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AUGUSTIN.

VIE DE S. pretendent estre ses legitimes defcendans, & dans la fuivante, nous parlerons des autres Congregations, qui ont crû ne pouvoir pas fuivre un modele plus parfait & plus accompli de la vie Religieufe que ce faint Docteur de l'Eglife; parmi lefquelles Congregations fe trouveront ceux qui fe qualifient Ermites de fon Ordre, qui pretendent eftre auffi fes veritables enfans, & même difputer aux Chanoines Reguliers le

droit d'aîneffe.

C'est donc en qualité de Fondateur d'Ordre & de Pere d'une nombreuse pofterité Religieufe, que nous donnons icy un abregé de la vie de ce grand Saint; & fans entrer dans la difpute de fes enfans, pour fçavoir fi fes premiers Difciples eftoient Chanoines Reguliers ou Ermites; nous conformerons entierement cet abregé de fa vie, fur celle que les RR. PP. Benedictins de la Congregation de faint Maur ont donnée au public en 1700. qui eft à la tête de l'Index general de fes ouvrages, que cette fçavante Congregation par une étude & un travail dont on ne fçauroit trop luy avoir d'obli gation, a rendus dans leur pureté, en feparant le vrai d'avec le faux: & comme ces fçavans Religieux ont temoigné eftre. redevables en partie de ce qu'ils ont écrit dans cette vie, à feur M. de Tillemont, qui avoit bien voulu leur communiquer les collections & les memoires qu'il avoit affemblés pour la vie de ce faint Docteur, qui a auffi paru fous fon nom en 1702. & qui fert de treiziéme Volume à fes Memoires pour l'Hiftoire Ecclefiaftique; nous avons cru ne pouvoir errer en fuivant de fi bons guides.

Thagafte Ville de Numidie dans l'Afrique, & voifine de Madaure & d'Hippone, eftoit autrefois fi peu connue, que l'on ignoreroit peut-eftre qu'elle eût efté, fi faint Auguftin n'y avoit pris naiffance. Ses parens vivoient honorablement, fon pere exerçoit une charge de Magiftrature dans cette ville, & le faifoit diftinguer parmi les citoïens plus par fon integrité que par fes biens qui eftoient mediocres. Il s'appelloit Patrice; & aïant vêcu long-tems fans les lumieres de la foi, Dieului fit la grace un peu avant que de mourir, d'en eftre éclairé, & de recevoir le faint Baptême. Il eut de Monique fa femme plufieurs enfans, du nombre defquels eftoit Auguftin. Elle le mit au monde le premier Novembre de l'an 354. & elle ne Pengendra pas moins felon l'efprit que felon la chair; puifque

AUGUSIIN.

c'eft aux larmes continuelles qu'elle repandit pendant plu- VIE DE S. fieurs années devant le Seigneur, que l'Eglife eft redevable de la converfion de ce fils, quine fçut pas profiter pendant fa jeunesse des bons exemples & des avis charitables de cette fainte femme.

Quelque bonne education qu'elle lui donnât d'abord : quelque foin qu'elle prêt de l'élever dans la pieté : quelqu'autorité qu'elle eût prife fur fon efprit, & à laquelle il s'eftoit foûmis plûtôt qu'à celle de fon pere, qui ne put jamais prevaloir fur Auguft. celle qu'elle s'y étoit acquife, comme il le dit lui-même; tout cela n'empêcha pas qu'il ne s'abandonnât à des excés de débauche, dont il n'a point eu de honte de fe confeffer publiquement coupable devant Dieu.

Conf..l.1.

C. II.

Le plaifir qu'il prit à la lecture des Poëtes remplie de fables & de fictions, fut le commencement de fon déreglement. Etudiant à Madaure, au lieu de s'appliquer aux premiers éle- Ibid. c. 13. mens des Lettres dont il avoit un grand dégoût, il eftoit vivement touché des avantures d'Enée. Il chargeoit fa memoire des infortunes de ce Prince, pendant qu'il oublioit les fiennes; & pleuroit la mort de Didon, qui fe tua par un excés d'amour pour ce Troïen, au lieu de pleurer celle qu'il fe donnoit miferablement à lui-même en fe remplissant de ces folies. C'est ainsi qu'il décrit fes premiers égaremens, qui s'augmenterent à mesure qu'il avança en âge.

