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NES REGUL.

DE LA RF

FORME DE
CHANCEL
LADE.

CHANOI Voient en avoir foin, & afin qu'on ne puft les recouvrer on avoit pillé les archives & enlevé les titres. Le fpirituel eftoit encore dans un eftat plus deplorable que le temporel, & au lieu de foixante Chanoines qu'il devoit y avoir dans cette Abbaïe, & qui donnoient mefme des Religieux à l'Abbaïe de Fontenelle au Diocese de Luçon, à plufieurs Prieurés dans les Diocefes de Bordeaux, de Perigueux, de Sarlac & de Rhodez, qui fe difoient tous de l'Ordre de Chancellade & se trouvoient tous à fes Chapitres Generaux, il n'y avoit dans cette Maifon l'an 1617. que l'Abbé avec trois Chanoines, dont toute l'occupation eftoit la Chaffe ou le jeu. Au lieu du concours du Peuple qui fe trouvoit autrefois en ce lieu dans les folemnités, l'on y voïoit des affemblées de Gentilhommes, qui aidoient à manger le peu de revenu qui reftoit. L'Office Divin eftoit entierement negligé. On ne connoiffoit les Religieux que par leur habit ; & quoiqu'ils fiffent vou de pauvreté, ils avoient tous de l'argent dont ils difpofoient à leur volonté. Chacun fe gouvernoit à fa fantaifie, & on eut pris cette Maison plustôt pour un lieu de libertinage que pour un Monaftere.

a

Tel eftoit l'état deplorable de cette Abbaïe lorfqu'Alain de Solminiach, fur la demiffion d'Arnaud de Solminiach fon oncle, en fut pourveu par le Roi Louis XIII. Son pere Alain de Solminiach Seigneur de Belet, eftoit un Gentilhomme qui joignoit à fa nobleffe beaucoup de pieté, & fa mere Marguerite de Marqueffac ne cedoit en rien à fon mari, ni pour la vertu, ni pour la nobleffe. Il nâquit au Chafteau de Belet a deux lieuës de Perigueux le cinq Novembre 1593. & fut élevé dans la Maifon paternelle jufqu'à l'âge de vingt-deux ans. Ses parens qui le deftinoient pour le monde, lui firent apprendre tous les exercices convenables à fa naiffance. Eftant âgé de dix-fept ans, & aïant appris qu'il y avoit à Malte beaucoup de Chevaliers François qui portoient les armes pour la défenfe de la foi contre les Infideles,il fut interieurement pouffé d'embraffer cet eftat, & à s'engager dans cet Ordre Militaire. Le plus grand plaifir qu'il reffentoit eftoit d'entendre parler des belles actions des Chevaliers de Malte, & des fervices confiderables qu'ils rendent à l'Eglife. Mais Dieu avoit d'autres deffeins fur lui & le deftinoit pour eftre l'un des Reformateurs de l'Ordre des Chanoines Reguliers, & l'un des plus grands Prelats de la France.

NES REGUL.

FORME DE
CHAN CEL-

LAPE.

L'Abbé de Chancellade fon oncle avoit fait eftudier fon fre- CHANOLre aîné dans la penfée de lui donner fon Abbaie, mais en aïant DE LA REreceu quelque mecontentement, il le renvoïa. Il en appella un autre auprès de lui qui ne reuffit pas mieux que le premier, & fut renvoïé de mefme; enfin on lui amena Alain de Solminiach qui eftoit le plus jeune de fes freres, dont il fut fi fatisfait qu'il le choifit pour fon Succeffur. Il fe demit de fon Abbaïe entre les mains du Roi, & fupplia Sa Majesté d'en faire expedier le Brevet en faveur de fon neveu, ce que ce Prince accorda.

Il avoit alors vingt deux ans, & n'avoit jamais eu la penfée d'embraffer cet etat. Cependant il ne fit aucune resistance, & receut le Brevet, non comme venant de la main des hommes, mais comme venant de la main de Dieu. Dès lors il fe fentit fortement infpiré de mettre la reforme dans cette Abbaïe & d'y reftablir la difcipline Reguliere. Ses Bulles eftant arrivées de Rome, il prit l'habit des Chanoines Reguliers comme il eftoit porté par la Bulle, & fe mit en poffeffion de l'Abbaïc. Il n'imita pas les Religieux dans leur dereglement. Il commença d'apprendre la methode de l'Oraifon mentale qu'il fit enfuite tous les jours pendant une heure avec beaucoup de fidelité; & quoiqu'il n'euft aucune teinture des Lettres humaines, il s'appliqua à l'étude avec tant d'affiduité,qu'en moins d'un an il fceut parfaitement le Grec & le Latin, & fut capable d'entrer en Philofophie. Son Novitiat eftant achevé, il se confacra à Dieu par les trois Vœux de Religion. Peu de tems après il partit de Chancellade au mois de Septembre 1618. & vint à Paris, où il étudia en Philofophie au College d'Harcourt, & fit enfuite fon cours de Theologie fous les fameux Profeffeurs M.M. Gamache & du Val, qui conferverent toujours pour lui une eftime particuliere, & il fit fous leur conduite un fi grand progrés dans cette science, qu'il fut capable de l'enfeigner quelques années après à ses Religieux.

