restaurateur de la difcipline Monaftique,tiroit fon origine des anciens Goths qui s'établirent dans l'Aquitaine & la Gaule Narbonnoife, nommée depuis Languedoc : il nâquit vers l'an 750. Dès la premiere jeuneffe, fon pere qui étoit Comte de Maguelone, le mit au fervice du Roi Pepin,dont il fut Echanfon: il s'attacha enfuite au Roi Charles. Pendant qu'il étoit ainfi engagé dans le grand monde, la grace lui en découvrit le néant : ik tourna fes défirs vers le Ciel, & fans quitter fes emplois, il s'appliqua à bien regler fes mœurs & fur tout à retenir fa langue & à pratiquer la fobrieté. A ïant pris le deffein de se retirer de la Cour, il héfita fur le genre de vie qu'il devoit embraffer. Son humilité le portoit ou à fe revêtir d'un habit de Pelerin, ou à fe mettre au fervice de quelqu'un,ou à gardes des troupeaux, ou à exercer quelque métier, pour foulager les pauvres de fon travail. Il'fe réfolut enfin d'embrasfer l'état Monaftique, & le danger où il fe trouva un jour de fe noïer, le détermina entierement de fe donner au Seigneur; il fut encore fortifié dans cette réfolution par un folitaire d'un grand merite nommé Witmar, qui étoit aveugle, mais très intelligent dans les chofes divines. Il quitta enfuite fes parens comme pour aller à Aix-la-Chapelle où étoit la Cour: mais il s'arrêta en chemin au Monaftere de faint Seine, d'où il renvoïa fes gens, & il y embrassa la vie Monaftique l'an

774.

Il y paffa deux ans & demi dans une abstinence presque continuelle. Il ne prenoit pour toute nourriture qu'un peu de pain & d'eau, & craignoit le vin comme un poifon. Lors qu'accablé de fommeil il étoit quelquefois obligé de prendre un peu de repos, il fe couchoit fur la terre nuë. Souvent il paffoit la nuit en prieres, nuds pieds, par le plus grand froid, & demeuroit plufieurs jours fans rompre le filence. Il portoit les plus méchans habits de la Communauté,& ne changeoit de tunique que rarement. Il aimoit tant l'humilité que, fi fa

BENCir
D'ANLANE.

&

VIE DE S. cuculle étoit déchirée,il y mettoit des pieces d'une autre couleur, pour s'attirer la raillerie des autres Religieux qui crachoient fur lui, l'infultoient & le traitoient d'infenfé. L'Abbé voulut l'obliger à moderer cette vie rigoureuse; mais il ne put rien gagner fur fon efprit; ce Saint lui répondoit que la Regle de faint Benoît étoit faite pour les commençans les foibles, & il s'efforçoit de remonter à celles de faint Bafile & de faint Pacome; mais il avoit néanmoins un grand foin d'observer celle de faint Benoît, pour laquelle il eut toûjours de plus en plus de l'eftime & de la veneration, & à laquelle il s'efforça de ramener tous fes freres.

On lui donna la Charge de Cellerier, dont il s'acquita fi parfaitement, que l'Abbé étant mort cinq ans & huit mois après, il fut élû tout d'une voix pour remplir fa place: mais fes mœurs ne s'accordant pas avec celles de fes Religieux, il les quitta fecretement, & retourna en fon païs, où il fe retira dans une terre de fon patrimoine fur un ruiffeau,nommée Aniane,près d'une Chapelle de faint Saturnin. Il y bâtit un petit Monaftere avec quelques autres folitaires, dont le principal fut ce Witmar dont nous avons parlé,qui lui avoit confeillé de se faire Religieux. Benoît fit ce premier établisfement vers l'an 780. Il y paffa quelques années dans une grande pauvreté, demandant à Dieu jour & nuit, le rétaBliffement de la difcipline Monaftique.

Il y avoit dans le voisinage trois hommes de grande vertu, Attilion, Nibride, & Annien qui vivoient fort religieufement fans avoir connoiffance des obfervances regulieres. Benoît les confultoit dans fes afflictions, lorfqu'il avoit quelque peine d'efprit, principalement Attilion qui étoit le plus voifin. Tels furent les commencemens du celebre Monaftere qui prit le nom du Sauveur du monde, à cause qu'il lui fut dédié, & celui d'Aniane à caufe de fa fituation für cette petite riviere. Plufieurs perfonnes fe présenterent d'abord pour vivre fous la conduite de Benoît: mais la nouveauté de fon genre de vie les décourageoit, quand on les obligeoit à prendre le pain au poids, & le vin par mefure : & ils abandonnoient leur bon deffein & retournoient dans le monde. Benoît fut troublé de leur peu de ferveur: & défefperant du fuccès de fon entreprise il voulut retourner à fon Monastere de faint Seine. Attilion qu'il confulta fur cela, lui fit connoî,

D'ANIANE.

tre que c'étoit une tentation, & l'encouragea à pourfuivre VIE DE 3. fon deffein. Il continua donc dans le même lieu avec un ΒΕΝΟΙΤ petit nombre de Moines que fa réputation lui attira, ausquels il montroit l'exemple de tout ce qu'il leur faifoit pratiquer. Ils travailloient de leurs mains, & ne vivoient ordinairement que de pain & d'eau, ne beuvant du vin que les Dimanches & les grandes Fêtes, & mangeant feulement quelquefois du lait, que les femmes du voifinage leur apportoient. Ils ne poffedoient ni terres, ni vignes, ni bétail, ni chevaux, & n'avoient rien de toutes les commodités de la vie.