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A l'âge de quinze ans il revint de Madaure à Thagafte, où il interrompit les études; parce que fon pere qui n'eltoit pas des plus aifés, travailloit à faire un fonds pour l'envoïer étudier à Carthage. Tout le monde donnoit des loüanges à Patrice, de faire de tels efforts pour donner moïen à Augustin it. l. 2. d'aller au loin continuer fes études. Il eftoit zelé, dit ce grand 3. Saint, pour tout ce qui pouvoit fervir à m'établir dans le monde mais il ne s'informoit pas fi j'eftois chafte, pourvu que je fuffe éloquent. Comme il fallut bien du tems à son pere, qui n'avoit pas grand bien, pour amaffer le fonds neceffaire pour ce voiage, ce fut dans fa feiziéme année qu'Auguftin, qui n'entendoit plus parler ni d'études ni de leçons pendant qu'il demeura à Thagaste, s'abandonna à toutes fortes de voluptés; & fes compagnons fe vantant de leurs débauches, il avoit honte de n'en avoir pas fait autant.

Il alla enfin à Carthage., où il fut auff-tôt affiegé d'une

VIP DE S. foule d'amours impudiques qui fe presentoient à lui de toutes AUGUSTIN. parts. Il n'aimoit pas encore; mais il demandoit à aimer, & une mifere fecrete faifoit qu'il fe vouloit mal de n'eftre pas encore affez miferable. Il fe trouva enfin engagé dans les filets où il fouhaitoit eftre pris. Il fut aimé, & arriva mefme à la poffeffion de ce qu'il aimoit. Ce fut peut-eftre la feconde année de fon féjour à Carthage, c'est-à-dire, à l'âge de dixhuit ans, qu'il eut un fils qui fut le fruit de fon peché, & à qui il donna le nom d'Adeodat.

Monique qui le voïoit plongé dans de fi grands defordres, ne ceffoit de verfer des larmes, & de prier le Seigneur qu'il l'en retirât. Mais quelle fut la douleur de cette fa.nte mere, lorfqu'elle le vît embraffer l'erreur des Manichéens ? Elle le pleura pour lors comme s'il avoit efté dans le tombeau, & fa douleur eftoit d'autant plus grande, qu'elle regardoit les chofes des yeux de la foi. Elle prioit tous les gens de bien de conferer avec fon fils pour lui faire connoiltre fon erreur ; mais il eftoit bien éloigné de l'abandonner, la nouveauté de cette herefie lui avoit au contraire enflé le cœur, & l'avoit rendu plus fuperbe.

L'unique confolation que cette mere defolée pouvoit prendre, c'eftoit dans la confiance qu'elle avoit, que Dieu exauceroit fes prieres & fes larmes. En effet, elle eut une vifion où Dieu lui fit connoiftre que fon fils rentreroit dans le fein de l'Eglife. Mais Auguftin fut pendant neuf années dans fon aveuglement, fans qu'il ouvrit les yeux aux lumieres de la foi. Il enfeigna pendant ce tems la Grammaire à Thagaste, où il eftoit retourné; d'où aïant fait un fecond voïage à Carthage, il y profeffa la Rhetorique. C'eftoit peu de chofes pour fon ambition: ainfi dans l'efperance de plus gros émolumens, & de s'attirer plus d'honneur, il refolut de paffer en Italie & de venir à Rome.

Sa mere fit tous fes efforts pour le retenir, ou au moins pour le faire confentir qu'elle fuft du voïage. Elle ne vouloit point l'abandonner, & le fuivit jufqu'au port; mais il ufa de tromperic pour s'en debaraffer. Il lui fit accroire qu'il vouloit feulement accompagner un de fes amis jufques dans le vaiffeau; & lui aiant perfuadé de paffer la nuit dans un lieu qui n'eftoit pas éloigné du port, où il y avoit une Chapelle de-diée à S. Cyprien, il fe déroba, partit la même nuit pendant

SECONDE PARTIE, CHAP. I.

pas

AUGUSTIN.

qu'elle eftoit en prieres & en larmes, & arriva enfin à Rome; VIF DE S. où, peu de tems aprés fon arrivée, il fut attaqué d'une dangereuse maladie, dont il guerit par les prieres de fa fainte de l'accompagner mere, qui quoiqu'abfente, ne laiffoit par tout de fes voeux. Dés qu'il fe vit en fanté, il donna des leçons de Rhetorique & eut un grand nombre d'auditeurs. Dans ce tems-là les habitans de Milan aïant envoïé à Simmaque Prefet de Rome, pour lui demander un Profeffeur de Rhetorique, & aïant même donné les ordres neceffaires pour fon voiage; Auguftin emploïa ce qu'il avoit d'amis parmi les Manichéens pour avoir cet emploi, & Simmaque s'eftant affuré de fa capacité par un difcours qu'il fit devant lui, l'envoïa à Milan.

