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CHAPITRE XII I.

De l'ancienne Congregation de Fuldes en Allemagne.

L

'Abbaie de Fuldes eft fans contredit la plus noble & la plus illuftre d'Allemagne, non feulement à cause de fes grandes richeffes & du grand nombre d'Abbaïes& de Prieurés qui en dépendoient, mais encore à caufe des prérogatives accordées à l'Abbé de ce Monaftere qui eft Prince de l'Empire, Primat & Chef de tous les Abbés d'Allemagne,& Chancelier perpetuel de l'Imperatrice. Saint Boniface Archevêque de Mayence & Apôtre d'Allemagne, fut le principal Fondateur de cette fameufe Abbaïe. Če Saint qui s'étoit servi de Religieux pour être fes coadjuteurs dans la Converfion d'une infinité de peuples en Allemagne,& qui fe servoit auffi d'eux dans d'autres affaires, fouhaitoit y bâtir un celebre Monaftere pour les y établir. Il avoit déja fondé ceux d'Ordoff & de Friflar ; mais ils ne fuffifoient pas pour le grand nombre d'Ouvriers Apoftoliques qui le foulageoient dans fes travaux, faché de voir que faint Sturme fun de fes Difciples, s'étoit retiré avec quelques Compagnons dans le défert d'Hersfeld, où ils étoient tous les jours expofés aux infultes des Saxons, il leur ordonna de s'établir dans un autre lieu. Ils en trouverent un plus commode proche la riviere de Fuldes dans le païs de Buchow, qu'on appelloit autrefois Grapfeld, entre la Heffe, la Franconie, & la Thuringe.

CONGRE

GATION DE

FULDES.

Ce lieu qui s'appelloit Eiloha, appartenoit à Carloman Duc & Prince des François, que faint Boniface alla trouver pour le prier de le lui donner afin d'y établir une Communauté de Religieux ce que perfonne n'avoit encore fait en ce païs. Non feulement Carloman le lui accorda avec une étenduë de quatre mille pas aux environs: mais il exhorta encore les Seigneurs de fa Cour de contribuer à l'établiffement de ce Monaftere; ce que la plupart aïant fait, faint Sturme y conduifit fept Religieux l'an 744. & deux mois après faint Boniface y fit bâtir une Eglife avec le Monaftere qui prit le nom de la riviere de Fuldes qui y paffoit. Saint Sturme en fut le premier Abbé. En peu de tems le nombre

GATION DE

FULDES. des Religieux augmenta de telle forte, & les biens que l'on fit à ce Monaitere furent fi confiderables, qu'il y eut plus de cinq cens Religieux qui y demeurerent du vivant même de faint Sturme. Saint Boniface pendant qu'on travailloit aux édifices de ce Monaftere, fe retira fur une montagne voifine depuis appellée pour ce fujet le Mont de l'Evêque, & y passa tout le tems qu'il y demeura, dans l'Oraifon & dans la le&ture des Saints Peres. Etant retourné à Fuldes, il exhorta les Religieux à bien pratiquer leur Regle, leur ordonna de ne prendre aucune boiffon qui pût enyvrer, & de fe contenter d'un peu de petite biére: mais la Communauté s'étant augmentée notablement, cette rigueur fut moderée du tems du Roi Pepin le Bref ; & dans un Concile il leur fut permis de boire du vin à cause de ceux qui étoient foibles & infirmes. Il fe trouva néanmoins un grand nombre de Religieux qui ne voulant point fe fervir de cette permiffion, ne bûrent point de vin tout le tems de leur vie.

Les bâtimens de Fuldes étant achevés, l'extrême defir que les Religieux avoient de bien obferver la Regle de faint Benoît, les fit réfoudre d'envoïer quelques-uns d'entr'eux aux grands Monafteres pour y remarquer la difcipline reguliere, & la pratiquer enfuite dans toute fon exactitude. Ils en parlerent à faint Boniface,qui approuvant leur deffein, choifit pour ce vorage faint Sturme qui alla au Mont-Caffin, où il demeura quelque tems, comme nous avons dit ailleurs, pour s'inftruire parfaitement de toutes leurs pratiques regulieres. Saint Boniface remarquant que ces Religieux étoient pauvres & avoient peine à fubfifter, leur donna quelques terres, pour fubvenir à leurs befoins : & ce fut à la priere que Carloman augmenta encore le territoire de Fuldes de trois mille pas, de forte qu'il contenoit fept milles de tour. Ce Prélat pour affermir davantage cet établissement, obtint un Privilege du Pape Zacharie qui foûmettoit ce Monaftere immediatement au Saint Siége: & pour marque de fon affeetion, il y voulut être enterré. Ce Saint fut martyrifé par les Frifons l'an 755. Son Corps fut d'abord enterré à Utrecht s mais les Religieux de Fuldes l'allerent chercher pour le tranfporter dans leur Abbaïe, comme ce Saint l'avoit foût

haité.

