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TIFES.

RELIGIEUX L'utilité que l'on retiroit des Ponts d'Avignon & de Bonpas, LIERS PON. & la reputation qu'ils avoient acquise à cause des charitables fonctions qui s'y exerçoient, & des merveilles que Dieu operoit par l'interceffion de saint Benezet;porterent les habitans de faint Saturnin du Port (presentement le Pont - Saint-Esprit) fur le Rhofne, d'en establir un semblable. Tout le Domaine de ce lieu appartenoit à un Prieuré de l'Ordre de Cluny. Les Moines de ce Prieuré y donnerent les mains. Ils voulurent mefme poser la premiere pierre du Pont, & elle fut en effet posée le 12 Septembre de l'an 1265. par Jean de Thyanges leur Prieur. L'on donna à ce Pont le nom du Saint Esprit. L'on fut trente ans à y travailler; & enfin il fut mis en l'estat où il est encore à present, aïant vingt-deux arches, qui lui donnent une estenduë de douze cens pas de longueur, sur quinze de largeur ; & il y a à chaque pile, une fenestre pour donner plus de facilité à ce fleuve rapide de passer quand les eaux sont fortes.

L'estime qu'on avoit pour les Religieux Pontifes, leur fit acquerir de grandes richesses par le moïen des donations qu'on leur offroit, & qu'ils acceptoient; & ce furent ces mesmes richesses qui leur firent perdre l'esprit de leur Institut. Ceux de Bonpas furent les premiers qui tomberent dans le relâchement. Ils voulurent s'unir aux Templiers en l'an 1277. ils avoient donné procuration à l'un d'eux pour aller à Rome poursuivre cette union : mais Girard Evesque de Cavaillon, quoiqu'il y eust donné fon consentement, follicita l'an 1278. le Pape Nicolas III. de donner l'Hospital de Bonpas aux Hospitaliers de faint Jean de Jerufalem qui font aujourd'hui les Chevaliers de Malte, afin que du moins l'hospitalité y fust toûjours continuée. Les Freres du Pont aïant sceu ce que l'Evesque de Cavaillon avoit fait, donnerent eux-mesmes leur Maison aux Hospitaliers de faint Jean de Jerufalem, & passerent dans leur

Ordre.

Lorsque l'on bastit le Pont du Saint Esprit, on y establit aussi un Hospital qui devint celebre. Les habitans de ce lieu en avoient la direction & y remplissoient quoique Seculiers les mesmes fonctions que les Religieux Pontifes exerçoient à Avignon. Ceux-ci estant devenus peu utiles au public par leur relachement, le Pape Jean XXII. l'an 1321. unit leur Maison d'Avignon à l'Eglife Collegiale de saint Agricole de la mesme

Ville.

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Il ne restoit plus que les Freres Pontifes du Pont Saint Esprit, RELIGIEUX qui degoutés de leur estat Laïcal, se firent ordonner Prestres; LIERS PON & comme ils eftoient les seuls de la Province qui se pouvoient TIFES. faire honneur d'avoir eu faint Benezet pour Religieux de leur Ordre, ils publierent que leur Maison & le Pont du Saint Efprit avoient esté fondés par ce Saint d'une maniere aussi miraculeuse, que l'on disoit que le Pont d'Avignon avoit esté construit, c'est ce que l'on remarque (continuë cet Auteur) dans une Bulle de Nicolas IV. de l'an 1448. donnée en faveur de ces Religieux, où ce Pontife dit que le jeune berger Benezet commença cet ouvrage par la grace du Saint Esprit & par les aumosnes des fideles: Pastorque ipfe, Spiritus fancti gratia, & fidelium elemofinis fretus, pontem in loco indicato bujusmodi incohavit. Ce mesme Pontife à la priere de Charles VII. Roi de France & d'Alain Coëtivi Evesque d'Avignon, Prieur Commendataire de faint Saturnin du Port, confirma à ces Religieux toutes les graces qu'ils avoient déja obtenuës du saint Siege avec leurs Statuts, leurs Reglemens, leurs Privileges ; & ge neralement tous les biens qu'ils poffedoient; & ensuite il leur donna l'habit blanc pur les diftinguer des autres Religieux. Cet habit qui marquoit la Regularité, n'y retint pas pour cela ces Religieux; mais ils passerent à l'estat feculier ; & pour s'y diftinguer des autres Corps Ecclesiastiques, ils retinrent leur habit de Religion pour marquer la Profeffion d'Hofpitaliers qu'ils ont conservée. Cette secularisation estoit déja faite, & mesme affermie l'an 1519. comme l'on voit par une Bulle de Leon X. de la mesme année, où ce Pape parle d'eux comme d'Ecclesiastiques Seculiers. Ils font encore nommés les Prestres blancs, & ce font les seuls restes de l'Institut des Religieux Pontifes ou Faiseurs de Ponts. Ils forment comme une espece de Collegiale fous la jurifdiction du Prelat Diocesain, qui est l'Evesque d'Usez.