Dés qu'il y fut, il alla trouver faint Ambroife qui en eftoit Evêque, qui le reçut favorablement & avec une charité vraiment Epifcopale. C'estoit Dieu qui le menoit invisiblement à ce faint homme, & fon cœur touché de l'éloquence de ce Prelat, s'ouvroit à la verité de ce qu'il difoit. Il trouva que ce qu'il enfeignoit pouvoit fe foutenir. Il croïoit auparavant qu'il n'y avoit rien à repondre aux argumens des Manichéens, commença à s'appercevoir qu'on les pouvoit combattre ; & enfin perfuadé de la verité des difcours de faint Ambroise, il refolut d'abandonner leurs erreurs, & prit enfin le parti de demeurer Cathecumene dans l'Eglife catholique.

il

S. Augustin avoit jufques-là fait verfer beaucoup de larmes à fa mere par fa vie dereglée & par fon herefie; il femble qu'elle devoit avoir eu beaucoup de joie lorfqu'elle apprit qu'il n'eftoit plus Manichéen. Cependant faint Auguftin nous conf.. apprend lui-même, qu'il ne vit point dans cette fainte femme 6. c. 1. qui avoit paffé la mer pour le venir trouver à Milan, ce treffaillement de joie que les bonnes nouvelles, à quoi on ne s'attend point, ont accoûtumé de donner; parce qu'il n'eftoit pas encore établi dans la verité, & qu'elle ne le voïoit pas fidele Catholique. Il en coûta bien encore des larmes à cette veritable mere, qui n'avoit point d'autre ambition que de voir fon fils reconcilié avec Dieu; & il fallut qu'Augustin effuïât bien des combats de lui-même contre lui-même, avant qu'il renonçât entierement à fes égaremens & à fes voluptés, pour ne plus fuivre à l'avenir que les attraits de la grace.

Enfin le tems arriva que Dieu permit qu'il ouvrit les yeuxs

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VIE DE S. pour voir fon iniquité & en concevoir de l'horretır. Un de fes AUGUSTIN. amis nommé Pontitien, qui l'eftoit venu voir, lui aïant ra. conté la vie admirable de faint Antoine, il en fut fi vivement touché, qu'il ne falloit pas une plume moins éloquente, que celle d'Augustin même, pour décrire le trouble & l'agitation 4.7.8.9. que ce recit caufa dans fon ame; mais cela ne fuffit pas, fallut une voix du Ciel pour le refoudre entierement.

1bid. l. 8.

il

Occupé plus que jamais de mille reflexions, qui avoient penetré les replis les plus fecrets de fon coeur qui eftoit percé de douleur, il fe retira dans un jardin ; où s'eftant affis fous un figuier, & aïant donné cours à un torrent de larmes, il entendit une voix du ciel, qui lui dit: Prenez & lifez. A cette voix changeant de visage & retenant fes larmes, il prit le livre des Epitres de S. Paul; & l'aïant ouvert, ces paroles lui frapAl Rom. Perent les yeux: Ne vous plongez pas dans la bonne chere, ni dans 13. v. 13. l'yvrognerie, ni dans les impudicités, ni dans les querelles; mais revétez-vous de Fefus-Chrift, & ne confentez point aux mauvais defirs de votre chair. Il n'en voulut pas lire davantage une divine lumiere penetrant tout d'un coup fon cœur ; il fe trouva dans une admirable tranquillité, qui diffipa tous les doutes & les irrefolutions qui l'avoient tant fait fouffrir.

Il avoit été accompagné dans ce jardin par un de fes amis nommé Alippe, & s'eftoit éloigné de lui pour éviter la contrainte où fa prefence l'avoit engagé. Il l'aborda enfuite de cette lecture avec un vifage gai. Cet ami lui aïant demandé le fujet de joie qui paroiffoit fur fon vifage, il lui montra l'endroit qu'il avoit lu. Ces paroles toucherent pareillement Alippe, qui faifant attention à celles qui fuivent, & aufquelles Auguftin n'avoit pas pris garde: Aidez & foûtenez celui qui est encore foible dans la fois il les prit pour lui, & s'en trouva tout d'un coup fi fortifié, qu'il prit la même refolution qu'Auguftin. Ils porterent ensemble cette bonne nouvelle à Monique, qui en fut tranfportée de joïe ; & ce fut une efpece de triomphe pour elle d'entendre la maniere dont cela eftoit arrivé. Elle ne pouvoit fe laffer d'en benir le Seigneur, qui lui avoit accordé bien plus qu'elle ne demandoit; car Auguftin eftoit converti fi pleinement, qu'il n'avoit aucune penfée pour le mariage où elle avoit voulu l'engager, & qu'il renonçoit à tous les avantages qu'il auroit pû efperer dans le monde."

Comme le tems des vacances approchoit, & qu'il n'y avoit

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