Comme il meditoit toujours la reforme de fon Monaftere, il voulut avant que de l'entreprendre travailler à fa propre perfection. Pour cet effet dans le cours de fes études, il choifit pour Directeur le P. Gaudier de la Compagnie de Jefus, fous la conduite duquel il fit une retraite de dix jours, & ce Directeur lui apprit tout ce qu'il falloit faire pour s'avancer dans

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DE LA RE-
FORME DE

CHANCEL
LADE.

CHANGI- la vertu. Il joignit à la priere & à la meditation, les aufte rités & les mortifications. Dabord il retrancha quelque chofe de fa nourriture ordinaire. Il jeûna trois fois la femaine, quelque tems après la semaine entiere, & se reduifit enfin au pain & à l'eau, montant ainfi de degrez en degrez à cette abstinence admirable qu'il a pratiquée toute fa vie. Cette rigueur extraordinaire dura cinq ou fix ans ; mais l'Evefque de Bazas qui avoit beauconp de credit fur fon efprit, obtint de lui, après d'inftantes prieres, qu'il prendroit deux fois la femaine du potage & des œufs, & rougiroit fon eau avec un peu

de vin.

Ses études eftant achevées,il fe retira dans fon Abbaïe pour y jetter en mefme tems les premiers fondemens de la Reforme & des lieux Reguliers ; ce fut au mois de Septembre 1622. qu'il y arriva; mais avant que de rien entreprendre il voulut recevoir la benediction Abbatiale dont la ceremonie fut faite l'an 1623. par l'Evefque de Perigueux François de la Beraudiere. A peine cette ceremonie fut-elle achevée que tout rempli de zele pour cette fainte Maifon dont l'état deplorable lui tou choit fenfiblement le chocur, il ne voulut plus differer à lui rendre fon premier luftre. Il fit venir un Architecte pour faire les baftimens qu'il projettoit, & on lui demanda cent mille livres. Cette fomme paroiffant exceffive à nôtre faint Abbé, il fe determina à faire travailler à journée. Cependant il n'y avoit pas un fou dans la Maifon, mais fe confiant entierement à la Providence, il emprunta deux cens livres d'un bourgeois de Perigueux, & avec ce peu d'argent, il jetta la mesme année les fondemens d'un grand Dortoir l'un des plus beaux qui foit en France. Aïant efté achevé trois ans aprés il fit enfuite rebastir l'Eglife qui eftoit ruinée, dont il ne reftoit que le Clocher & deux Chapelles. On travailla de mesme au Cloître, au Refectoire, & à tous les autres Offices de la Maison. Tout l'ouvrage fut mis en fa perfection en fort peu d'années, & il n'y a perfonne qui en le voïant ne l'eftime cinquante mille écus, fans qu'on ait pû fçavoir d'où il avoit tiré une fi groffe fomme, qui apparemment lui avoit efté procurée par de perfonnes pieufes & charitables qui n'avoient pas voulu eftre connuës.

Dans le tems que l'on travailloit à rebastir cette Abbaïe, il propofa aux Religieux, les changemens qu'il vouloit faire dans

NES REGUL

FORME

leur conduite, & les obligations de leur eftat aufquelles il vouloit qu'ils s'engageaffent en reformant tous les abus qui s'ef- CHANOItoient introduits dans cette Maifon. Mais le nom de Reforme DE LA REefaroucha les Religieux, qui voulant vivre dans le deregle- CHANCE ment comme ils avoient commencé, mirent tout en ufage LADE. pour s'oppofer aux bonnes intentions de ce faint Reformateur, Son oncle mesme l'ancien Abbé,qui y devoit donner les mains & approuver cette Reforme, fut le premier à s'y oppofer; mais le jeune Abbé toujours inflexible fe crut obligé d'envoier les anciens Religieux dans les Benefices dont ils eftoient pourveus & qui demandoient refidence. Son oncle s'eftoit déja retiré dans le Prieuré de Born dependant de l'Abbaïe, avec une penfion qu'il s'eftoit refervée. Il contraignit les autres d'en faire de mefme, & il n'y en eut qu'un feul qui fe foumit à la Reforme. Ce fut le P. Pierre Lauve qui en procura mefme l'avancement, aïant efté emploïé pendant trente-fept ans, foit en qualité de Vicaire General de l'Abbé, foit en celle de Prieur de Chancellade, ou comme Vifiteur des Monasteres de fa dependance.