Voila en abregé de quelle maniere l'Auteur de la nouvelle Histoire de faint Benezet rapporte le commencement & la fin de l'Ordre des Religieux Pontifes ou Faiseurs de Ponts; mais il y a bien de l'apparence que cet Ordre est le mesme que celui des Hofpitaliers de faint Jacques du Haut-pas, dont nousavons parlé dans le Chapitre précedent, & qui devoit avoir plufieurs Maisons en France; puisqu'outre le Grand-Maistre General de l'Ordre qui faisoit sa residence en Italie, & dont mef.

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RELIGIEUX me il y en eut un qui mourut à Paris l'an 1403. il y avoit enLIERS PON. core un Commandeur General pour la France. L'on n'aura pas de peine à se perfuader que ce n'estoit qu'un mesme Ordre, fil'on confidere que la fin de l'Institut des Hospitaliers de saint Jacques du Haut-pas estoit auffi de donner main forte aux voïageurs & d'eftablir des Bacs pour leur faciliter le passage des rivieres, & que le premier establissement se fit sur la rivierre d'Arno au Diocese de Luques en Italie, en un endroit dangereux appellé le Haut-pas, ce qui a beaucoup de conformité à ce premier establissement des Hospitaliers Pontifes qui, selon cet Auteur, se fit dans un passage qui n'estoit pas moins dangereux fur la Durance, appellé Mau-pas, & qu'on a peut-eftre ainsi appellé par corruption au lieu de Haut-pas. Il est vrai que les Hospitaliers de saint Jacques du Haut-pas qui furent establis à Paris, n'avoient pas soin d'entretenir des Bacs pour pafser les pauvres pelerins sur la rivierre de Seine. Ils eftoient efloignés de la rivierre, puisqu'ils furent establis au milieu du fauxgourg saint Jacques; mais comme la fin de leur Institut eftoit aussi de loger les pelerins, ce fut pour cette raison que Philippes le Bel Roi de France leur fonda cet Hospital l'an

1286.

L'Auteur de l'Histoire de saint Benezet dit à la pag. 25. que les Hospitaliers Pontifes, comme gens beaucoup experimentés dans la construction des Ponts, avoient eu la direction des Ouvriers de celuid'Avignon: cela presuppose qu'ils avoient déja basti des Ponts, & qu'ils avoient donné des preuves de leur habileté : cependant le Pont d'Avignon fut le premier qu'ils entreprirent l'an 1177. & ce ne fut que la reussite de cet ouvrage qui leur fit naître le dessein d'en bastir aussi un sur la Durance l'an 1189. N'a-t-on pas sujet de croire que le peuple donna le nom de Freres du Pont, ou de Pontifes aux Hofpitaliers de saint Jacques du Haut-pas, lorsqu'ils furent establis dans l'Hospital d'Avignon, qu'on nomme l'Hospital du Pont, & après que plusieurs Princes & quelques particuliers leur eurent cedé les droits de peages qui leur appartenoient sur le Rhofne? Ces Hospitaliers aïant ensuite receu ces mesmes droits de ceux qui passoient sur le Pont d'Avignon, dont ils exemtoient les pauvres, qu'ils logoient aussi dans leur Hospital; on a pu les appeller les Freres du Pont ; & ceux de Bonpas & du Pont S.Esprit ont pu aussi prendre le mesme nom, après que les

ponts

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ponts de ces deux endroits eurent esté bastis, & que de pareils RELIGIEUX droits eurent esté accordés à leurs Hospitaux. Le peuple a LIERS PONdonné souvent à des Religieux des noms qui leur font restés, TIFES quoique ces noms n'appartinssent pas à leurs Ordres. Ainsi les Religieux Jesuates de faint Jerofme n'estoient connus à Sienne que tous le nom des Peres de l'Eau-de-vie: gli Padri della aqua vita, que parce qu'ils distiloient de l'eau de vie dont ils faifoient trafique, sans qu'ils cessassent pour cela d'estre de l'Ordre des Jesuates. Les Religieux Hospitaliers de faint Jean de Dieu sont appellés en France les Freres de la Charité, en Efpagneles Freres de l'Hospitalité, & en Italie les Freres fate ben fratelli, quoique leur veritable nom foit celui des Hofpitaliers de saint Jean de Dieu; & il en est de mesme de plusieurs Ordres à qui le peuple a donné differens noms.