Cependant les Difciples de Benoît augmentoient tous les jours: fa réputation fe répandoit de tous côtés, & la vallée où il s'étoit établi d'abord étant forte étroite, il commença à bâtir un peu plus loin un Monastere nouveau dans un lieu plus étendu. Le Monaftere fut grand & fpatieux ; mais les bâtimens fort pauvres, & convenables à des perfonnes Religieufes. L'Eglife fut dediée à la fainte Vierge. Mais il observa en toute chofe la fimplicité Religieufe, ne voulant pas qu'on s'y fervît ni de Calices d'argent, ni de Chasubles de foyë. On donna beaucoup à ce Monaftere, Benoît recevoit les terres ; mais il ne voulut point accepter les Serfs qu'on y vouloit donner; ou bien s'il les recevoit, il leur donnoit auffi-tôt la liberté.

L'exemple de Benoît excita plufieurs autres faints Perfonnages non feulement dans le même païs, mais encore aux environs, à affembler des Moines & à former leur vie fur ses instructions. Le Saint leur fervoit de Pere & les affistoit non feulement de fes confeils; mais encore de fes liberalités : il les vifitoit auffi quelquefois pour les encourager & les foûtenir : ainsi se formerent plufieurs Monafteres dans le païs, dont Aniane devint Chef,auffi bien que de quelques autres dans des lieux plus éloignés. De ce nombre furent ceux de Gelone,d'Inde, de Belcelle, de Maurmonfter, & plufieurs autres, dont nous parlerons. Benoît fut beaucoup aidé par les trois Solitaires qu'il trouva d'abord, Attilion, Nibride & Annien. Attilion fut Abbé de faint Tiberi, Nibride de Craffe, & Annien fut Fondateur & Abbé de deux autres Monafteres, fçavoir de faint Jean d'Extor, & de faint Lau rent d'Oliberge.

VIE DE S.

D'ANIANE.

par

Celui d'Aniane croiffoit toûjours, & Benoît aidé par les BENOIT liberalités de plufieurs Seigneurs, pour détacher du monde la beauté de la Maifon du Seigneur, plufieurs perfonnes qui méprifoient fa pauvreté & fa fimplicité, commença à y bâtir une Eglife plus magnifique l'an 782. Il renouvella aufli le Cloître, mettant des colomnes de marbre dans les galeries, & faifant couvrir les bâtimens de tuille, au lieu que jufqu'alors la couverture n'avoit été que de paille. Cette Eglife fut dediée à faint Sauveur. Les ornemens étoient par lept: fept chandeliers à fept branches fur le modele de celui du Tabernacle de l'ancienne Loi, fept lampes devant l'Autel, & fept autres dans le Choeur : enforte qu'aux grandes folemnités, l'Eglife étoit magnifiquement éclairée. Il y avoit des grands Calices d'argent, des habits précieux & tout ce qui étoit neceffaire pour le fervice Divin. La Communauté d'Aniane s'accrut tellement ; qu'on vit en même tems plus de trois cens Religieux fous la conduite de faint Benoît, qui fit faire des bâtimens fort vastes, longs de cent coudées, & larges de vingt, qui depuis contenoient plus de mille perfonnes: il établit même encore en divers lieux des petits Monafteres ou Prieurés, aufquels il donna des Superieurs particuliers.

Des Evêques dans la fuite lui demanderent de fes Religieux pour fervir d'exemple aux autres. Il en envoïa plufieurs à Leidrade Archevêque de Lion pour rétablir le Monaftere de l'Ifle Barbe. Theodulfe Evêque d'Orleans en demanda auffi pour le Monaftere de Mici ou de faint Memin. Alcuin qui étoit lié d'amitié avec notre Saint en obtint vingt Religieux par le moïen defquels il fonda l'Abbaïe de Cormeri. Mais la plus illuftre Colonie d'Aniane fut le Monastere de Gelone, fondé en 804. par les liberalités de Guillaume Duc d'Aquitaine qui s'y retira lui-même 3 ce qui lui a fait donner le nom de S. Guillem du defert.

La réputation de Benoît étant venuë jusqu'à la Cour, ik alla trouver le Roi Charles, & afin que fes parens ou d'autres n'inquietaffent pas fes fucceffeurs, & ne prétendiffent rien après la mort au bien de fon Abbaïe, il la mit fous la protection de ce Prince, dont il obtint un privilege ou immunité, fuivant l'ufage de ce tems là. Le Roi donna encore à Benoît des terres autour de fon Monaftere, le ren

« PreviousContinue »