Le Reformateur receut enfuite des Novices avec lefquels il commença à vivre en commun. Il regla les heures de l'Office, principalement celle de minuit pour les Matines. Il determina une heure pour l'Oraison mentale, & generalement pour toutes les Obfervances Regulieres. Il eftoit le premier à tout afin d'animer les autres par fon exemple. Il faifoit fa semaine au Choeur. Il fervoit à table à fon tour, & il n'y avoit point d'offices bas & humilians qu'il n'exerçaft avec plaifir comme s'il avoit efté le moindre de tous. Ainfi commença la Reforme de Chancellade l'an 1623. dans le tems que la Congregation de Notre Sauveur du mefme Ordre prit naissance en Lorraine le zele du R. P. Pierre de Matincourt,comme nous dirons dans le Chapitre suivant.

par

Ces petits commencemens ne fembloient pas promettre beaucoup, & l'on crut que l'Abbé de Chancellade ne viendroit jamais à bout de fes deffeins, & que fes travaux eftoient inútiles. Cependant il vint en peu de tems de tous coftés un grand nombre de jeunes gens pour remplir ce Monaftere & y vivre fous la conduite de ce faint Superieur,dont plufieurs font morts en odeur de fainteté.

Quoique la Regle de faint Auguftin foit douce, &

que Eee iij

les

NES REGUL.

CHANOI Confeils que l'on y trouve tendent plus à regler les mouvemens DE LA RE- de l'efprit qu'à châtier le corps ; néanmoins la ferveur des Religieux de Chancellade eftoit fi grande dans ces commencemens, qu'ils pratiquoient volontairement des aufterités surprenantes, L'on voïoit des marques de l'abftinence fur leurs vifages attenués. Leurs corps eftoient affoiblis par le retran

FORME DE
CHANCEL-

LADE

chement volontaire des chofes neceffaires. Les murailles de leurs chambres, fouvent teintes de fang, donnoient à connoiftre qu'ils n'épargnoient pas leurs bras en prenant la difcipline. La modeftie qu'ils obfervoient au Chœur & en toutes rencontres a fouvent fervi de charmes pour attirer à la Religion des Seculiers qui en les voïant fe fentoient interieurement pouffés à changer de vie. On eut dit à les voir dans le Chœur que c'eftoit des Statues vivantes & animées d'un efprit divin, qui fans fe mouvoir pouffoient leurs voix vers le ciel. La curiofité eftoit bannie de cette fainte Maison. On n'y parloit point de nouvelles du monde. Les recreations ne se paffoient point en difcours vains & inutiles. La premiere demieheure eftoit emploïée à parler de l'Ecriture fainte & de la lecture fpirituelle que l'on avoit entenduë au Refectoire ; & pendant l'autre demie-heure, on s'y entretenoit de science, excepté les jeunes Profez & les Novices, qui ne devoient parler que de chofes fpirituelles. On y obfervoit un filence exact, on ne voïoit perfonne aller par la Maison, finon les Officiers, chacun se tenant retiré dans fa chambre. La pauvreté y eftoit grande, on n'eut pas trouvé une feuille de papier inutile dans une chambre. Chacun avoit fa table, fon lit, fon prié-Dieu, fa chaife, & les livres précisement neceffaires. Il n'y avoit point de chambre qui fermât à clef que celle du Superieur, afin que chacun puft avec fa permiffion prendre ce qu'il avoit befoin. C'eftoit une pratique de ne rien retenir qui fuft fuperflu ; & fi l'on avoit quelque chofe le matin dans fa chambre, qui ne duft fervir que le foir on ne vouloit pas mefme le garder durant le jour, & on le remettoit en commun.

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L'Abé de Chancellade ne donna d'abord des Reglemens que de vive voix, mais il les redigea enfuite par efcrit dans les Conftitutions qu'il fit pour fa reforme, & qui contiennent dix Chapitres. Le premier regle tous les exercices de la journée. Le fecond traite de l'Office divin. Les trois fuivans pref crivent tout ce qui eft neceffaire pour une exacte & parfaite

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