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Saint Benezet n'a donc point esté l'Instituteur de l'Ordre des Religieux Pontifes ou des Freres du Pont, comme a prétendu le P. Theophile Raynaud; mais il y bien de l'apparence que lorsque les Hospitaliers de saint Jacques du Haut-pas furent introduits dans l'Hospital du Pont à Avignon, il entra dans leur Ordre, & qu'il en estoit Procureur & tenoit lieu de Superieur à ces Religieux l'an 1180. lorsqu'un certain Ber trand de la Garde leur vendit le droit qu'il avoir dans le port d'Avignon : Profitetur se vendere, & venditionis titulo tradere operi pontis Rhodani, & fratri Benedicto Procuratori, caterisque Pontis Fratribus, jus omne fuum in portu, vel in Caudelo portus. Les miracles que ce Saint operoit tous les jours, & l'entreprise qu'il avoit faite du Pont d'Avignon par inspiration Divine le firent sans doute choisir pour Superieur par les Religieux Hospitaliers sans avoir égard à sa jeunesse, puisqu'il ne pouvoit avoir alors que dix-sept ans, quoiqu'en dise l'Auteur de son Histoire, qui prétend que lorsque ce Saint vint à Avignon, il estoit déja si accablé de vieillesse, qu'il estoit obligé de se foutenir sur un baston. Cet Auteur veut estre cru en cela fur sa parole, car il n'apporte aucune autorité, ni aucun témoignage pour prouver ce grand âge de faint Benezet, & qu'il n'a point esté berger. Ces Actes authentiques, où il est specialement marqué qu'il estoit encore enfant & qu'il gardoit les brebis de fa mere: quidam puer Benedictus nomine, oves matris fue regebat in pafcuis, ne font, selon lui, que des declamations que l'on donnoit à faire à de jeunes Moines qui par des

Tome II.

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RELIGIEUX figures hyberboliques, ont voulu dire qu'il estoit Superieur MERS PON- des Hofpitaliers Pontifes de la Maison de Bonpas; & l'age de douze ans qu'on lui a donné, marque les douze années de sa Superiorité dans cette Maison avant que de venir à Avignon. Ce feroit une figure de Rhetorique toute nouvelle, si un Orateur, pour embellir fon difcours & faire connoistre à ses Auditeurs qu'une personne avoit esté Superieur d'un Monaftere, disoit que c'estoit un enfant qui faisoit paître les brebis de fa mere, & que pour marquer qu'il avoit esté Superieur pendant douze ans, il difoit qu'il n'estoit âgé que de douze ans. Je laisse au lecteur sage & prudent à porter son jugement sur le raifonnement de cet Auteur

Il ne s'accorde pas mesme en plusieurs endroits;& entr'antres, il dit à la pag. 18. que le zele que faint Benezet avoit de remplir les devoirs de sa profession, lui fit naître la pensée de faire à Avignon sur le bord du Rhofne un establissement femblable à celui de Bonpas: qu'aïant formé ce dessein & fe reposant de la reussite, à cause de son importance, sur la Providence Divine, il alla à Avignon, & entra dans cette ville dans le tems que l'Evefque Ponce prêchoit: que comme ce faint Religieux estoit très ardent pour procurer l'avancement de fon Institut, il entra hardiment dans l'Eglise & y annonça à haute voix le sujet de sa venuë: que le Peuple l'ecouta avec beaucoup d'attention & donnoit dans son sentiment; mais que les personnes les plus confiderables le traiterent de visionnaire, regardant comme impossible de faire un Pont sur le Rhofne, à cause de la largeur de ce fleuve & de la rapidité de ses eaux.Or si ces Hofpitaliers de Bonpas n'avoient point de Pont, & qu'ils n'en bastirent un sur la Durance que l'an 1189. aprés que celui d'Avignon eut esté achevé, comme cet Auteur le dit à la pag. 55. & s'ils n'avoient auparavant qu'un Bac à Bonpas; il n'y avoit pas d'apparence que faint Benezet ait proposé d'abord aux Avignonois de faire bastir un Pont, puisque son intention estoit de faire dans leur ville un establissement pareil à celui de Bonpas. Il fait en effet (felon cet Auteur) la propofi tion de cet establissement, & les grandes difficultés qu'on y trouve & qui le font regarder comme vifionnaire, c'est parce que l'on croïoit qu'il estoit impossible de faire un Pont sur le Rhofne: l'Auteur devoit donc parler de ce Pont avant que de faire remarquer les difficultés que l'on forma sur sa construction, &

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