Après la mort de faint Boniface, faint Sturme ne put

GATION DE

éviter la malignité de la calomnie. Saint Lulle avoit fucce- CONGREdé à faint Boniface dans l'Archevêché de Maïence. On FULDES prevint ce Prélat contre ce faint Abbé; il fe trouva des faux freres dans fa Communauté, qui l'accuferent de n'être pas affectionné au service du Roi qui étoit alors Pepin le Bref, ce qui le fit releguer dans le Monaftere d'Unnedice, où plûtôt Jumieges, au Diocêfe de Rouen. Saint Lulle en fon abfence obtint du Roi que le Monaftere de Fuldes lui feroit foûmis, & y nomma pour Abbé un de fes Domeftiques appellé Marc. Mais les Religieux refufant de fe foûmettre à ce Pasteur, qui étoit étranger & qui ignoroit leurs usages & leurs loix, fortirent du Monaftere pour en aller en aller porter leurs plaintes au Roi, qui leur permit de choisir un Abbé. Celui qu'ils élurent fut le venerable Prefzolde, qui aïant été difciple de faint Sturme dès fa plus tendre jeuneffe, chercha auffi-tôt les moïens de procurer le retour de fon maître, qui fut rappellé d'exil deux ans aprés par Pepin. Ce Prince ne se contenta pas même de le renvoïer avec honneur à Fuldes; il voulut encore qu'il fût rétabli dans fa dignité d'Abbé, il retira auffi ce Monaftere de la jurifdiction de l'Evêque de Mayence, & confirma le Privilege que le Pape Zacharie lui avoit accordé, en le foûmettant immediatement au Saint Siége. Il le prit de plus fous fa protection, & lui donna Omftat avec fes dépendances.

Annal. Be

Thomaff.

lib. 3. cap

30. n. 8,

Le Pere Mabillon rapporte tout au long ce Privileg du Mabillon, Pape Zacharie, afin que perfonne n'en puiffe douter, & fait nedict.Tom. obferver enfuite, aprés le Pere Thomaflin, qu'avant ce II. p. 156. Pape il n'y avoit aucune Abbaïe qui fùt foûmife immedia- Difcipt.Ec tement au faint Siége. Elles étoient pour lors reputées ou clef. part. 1. exemtes de la jurifdiction de l'Evêque Diocéfain, ou soûmifes au Metropolitain, ou aux Affemblées des Evêques qui étoient frequentes en ce tems là, ou au Patriarche par une condition tacite, quoique cela ne fût pas marqué precifément par le Privilege. Nous en rapporterons quelques exemples. Saint Theodore Siceote Evêque d'Anaftafiopole, aïant renoncé à l'Epifcopat, reprit la conduite des Monafteres qu'il avoit fondés, & dont il avoit été tiré quelque tems aprés fa retraite. Vers l'an 597. étant venu à Conftantinople, il obtint de grands privileges pour fes Monafteres, qui furent exemtés de la jurifdiction de tout autre Evêque, &

GATION DE

CONGRE foûmis feulement à l'Eglife de Conftantinople. Le Pape faint FULDES. Gregoire accorda l'an 598. un Privilege à l'Abbaïe de Claffe dans le Diocêfe de Ravene, par lequel entr'autres choses il défendit à l'Evêque de prendre connoiffance des revenus de ce Monaftere,& d'en rien diminuer, de fouftraire aucun titre, d'ordonner aucun Clerc fans le confentement de l'Abbé, & d'en tirer aucun Religieux malgré lui pour gouverner d'autres Monafteres. Trois ans après le même Pape dans le Concile de Rome, où foufcrivirent vingt & un Evêques & treize Prêtres, fit une Conftitution en faveur de tous les Moines, qui n'eft qu'une confirmation & une extenfion du Privilege accordé à l'Abbaïe de Claffe: car il défen lit de plus aux Evêques de celebrer des Meffes publiques dans les Monafteres, d'y mettre leurs Chaires, ou d'y faire le moindre Reglement, à moins que ce ne fût à la priere de l'Abbé qui devoit toûjours avoir les Moines en sa puiffance.

Les Monafteres fondés par les Empereurs tant d'Orient que d'Occident, étoient entierement exemts de la jurisdiction des Evêques & des Archevêques. Nous avons un exemple de cette exemption en Occident dans le Monastere de Pescara au Roïaume de Naples, qui a été autrefois le plus Mabillon, celebre en Italie, qui fut même appellé la Maifon d'Or, tant nedict.Tom. à caufe de la magnificence de fes bâtimens que de fes reveILI. p. 132. nu's immenfes. Il fut fondé par l'Empereur Loüis II. l'an

Annal. Be

866. & lui fut entierement foûmis, & les Evêques de la
Penna n'y prétendirent jamais aucune jurifdiction fpirituelle
avant l'an 951. que Jean Evêque de la Penna tenta, mais inu-
tilement, de le foûmettre à fon autorité : & même les Re-
ligieux de ce Monaftere avant le Pontificat de Leon IX. ne
s'étoient point adreffés à Rome pour avoir des Privileges,
croïant que l'autorité de l'Empereur fuffifoit
pour maintenir
leurs immunités. Une des prérogatives dont joüiffoit l'Abbé
de ce Monastere, c'eft qu'il fe fervoit du Sceptre de l'Empe-
reur Loüis, au lieu de bâton Pastoral, comme on le peut voir
dans la figure que nous donnons d'un de fes anciens Abbés,
que nous avons fait graver d'après celle, que le P. Mabillon
a donnée dans le cinquiéme Tome de fes Annales Benedic-
tines. Les Rois de France ont prétendu auffi avoir le même
pouvoir fur les Monafteres de leurs fondations, & le Doge

de

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